Arnaud Rebotini pour « 120 Battements par minutes » : danser = vivre
Interview tirée de Tsugi 105, sorti en septembre 2017, disponible à la commande ici et publié ce jour car Arnaud Rebotini a gagné vendredi 2 mars le César de la meilleure bande-originale pour son travail sur 120 Battements par minutes – il sera sur le plateau de C à vous ce soir sur France 5 pour en parler. Regardez son émouvant discours ici.
Sensation du dernier festival de Cannes, le film 120 Battements par minute, qui raconte les années Act Up France, est brillamment mis en musique par Arnaud Rebotini, collaborateur privilégié du metteur en scène Robin Campillo, avec qui il a noué une relation fidèle. Entretien avec le producteur parisien, dont le travail oscille entre introspection et légèreté dancefloor.
Malgré la dimension « cinématographique » de certains de ses albums, Arnaud Rebotini n’avait pas encore été souvent contacté par le monde du cinéma (un titre composé en 2002 pour le film Novo de Jean-Pierre Limosin) quand le scénariste et réalisateur Robin Campillo l’a appelé la première fois. Depuis, et même si le créateur de Blackstrobe reconnaît ne pas être un grand cinéphile, il est devenu le « compositeur attitré » de Campillo et cela lui va « très bien comme ça ». Il nous raconte le travail qu’il vient de faire sur 120 Battements par minute avec le réalisateur, qui a raté de peu la Palme d’Or avec ce film racontant l’histoire d’Act Up, l’association de lutte contre le sida, dont la branche française a été fondée en 1989 par Didier Lestrade, l’une des plus fines plumes à avoir écrit sur la house et la techno.
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Comment as-tu rencontré Robin Campillo ?
C’est lui qui m’a contacté en 2007 ou 2008 quand il travaillait sur Entre les murs de Laurent Cantet (Campillo a monté le film et participé à l’écriture du scénario, ndlr). Il avait besoin d’un morceau à la manière de “Organique”, un titre de mon album sous le nom de Zend Avesta qu’il aimait particulièrement. Mais ce n’est pas allé très loin, car ils ont finalement décidé que la scène fonctionnait mieux sans musique. Quelques années plus tard il m’a rappelé alors qu’il réalisait son deuxième film, Eastern Boys (2013) pour me proposer cette fois d’en écrire la musique, en mélangeant de la techno pour les scènes de fêtes et des choses plus acoustiques proches, cette fois encore, de ce que je faisais à l’époque de Zend Avesta.
Qu’est ce qu’il voulait pour 120 BPM ?
Il lui fallait un thème dont les différents arrangements et déclinaisons serviraient de fil conducteur tout au long du film. J’en ai composé un premier qu’il a refusé et il a accepté le second. Il avait aussi besoin de morceaux house pour les scènes de club qui servent un peu de respirations. Robin tenait à ce que la musique ne soit pas trop sombre. Comme le dit Didier Lestrade, la musique et les nuits en clubs servaient de réconfort pour les malades du sida. Robin voulait une musique un peu disco, dans l’esprit de Nuyorican Soul, le projet parallèle des Masters At Work. Mais cela date plutôt de 1997, ce n’est pas l’époque où se déroule le film. Moi au contraire j’avais la vision d’une musique plus techno qui correspondait à celle des années 92/93, celles de l’émergence d’une musique plus dure. Robin ne voulait surtout pas ça, il tenait à un son plus léger et joyeux, pour les scènes de club comme pour les autres. Finalement, on s’est rejoint sur cette house gorgée de flûte, de piano et de cordes qu’on entendait aussi beaucoup à l’époque et qui revient aujourd’hui. Je me suis d’ailleurs acheté un Korg M1, qui était la machine la plus utilisée à l’époque, pour jouer la musique du film.
Quel genre de réalisateur est-il ?
Il sait parfaitement ce qu’il veut, ce qui simplifie toujours les choses. Il a une vision globale de son film dans les moindres détails. Dès l’écriture du scénario, il a des idées précises sur la musique qu’il souhaite. Sur Eastern Boys, je n’avais travaillé qu’une fois le film terminé, mais sur 120 BPM, la plupart de la musique était achevée avant le début du tournage. J’ai commencé à travailler avant la fin du casting. Du coup, j’ai pu assister au tournage, notamment pour les scènes de clubs où Robin tenait à ma présence.
Tu apprécies de travailler “sur commande” avec quelqu’un qui a une direction aussi précise ?
J’avoue que c’est assez reposant, d’autant que jusqu’à présent, il ne m’a demandé que des choses que je sais faire et que j’aime. Je suis soucieux de ma liberté quand je travaille à mes propres disques, mais j’apprécie aussi d’être au service d’un projet plus global, une oeuvre dont la musique n’est qu’un des aspects.
Il t’a fait écouter des références, des artistes ou des morceaux dont il souhaitait que tu t’inspires ?
Notamment “Nuage”, un formidable morceau de Ludovic Navarre (St Germain) et Shazz qui était sorti sur le label F Communications et que j’avais complètement oublié. Beaucoup de Masters At Work aussi. J’ai cherché à retrouver le son un peu cheap et bancal du début des années 90, que je trouve très touchant. Quand les producteurs ont eu accès à de plus gros studios et ont abandonné leurs petites boîtes à rythmes, quelque chose s’est perdu. J’ai recherché ce son des origines, avec ce côté gai et triste en même temps. Cette dimension soulful de la house venue du gospel.
