Astropolis L’Hiver 2019 : le sens de la fête
« Il faut vraiment que je trouve un sens à ma vie ». Quand Thomas balance ça, l’air dépité, c’est tout le cinéma qui s’esclaffe. Il est presque 20 heures, un vendredi soir à Brest, dans la canon médiathèque François-Mitterrand. Est projeté en ouverture d’Astropolis Hiver Quand tout le monde dort, un documentaire par Jérôme Clément-Wilz suivant les aventures du Pas-Sage, un jeune collectif organisant des raves illégales à Paris. Une demi-blague, peut-être la phrase-clé du film. Alors que leur générateur vient de planter, stoppant net la fête organisée dans des souterrains versaillais, entre techno et spéléo, on est en effet à deux doigts de la crise existentielle pour Thomas. Pourquoi continuer à faire la fête ? Pourquoi cette bande de potes s’acharne-t-elle à organiser des soirées hors des circuits habituels, quitte à jouer au chat et à la souris avec les autorités, sans gagner un kopeck et sacrifiant de précieuses heures de sommeil ? Dans un rayon plus légal, pourquoi, presque 25 ans après sa première édition et des débuts dans la rave, Astropolis continue à faire danser Brest, été comme hiver, quand « tout le monde dort » justement ? Peut-être pour trouver un sens, peut-être pour s’amuser tout simplement, peut-être pour créer du lien social et proposer des échappatoires à une jeunesse qui en a clairement besoin ces dernières années. Et sûrement un peu tout ça à la fois.
Il semblerait que ce soit avec ce genre d’interrogations que les équipes d’Astro travaillent sur leurs affiches. Evidemment, il y a la danse, la fête, la catharsis. ANNA à la Carène, pour un set techno, pas dans la dentelle certes, mais incroyable efficace. Même chose le lendemain soir chez Sharplines, DJ italien signé sur le label breton RND Records et invité dans le cadre d’une soirée 100% Gwenn ha Du à la Suite, aux côtés de Madben notamment. Avec les incursions drum’n’bass d’Overmono, le scratch jouissif de Djrum sur du James Brown, ou Kenny Dope, la tête d’affiche plutôt house du week-end. Du sens, c’est plutôt du côté de Deena Abdelwahed et de son album Khonnar, joué en live ce week-end-là, qu’il faudra le chercher : un poil expérimental pour l’heure avancée (et l’état tout à fait proportionnel des participants), le concert fait surtout office de piqûre de rappel sur l’engagement politique et féministe de ce beau disque – engagement que la productrice tunisienne expliquait quelques heures plus tôt au micro de Tsugi Radio.
Mais la réponse à toutes ces interrogations se trouvait peut-être le samedi à 16 heures, bizarrement en plein jour, au sous-sol du Vauban – hôtel mythique et libertaire brestois, cachant en son sein une boîte de nuit. Cette après-midi-là, une teuf est organisée, avec DJ-sets. Classique. Mais les participants ont entre 6 et 12 ans – certains ont l’air encore plus petits que ça. Ballons partout, château gonflable, salle de destruction pour peindre aux murs sans se faire gronder par papa et maman, ateliers maquillage… et danse. Il y a des gamins partout, c’est tout juste si on ne marcherait pas sur un par inadvertance – et sans vouloir cafter, c’est arrivé à un confrère. Ils sautent, ils regardent fixement le DJ l’air fasciné, ils discutent entre copains. Comme une vraie fête. Cette boum au Vauban, avant tout simple curiosité pour les nullipares, porte peut-être en elle la réponse à toutes nos questions. On fait la fête pour se sentir vivant, et innocent, et sans problèmes, comme quand le plus grand drame de nos journées c’était un peu de retard sur le goûter. On fait la fête pour rester jeunes. Et c’est parce qu’on est jeune qu’on aime la faire, à 6 ou 66 ans. Astro a su garder cette flamme, d’années en années, de reconnaissances institutionnelles en ateliers pour les gosses des quartiers, d’énormes fiestas en créations au théâtre (cette année Manu le Malin et Regina Demina, la veille de notre arrivée). Peu importe si le festival fête déjà ses 25 ans cette année : y’a pas à dire, ça conserve.