Astropolis 2018 : promesses tenues
Que dire de plus sur Astropolis ? Ceux qui savent, savent. Les autres ont au moins lu quelques petites choses sur le rendez-vous breton : programmation électronique, esprit rappelant parfois celui des raves, scène Mekanik tenue par Manu Le Malin et consacrée aux musiques pas très douces, vieilles pierres, grosses teufs. Alors quand on vit son premier Astro été, 24 éditions après la bataille, difficile de ne pas verser dans les poncifs habituels sus-cités. Et pourtant, une réputation ne se construit jamais par hasard. Pas celle d’Astropolis en tout cas : tout ce qu’on nous a promis, on y a eu le droit, même en essayant de ne pas tomber dans les pièges légendaires du festival. Journal de bord de trois jours brestois, citation pleines de mauvaise foi à l’appui.
« Non non, on n’ira pas à la Suite ce soir, faut être en forme pour demain »
Si Astropolis version été fait surtout parler de lui pour sa grosse soirée au manoir de Keroual (on y reviendra), il serait dommage de zapper l’apéro : un vendredi soir entre la Carène et la Suite. La première est une grande salle de concert, la seconde une boîte de nuit comme on n’en fait de moins en moins, avec déco kitsch et barre de pole-dance. Les deux, installées non loin du port, se font judicieusement face. Et c’est à la Carène que démarrent les hostilités avec Molly, Kornel Kovacs, et surtout Agoria, qui présentait son nouveau live, déjà vu par certains à We Love Green. Et malheureusement, la déception est la même qu’au festival parisien, la proposition de Sébastien Devaud (son vrai nom) sonnant un poil trop « fiesta à Ibiza » pour le contexte d’Astro, plutôt porté sur la techno. Avalon Emerson reprendra tout ça avec un set mêlant techno pure, deep et passages breakés, tandis que s’entendent ça et là des « Non non, on n’ira pas à la Suite ce soir, faut être en forme pour demain ». Mais bien sûr… Tout ce petit monde se retrouvera évidemment de l’autre côté de la rue pour la fin du live d’Aleksi Perälä et le closing par Peter Van Hoesen, quasi hardtek. Parfait avant-goût du week-end.
« Il y a forcément des trucs qui vont moins nous plaire, du coup on n’y restera pas longtemps et on pourra tout voir »
Après une après-midi à chiller au soleil au Parc de la Marine, accueillant entre autres Zaltan et un super marchand de glace qui fabrique ses petits pots framboise-speculos en direct sur une plaque gelée (testé, approuvé !), direction le manoir de Keroual. Immense terrain plat bardé de vieilles pierres, le lieu est parfait pour faire la fête… Surtout quand un tel soin est apporté à la déco ! Chaque scène a le droit à son ambiance lumineuse propre, de La Cour et ses cubes à la Mekanik et ses néons. Mention spéciale au chapiteau de l’Astrofloor, orné de cercles de lumières disco-futuristes, judicieusement coincé entre une grande roue et des auto-tamponneuses : tout le monde a huit ans là-dedans. Enfin, des enfants de huit ans qui dansent devant le meilleur de la techno ou du hardcore international, tout de même. Impossible de voir et de parler de tout le monde, entre le Sonic Crew, aka l’équipe du festival qu’on aimerait voir mixer à chacune de nos soirées, le live de Madben qui a fait résonner son « Grief, Dance To Death » dans tout le Finistère, Dax J qui envoie de la techno indus et sombre dans La Cour (sans appel à la prière mais pas mal remonté tout de même), le live de LSD, aka Luke Slater, Steve Bicknell et Function, le taré de bass music au look de vampire Otto Von Schirach, Lenny Dee, Malke et Satronica pour un live hardcore à décoller le tympan… Dur dur de savoir où donner de l’oreille. Arrêtons-nous donc sur trois temps forts : Nina Kraviz, 14anger et Elisa Do Brasil. Pas forcément les trois piliers auxquels tout le monde s’attendait hein ? Justement, c’est ça aussi Astro : sortir des sentiers battus.
« Pas de débat passionné avec des inconnus, on n’a pas le temps »
Nina Kraviz d’abord. Ultra-attendue, la Russe continue de mitonner sa recette favorite : danser beaucoup, breaker pas mal, et énormément jouer sur les petits bruits qui irritent le conduit auditif. Ça ne plaira pas à tout le monde, n’en déplaise aux mauvaises langues (macho ?) qui diront que la demoiselle donne dans la musique commerciale – opinion entendue dans la queue des toilettes. Au contraire, balançant morceaux chelous et sorties de son label Trip, plus volontiers porté sur les tracks peu accessibles que sur les morceaux-bras-en-l’air, Nina Kraviz élève un peu le débat. C’est parfois raté, bien sûr. Entre 2h et 3h45, on a souvent envie d’un peu plus de bonne humeur et de bangers, c’est vrai. Mais il est temps de tordre le cou aux clichés entourant Kraviz : elle sera toujours beaucoup plus Aphex Twin que Calvin Harris. Et toc !
