« Au Baccara », la poésie électronique et contemplative d’Odezenne
N’ayons pas -ou plus?- peur de miser sur Odezenne. Pour les trois Bordelais, la vie semble être un jeu de cartes où il faut bluffer et surprendre, pour toujours se retrouver là où personne ne les attend. Après Dolziger St. 2 en 2015 et leurs tournées à la demande en 2016 sur les réseaux, le groupe continue de tracer les contours de sa singularité avec Au Baccara. « C’est un peu le jeu roi au Casino, où tu peux miser soit contre la banque soit pour toi et miser très gros, détaille Alix. On trouvait l‘expression hyper jolie et ça représente une petite philosophie de vie ». Enregistrés sur bandes au mythique studio Konk de Londres -notamment chéri par les Kinks– pour un son brut et authentique, les onze titres repoussent les limites de leur créativité. Cela donne un disque qui fait s’entrechoquer les époques : moderne mais réalisé à l’ancienne, avec une poésie intemporelle et des compositions résolument électroniques.
Alix et Jacques aux paroles, Mattia au son. La recette reste inchangée pour ces amis de longue date (depuis vingt ans) qui ont écrit et composé chaque chanson ensemble dans un studio de Bordeaux, à 500 m de la maison où ils habitent à trois. Ca dérapait souvent en soirée, avec les potes qui débarquent, sans que ça contrarie leur élan créatif. Les textes et les mélodies de Au Baccara ont pris forment dans cette ébullition. L’album est à leur image : instinctif, faussement foutraque et intensément vivant. Après les captivants ‘’Nucléaire’’ et ‘’Lost’’-accompagnés par des clips aussi simple que mélancoliques- on retrouve la voix indolente de Jacques sur “Bébé”, un titre qui parle de la torpeur qui suit l’ivresse.“T’as les yeux troubles comme si t’avais deux vies”. Une instru malsaine, pour un morceau obsédant – « une bande-originale d’enjaillement » selon Alix- prêt à retourner les salles de France et de Navarre, tout comme ‘’BNP’’. On retrouve un peu de tendresse entre les tempêtes avec ‘’En L’’, ‘’James Blunt’’ ou ‘’Tony’’ : de doux refrains qui s’incrustent rapidement dans notre inconscient. Un immense coup de chapeau à ‘’Bonnie’’, belle claque aux références évidentes aux attentats et à la vie qui doit suivre son cours : ‘’Le feu n’éveille pas les consciences’’ / ‘’N’écoute pas les cris, la chair ou la cendre’’… Fascinant.
A chaque nouvelle sortie, les trois gars d’Odezenne se montrent plus exigeants, tant dans les textes que dans les arrangements. Leur moteur? Toujours sortir de leur zone de confort et composer chaque disque comme si c’était le dernier. Ce quatrième album est finalement très éclectique : puissant, contemplatif, fataliste et lyrique, mais aussi plein de plaisir et d’espoir… Tout ça à la fois. Si Odezenne évolue en s’écartant progressivement du rap et en se rapprochant toujours plus de la chanson, c’est pour mieux embrasser les paradoxes et vivre Au Baccara. En naviguant à vue entre des beats électroniques lancinants, l’émotion des paroles et la verve du quotidien.