Angèle au Trianon : on y était
On connaît l’histoire : un artiste sort un single, puis deux, puis peut-être trois, arrive l’album, et enfin la tournée, qu’on espère à guichets fermés. Dans cet ordre. Sauf qu’Angèle ne fait rien comme tout le monde. Dès la fin janvier sa date au Trianon était complète, alors que la Belge n’avait à son actif que quelques reprises et un tube (« La Loi de Murphy ») en écoute sur Youtube – même pas en radio ! Hier soir, le 22 mai, la salle comble n’avait pas forcément eu beaucoup plus de biscuits à grignoter avant le concert : seul un titre (le tout aussi tubesque « Je veux tes yeux ») avait été rajouté à la discographie d’Angèle en ces quelques mois. Bref, on ne sait pas si c’est les nôtres, de yeux, qu’elle voulait ce soir-là, mais il fallait en tout cas les fermer et faire confiance : la setlist, on ne la connaîtra pas. Tant pis. La salle explosera de toute façon dès les premières notes de « La Loi de Murphy », chantée en choeur dans le public qui n’attendait que ce petit bonbon sucré pour faire décoller l’ambiance. Suite à ça, même les plus inconnus des morceaux seront accueillis par une haie d’honneur faite d’« Angèle, on t’aime ! » et de chorégraphies décomplexées.
Décomplexer : c’est, semble-t-il, l’un des objectifs d’Angèle en concert. Oui, elle est belle, c’est un fait. Mais ce n’est pas pour ça qu’il ne lui arrive pas de se sentir comme une « grosse merde » en regardant certaines photos Instagram parfaites et lisses. Elle fera de ce sentiment une chanson, « Big Shit ». Une autre évoque le mouvement #balancetonporc, proposant gentiment aux misogynes d’aller se faire « en-mmmmh » (enguirlander, sûrement !). Au détour d’un texte, elle assure qu’elle ne passera pas tant que ça à la radio, car ses mots « ne sont pas beaux« . Mais c’est justement quand elle chante, en tout simplicité, ses mots presque enfantins, qu’elle est la plus touchante – avec notamment un piano-voix en forme de déclaration d’amour naïve qui nous aurait presque fait mouiller les yeux. Ce n’est pas du Baudelaire, ce n’est pas le but. Mais ce n’est pas pour ça que ces fans de la première heure étaient là.
Les mauvaises langues diront que c’est une question de CV. La mythologie autour de la jeune chanteuse, soeur de Roméo Elvis et fille du chanteur Marka (première partie – improbable – de Céline Dion à Bercy en 1995, tout de même !), est pourtant lourde à porter. « On m’a dit que j’en étais là uniquement grâce à ma famille », regrette même Angèle en préambule d’une chanson-confession. Elle y reconnaît que toute l’attention portée sur elle reste artificielle, vu que pour l’instant, elle « n’a rien fait ». Pas faux : depuis Jacques, on n’avait pas vu un.e artiste avec si peu de morceaux en stock apparaître dans autant de médias – d’ailleurs, dans le fond de la salle, un bon nombre de professionnels de la profession se retrouvaient pour savoir si, oui ou non, cette hype était justifiée. Alors bien sûr, tout le monde a l’arbre généalogique en tête et sait d’avance qu’un guest en particulier va pointer le bout de son long nez. A la moindre allusion au rap, ça trépigne : quand est-ce qu’arrivera Roméo ? Il finira par poser un couplet, pour accompagner sa « grande petite soeur » (adorable) sur le titre « J’ai vu ». Débarquera également un invité sacré, inspiration pour Angèle et Roméo Elvis, collaborateur de Marka… MC Solaar ! Un petit cadeau pour une reprise de « Victime de la mode », qui ravivera encore un peu cette fameuse hype.
Sauf qu’on l’a dit plus haut : ce n’est pas vraiment pour ça qu’on va voir Angèle. C’est pour ses chansons bien sûr, accrocheuses, particulièrement jolies quand elles sont épurées (dont sa reprise émouvante de « Bruxelles » de Dick Annegarn) ou au contraire très électroniques. Mais c’est aussi pour voir qu’une enfant de la balle, à qui tout semble sourire en ce moment, se retrouve comme tout le monde à bader devant les réseaux sociaux, n’a parfois pas envie de sortir parce qu’elle a « La Flemme » ou « pas de thunes », se questionne sur le féminisme, peut être un peu jalouse, maladroite, autant victime de la mode que de la loi de Murphy. Et ça, ça fait un bien fou.