« Non, promis, on ne restera pas la majorité de la soirée à la Mekanik »
On ne parle pas assez de 14anger dans les médias (y compris dans ces pages). Pourtant, les sets de Clément Perez, de son vrai nom, valent clairement le détour. Croisé quelque fois sur l’excellent label français Tripallium, il était invité sur la Mekanik, la scène hardtek et hardcore et hard-onnesaitplusquoimettre. Complètement jouissif, son set aux doux relents de gabber avait une petite particularité : un MC impromptu, chauffant à blanc le chapiteau, en la personne de Manu Le Malin – programmateur de la Mekanik et faisant clairement partie des murs du festival. Même les plus fatigués dansent, ça se transforme en cours d’aérobic avec Satan en gentil organisateur. Tout ce qu’on aime. Et aussi tout ce qu’on déteste : quelques minutes plus tôt, on s’était dit naïvement « Non, non, promis, on ne restera pas la majorité de la soirée à la Mekanik ». 14anger achèvera donc cette bonne résolution, passant la main à [KRTM] pour un live puis à Manu himself – très bon comme souvent, mais ça on vous l’explique en long en large et en travers dans notre dernier numéro de Tsugi, dispo en kiosque depuis, justement, ce samedi d’Astropolis.
« On va bien aller voir Laurent Garnier quand même ? »
Aah, Laurent Garnier. Pour ceux qui écument les festivals électroniques (démasquée !), c’est une valeur sûre : il est souvent là certes, mais le set n’est jamais le même, le kiff est toujours immense. Sauf que. En face, jouait la marraine de la Mekanik, Elisa Do Brasil. Entendre de la drum’n’bass mixée comme de la dentelle, avec un set construit comme un voyage vers des contrées plus chaudes et plus fun, flirtant avec toutes les couleurs de cette musique irrésistible (franchement, qui n’a pas envie de se déhancher sur ces rythmes-là ?!), ce n’est vraiment pas tous les jours. Ce qui est bien dommage, un Front de réhabilitation de la drum méritant d’être créé face au peu de soirées d’n’b proposées à Paris… Mais ça c’est une autre histoire. Bref, tant pis pour Laurent, c’est à Elisa qu’on cherchera des poux pour ces dernières heures d’Astropolis. Une fois le soleil levé, triste réalisation : le chapiteau n’est plus très rempli, l’immense majorité du festival s’étant amassé à l’Astrofloor pour entendre « le patron ». Tant pis, tant mieux : seuls restent les irréductibles, sautillant comme des pop-corns à contre-temps, gueulant des « merci » quand un passage est particulièrement réussi – techniquement, Elisa Do Brasil éclate un bon nombre de ses homologues. Mais vers 7h45, c’est le drame : elle nous fait comprendre qu’il est temps (et c’est normal) d’aller nous coucher, en passant d’un coup à des ambiances hip-hop très chill. La plupart du chapiteau s’en va. Quelques dizaines de personnes s’accrochent, les jambes coupées, avec comme seul but de l’applaudir en toute fin de set. Sauf que… Comme un cadeau offert aux plus courageux, Elisa Do Brasil lâchera les chiens une dernière fois, pendant une dizaine de minutes, pour un bouquet final drum’n’bass incroyable. Tout le monde danse en groupe, pas forcément face à la DJ, des gens qui ne se connaissaient pas il y a une heure se lancent des sourires complices, quelques remplacements de hanche sont à prévoir. Clap de fin, cœurs avec les doigts, meilleur moment du festival. En partant rejoindre les navettes (une petite marche ombragée dans la forêt, aucune attente pour prendre son bus, retour en plein centre-ville… Sans faute !), difficile de ne pas tout de même prêter une oreille au closing de Garnier, qui passe… « Tombe la neige » de Salvatore Adamo, et des bruits de mouettes. Ca devait être, encore, grand.
« Non mais là, c’est sûr, on se couche tôt, trois jours de suite c’est pas gérable »
Quand y’en a plus, y’en a encore : histoire d’achever tout le monde en beauté, Astro joue chaque année les prolongations avec une soirée organisée au Vauban, hôtel-restaurant comptant également un club au sous-sol. Une bonne partie des artistes, habitués et journalistes sont logés là-bas – n’en déplaise à la terrasse de l’hôtel qui va certainement avoir un peu de mal à récupérer. C’est la boum de fin d’année, la soirée de fin de partiels, l’after de l’after de l’after, le point final à une phrase si longue et intense qu’on en perd son souffle. Bref, la chienlit, avec pour commencer Paulette Sauvage, notre découverte du festival : son set oscille entre techno breaké, deep, touches hardtek et quelques mélodies un poil transe – on aurait pu frôler le kitsch si le tout n’était pas délicieusement dark. Si c’est ça la nouvelle génération de techno music, comme l’énonce Voiron dans son « Génération Voiron », on signe tout de suite. La nuit se terminera avec The Driver aka Manu Le Malin (quand on vous dit que le bonhomme fait partie des murs), tandis que Christophe Lévêque, le proprio du château de Keriolet où a lieu la Spring papote en coulisse, que tout le monde a l’air vanné mais heureux, et que Gildas, l’un des deux orgas, finit sur scène pour les dernières minutes du set. Il est 5 heures du matin, le final est parfait.
« Astropolis est le meilleur festival électronique de France : on reviendra l’année prochaine » : ah, enfin une promesse qu’on compte tenir.
Meilleur moment : Elisaaaa.
Pire moment : Acheter un Astro à gratter, être super fière de sa blague, perdre.