💿 Album du mois : Sylvie Kreusch reconstruit son cœur brisé avec une pop ambitieuse
C’est l’album du mois du Tsugi 145 (novembre 2021) : Montbray de Sylvie Kreusch, sorti sur Seedy Tricks/Sony Music.
Y a-t-il un thème plus éculé que celui de la peine de cœur ? Pourtant, pour réactiver son universalité, malgré plusieurs décennies d’exploitation, il suffit d’artistes capables de le réinventer. C’est ce que fait la Belge Sylvie Kreusch, avec son premier album solo. Ces dernières années, on a pu l’entendre au sein du groupe de rock Soldier’s Heart, ou dans le projet Warhaus aux côtés de Maarten Devoldere de Balthazar. Ici, elle se livre entièrement à une pop ambitieuse, aux multiples couches d’arrangements. Du genre à être à la fois un cri du cœur mais aussi un doux chuchotement. Bref, le type de pop qui semble convenir avant toute chose aux cœurs brisés. Pour reconstruire le sien, Kreusch est partie enregistrer à Montbray, petit village de la Manche. Et c’est autant la commune que le processus qu’elle y a vécu qui donne son nom au disque. Dans la ruralité, elle semble avoir trouvé une tranquillité qui permet à la fois de se retrancher sur soi, mais aussi de savourer à nouveau des plaisirs simples. Il suffit d’entendre « Walk Walk », hymne aux promenades de chiens, mais surtout aux nouveaux départs, pour saisir toute cette atmosphère.
Tout au long de ses douze titres, l’album nous rappelle que l’intime peut également s’apparenter à une cathédrale. Le travail vocal de la chanteuse fait sentir l’immensité de cet espace intérieur. Ce lieu, elle le remplit, avec tout un travail de reverb, d’échos. Sous de multiples formes, sa voix, pourtant souvent retenue, est avant tout d’une présence folle. Elle vient nous hanter, se croisant à ses chœurs d’enfants ; elle se démultiplie, se heurte aux arrangements, se réverbère dans chaque recoin, conférant au disque toute sa dimension envoûtante. Les instrumentations, résolument pop, et surtout très ambitieuses, rappellent parfois l’indie rock ou l’art rock, et plus encore le trip-hop. Mais surtout, tout ceci baigne dans un psychédélisme poignant. Tout ne semble que rêverie, bien que des lignes de basses toujours nettes et très mélodiques se chargent d’ancrer ces constructions sonores. S’en servant comme fil d’Ariane, Sylvie Kreusch explore chaque recoin de sa cathédrale intime, trouvant une étrange lumière dans les endroits les plus sombres ; décelant du mystère dans ce qu’on croyait évident.
Pièce par pièce, le disque opère comme un travail de reconstruction. Vient d’abord le deuil de la relation, la tristesse (« Falling High »), les doutes (le renversant « Shangri-La »), puis la rage, manifestée notamment dans « All Of Me », avec ses cuivres pétaradants, presque menaçants. Et même la reprise de confiance, à l’œuvre dans toute la seconde moitié du disque, culminant avec le triomphal « Let It All Burn ». Puis arrive ce titre final, qui semble boucler la boucle, comme un retour à la case départ. « Love’s a stranger forever », répète-t-elle. Car l’amour revient toujours à la charge, entraînant la peine avec lui. Mais après avoir vécu avec elle un parcours si riche en émotions, peut-être qu’on se connaît un peu mieux nous-mêmes. Suffisamment pour l’apprécier, même, cette peine.
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