Autechre en couv’ de Tsugi 116, en kiosque mardi 9 octobre !
D’abord une bonne nouvelle: vous avez été plus nombreux que jamais à vous passionner pour notre numéro d’été avec Manu Le Malin en couverture. Merci à vous et merci bien sûr à Manu de nous avoir accordé du temps afin de réaliser une palpitante interview au long cours. Même si les styles et les personnalités divergent (quoi que…), on peut appliquer les mêmes qualificatifs à cette Une consacrant le duo légendaire Sean Booth et Rob Brown, alias Autechre, qui, lui non plus, n’a pas jeté un œil sur le chronomètre pour se confier en exclusivité au journaliste, spécialiste des Mancuniens de chez Warp, Olivier Lamm, que nous accueillons avec grand plaisir pour la première fois dans ces pages. Rien de mieux que de passer un long moment avec des artistes, même si c’est comme ici via Skype. Une évidence, pourtant balayée pendant de longues années par des interviews de couv’ expédiées en 15 minutes top chrono au fil de la décadence de l’industrie et de la presse musicale. Les temps ont heureusement changé. Si nous avons survécu et nos lecteurs avec, c’est bien parce que nous n’avons jamais accepté de rencontrer un artiste dans n’importe quelles conditions. Dans l’intérêt de tous.
Vous retrouverez également dans ce numéro un CD mixé par Marcel Dettmann, la chronique de notre album du mois signé Safia Nolin, la révélation Angèle au blindtest, Cat Power racontant ses neuf vies, des portraits d’Agar Agar, Flavien Berger, Marie Davidson, Empress Of, Os Ex-Fumantes, une enquête sur les bénéfices qu’engrange un track joué en club, une nuit marathon avec Jazzy Bazz… Et comme d’habitude votre lot de chroniques, compte‐rendus de festivals, bons plans, tests de matériel et autres rencontres… Retrouvez votre Tsugi, 116ème du nom, en kiosque ou sur notre boutique en ligne à partir du mardi 9 octobre. En attendant, vu qu’on est sympa, voilà le début de l’interview d’Autechre par Olivier Lamm :
Avec son ambitieux nouveau projet NTS Sessions 1-4 – huit heures de musique inédite enregistrée en direct sur la webradio NTS –, le duo anglais Autechre, pilier de l’écurie Warp depuis le début des années 90, repousse encore un peu plus ses propres limites. Entretien avec deux laborantins électroniques qui n’ont jamais cessé de s’amuser.
1987, banlieue de Manchester. Dans un monde parallèle à celui où est en train d’exploser l’acid house, deux gamins fans de Mantronix et de graffiti deviennent amis. Ils n’ont qu’un matériel très sommaire à disposition, mais la tête remplie d’un magma incandescent de polyrythmies furieuses et des sons inouïs. À la maison, dans des fêtes, sur des radios pirates, Sean Booth et Rob Brown amassent, mélangent et déforment tout ce qui sonne neuf à leurs oreilles, blips, breakbeats, déchets soniques, charleys. Leurs balbutiements – réunis sur le mini-album Lego Feet, qui paraît en 1991 – n’en sont pas du tout, à tel point qu’on se demande si le duo n’est pas né virtuose du jour au lendemain. La musique, surtout, est radicalement autre, ni tout fait expérimental, ni hip-hop, ni techno. Ambitieux, Booth et Brown envoient une cassette de leurs bidules les plus intenses à Warp, maison emblème d’un genre hard et audacieux de techno qui a fait de beaux succès, la bleep. C’est encore un peu tôt, mais Steve Beckett garde dans un coin de tête qu’il a été bluffé par ce qu’il a écouté. Un an plus tard, Booth lui parle au téléphone: « On a des nouveaux morceaux pour vous, qui ressemblent un peu à du LFO, mais avec des rythmes plus intéressants. » Et tout se met en mouvement.
Car non seulement Warp veut signer le duo – qui a récemment adopté le nom étrange d’Autechre –, mais en faire la tête de proue d’une compilation qui va tout changer, l’ironiquement titrée Artificial Intelligence. Succès et buzz médiatique aidant, Warp devient l’emblème d’une musique électronique sans nom, qui n’est ni de l’ambient ni de la dance, non plus l’ambient house en vogue dans les chillouts. Et Autechre, qui n’est certes pas seul dans son exploration, devient l’élément perturbateur n°1 de cette « musique électronique intelligente » qui n’avait pas demandé tant d’honneurs. La suite, dont on suit le déroulé au fil d’une des discographies les plus fascinantes de ces trente dernières années, ne sera qu’une folle fuite vers l’avant, indécente d’impudence puisque chaque nouvel album ambitionne de renvoyer celui qui l’a précédé à l’obsolescence. Fatalement, Autechre en lâchera plus d’un sur le bas-côté – on ne compte pas les « fans » de tel ou tel album qui ont « décroché » à tel ou tel moment décisif de son évolution. D’autres, plus persévérants, continuent à considérer la musique de Booth et Brown comme l’une des plus précieuses de notre modernité. Trente après leurs débuts et une ribambelle magnifique de ruptures particulièrement audacieuses, ils sortent NTS Sessions, huit heures d’œuvres inédites et plus libres que jamais, d’abord offertes aux auditeurs connectés de la web radio londonienne du même nom, et que les intéressés n’envisagent même pas comme un bilan, seulement une étape parmi d’autres dans leur folle embardée vers l’inconnu.
Considérez-vous ces huit heures de musique comme un geste radical?
Sean Booth: Du point de vue de la quantité de travail que ça nous a demandé, peut-être…
Rob Brown: Nous sommes tout de même conscients que nous divisons par deux, au minimum, le nombre d’auditeurs potentiels parce que la plupart des morceaux sont très longs. Les autres sont assez reconnaissants pour l’accomplissement que ces morceaux très longs représentent. J’aime beaucoup ceux qui disent: « C’est long, mais c’est différent ». C’est vrai que la musique de ces sessions est intense, mais différemment. Pas comme un album. Plutôt comme une session radio. Si ce projet est audacieux, c’est dans sa manière de chevaucher plusieurs territoires.
SB: Si un album de huit heures est révolutionnaire, c’est que le monde est ennuyeux à en crever. Bien sûr que c’est absurdement long, et très difficile à digérer. Pourtant, cette musique est toujours celle que nous aimons écouter. C’est plus simple que ça en a l’air. Quand les gens de la radio en ligne NTS nous ont invités à occuper quatre fois deux heures de leur antenne, ils s’attendaient à ce que nous leur proposions un mix. Quand nous avons pensé à remplir ces huit heures de musique inédite, nous avons tout de suite pensé que huit heures d’Autechre dépassaient du « cadre » de la normalité dans les grandes largeurs.
RB: Tout est affaire de contexte. D’autres artistes ont composé des pièces de musique très longues avant nous.
SB: Des morceaux longs, j’en écoute depuis la fin des années 1980, d’abord Eno et l’ambient, puis Bernhard Günter et les gens du label Selektion, The Hafler Trio, Kevin Drumm, Daniel Menche, Roland Kayn… Pourquoi serions-nous plus radicaux que ces gens ?
… La suite à découvrir en kiosque ou sur notre boutique en ligne à partir du mardi 9 octobre !