Et toi, quelle a été ton inspiration ?
Je voulais faire la musique la plus humaine possible.
“Jérémie est mort du sida”, une déclinaison du thème très dépouillée, ressemble étrangement à une gymnopédie de Satie.
C’est une demande de Robin, qui souhaitait une version du thème uniquement au piano. C’est quand j’ai dénudé le thème que je me suis aperçu qu’il ressemblait à Satie. Je dis souvent que je suis fortement influencé par la musique classique française, Satie, Debussy, Ravel, et cette fois, je n’en avais même pas conscience en composant le thème. Ce n’est qu’en réalisant cette version au piano que je me suis aperçu que j’étais encore sous influence.
Ta palette musicale s’ouvre de plus en plus avec le temps. Tu alternes les disques très différents.
Les choses seraient sans doute plus simples si je faisais toujours de la techno. Quand tu changes souvent d’univers, tu perds les gens en route et le chemin est beaucoup plus long et difficile, mais je m’ennuie si je fais toujours la même chose. J’espère simplement que les gens vont s’apercevoir que j’ai une patte personnelle que l’on retrouve, quelle que soit la diversité de mes projets.
Es-tu fan de cinéma toi-même et de musique de film ?
Pas vraiment. Je ne suis pas un grand cinéphile et je ne suis pas fasciné par les compositeurs de musique de film, à part peut-être Nino Rota.
Le remix de “Smalltown Boy” de Bronski Beat a-t-il été difficile à faire ? Travailler sur un morceau culte, c’est plus compliqué qu’un remix ordinaire ?
J’adore ce morceau que je partage avec ma femme, qui aime l’écouter en fin de soirée, notamment la version de neuf minutes qui est sur le maxi de l’époque. Il devait absolument être dans le film, tout simplement parce que Jimmy Somerville a été l’un des premiers contributeurs d’Act Up Paris, en donnant des concerts pour l’association et en payant le loyer des bureaux. Honnêtement, cela fait un peu peur de s’attaquer à un titre pareil, je me suis fait le plus discret possible, restant fidèle à la grille du morceau qui met en valeur le chant. Je suis parti dans un truc un peu techno de Detroit en me disant que tout ce qui serait ajouté serait forcément vulgaire. Je voulais respecter au maximum le morceau, en faire simplement un truc plus club.
Que faisais-tu à l’époque où se déroule le film ?
J’étais encore étudiant, je faisais du death metal et je commençais à bidouiller mes premières machines. J’ai découvert l’électro avec le hip-hop et ensuite la new wave et les trucs noise, les musiques extrêmes. J’étais un peu comme ces jeunes d’aujourd’hui qui vont au Hellfest et à Concrete le week-end d’après. J’étais curieux de nouveautés à une époque où plein de choses apparaissaient en même temps.
Et comment entres-tu chez Rough Trade, comme vendeur du rayon électronique en compagnie d’Ivan Smagghe, au milieu des années 90 ?
J’ai rencontré la bande du magasin Danceteria, qui était l’ancêtre de Rough Trade, dans le quartier de Cardinal Lemoine, en lavant les carreaux de la boutique pour me faire un peu d’argent. C’était mon job d’étudiant.
Comme d’autres magasins de disques comme New Rose ou BPM, la boutique Rough Trade est devenue mythique dans l’imaginaire musical parisien. On raconte que les vendeurs comme Ivan et toi étaient toujours désagréables et engueulaient les clients… C’était comme ça ?
À peu près. (rires) C’était la période avant Internet, il était très difficile d’avoir des informations. Cette boutique était un centre névralgique par lequel tout transitait. Tout partait et tout arrivait là. J’étais heureux d’être au coeur des choses, je n’avais aucune raison de faire la gueule. Je ne crois pas qu’on engueulait réellement les clients, sauf peut-être ceux qui arrivaient défoncés en sortant de fêtes et demandaient trente maxis de Jeff Mills pour les écouter et n’en prendre aucun. Cela dit, j’imagine que certains prenaient mal qu’on réserve des sacs pour nos meilleurs clients comme DJ Deep, mais il faut se souvenir qu’à l’époque les disques nous arrivaient en un très petit nombre d’exemplaires. Il fallait gérer la rareté. On recevait souvent seulement quatre exemplaires d’un disque, il était normal de les garder pour nos meilleurs clients.
Sortais-tu beaucoup à l’époque ?
Oui, bien sûr, j’ai eu ma période Boy au début des années 90 avec les jeunes gay qui ressemblaient à des clones de Tintin. Je me sentais comme un plouc au milieu de gens hyper branchés. J’allais aussi aux soirées Hacienda à la Loco avec Erik Rug ou Dave Haslam, et bien sûr au Rex Club. Quelques raves aussi, notamment celle dans une énorme champignonnière.
L’excellent accueil dont bénéficie le film a-t-il eu un impact sur toi ? As-tu eu de nouveaux contacts depuis la projection à Cannes ?
Pas encore, même si toutes les maisons de disques se sont excitées pour sortir la BO. C’est un film choral dont la musique n’est qu’un des éléments. Même si je suis très fier de la musique que j’ai composée, je sais que les gens vont être avant tout submergés par l’émotion de l’histoire et les acteurs qui sont formidables.
Et la suite ?
Un album électronique presque terminé, qui sortira début 2018 sous le nom d’Arnaud Rebotini.