đż Album du mois : le rock de Geese rappelle ce qui se fait de mieux depuis les Strokes
C’est l’album du mois du Tsugi 146 (dĂ©cembre 2021) : Projector de Geese, sorti sur Partisan Records/Pias.Â
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CâĂ©tait il y a vingt ans dĂ©jĂ . Avec leur premier album, les Strokes ouvraient une nouvelle Ăšre pour le rock, en replaçant New York en cĆur crĂ©atif du genre. RĂ©actualisant Blondie ou Television, ils ouvraient la voie Ă plĂ©thore de groupes britanniques (Bloc Party, Franz Ferdinand, Arctic Monkeys), ainsi quâĂ dâautres compĂšres de Brooklyn comme Vampire Weekend ou, plus rĂ©cemment, Parquet Courts. CâĂ©tait il y a vingt ans, et aucun des membres de Geese nâĂ©tait nĂ©. Pourtant, ils reprennent ce flambeau avec panache. Pour cela, ils profitent bien entendu du revival post-punk qui secoue les Ăźles britanniques depuis quelques annĂ©es : leur album sort sur Partisan, label dâIdles ou Fontaines D.C., avec un mixage de Dan Carey, dĂ©jĂ vu auprĂšs de Squid, black midi ou mĂȘme, justement, Bloc Party et Franz Ferdinand. Nâallez pas croire pourtant que ces cinq jeunes de Brooklyn ne sont que de talentueux hĂ©ritiers.
Car le groupe sâest avant tout fait seul : leur album Ă©tait dĂ©jĂ enregistrĂ© avant de rencontrer Carey ou Partisan. Et ce quâils proposent se dĂ©marque des disques tourmentĂ©s et rageurs venus dâEurope. Leurs duos de guitares rappellent ce quâil se fait de mieux dans la Big Apple depuis la bande de Tom Verlaine. Mais surtout, leurs goĂ»ts vont bien au-delĂ du simple art pop façon CBGB. Sâils maĂźtrisent leurs classiques, de Pink Floyd Ă Led Zeppelin, mais aussi Yes ou Radiohead, ils citent Ă©galement King Gizzard & The Lizard Wizard ou encore Animal Collective dans leurs influences. Il faut dire quâĂ leur Ăąge, peu importe lâĂ©poque : ils ont tout dĂ©couvert dâun bloc, et puisent dans lâhistoire du rock avec un enthousiasme juvĂ©nile et postmoderne. Ainsi, derriĂšre ce punk-funk peut sâentendre une myriade dâautres genres, qui sâentremĂȘlent. Avec ces riffs anguleux de guitares claires, de nombreux morceaux peuvent rappeler le math rock, notamment « Disco » et sa rythmique Ă sept temps. Le groupe multiplie les sorties de route, explorant tour Ă tour le psychĂ©, puis un rock presque progressif. Autant de genres souvent antagonistes, pourtant rĂ©unis par cette Ă©nergie adolescente imparable. Projector possĂšde ainsi plusieurs facettes, sans que lâune prenne vĂ©ritablement le pas sur lâautre. Mais le plus fort est que le groupe rĂ©ussit ce mĂ©lange sans tomber dans la posture ni lâexcĂšs. Tout reste trĂšs cohĂ©rent, intuitif ; plus accessible que les touffus black midi, moins kalĂ©idoscopique quâun Black Country, New Road. En un mot : efficace. Lâalbum est notamment sous-tendu par un sentiment dâurgence, toujours fondamental dans ce registre. Celui-ci ne vient pas uniquement dâune angoisse adolescente, mais aussi de contraintes pratiques : les cinq compĂšres Ă©taient encore au lycĂ©e pendant lâĂ©criture du disque. Il fallait donc mettre Ă profit le peu de temps quâils avaient pour rĂ©pĂ©ter, et aller Ă lâessentiel. On pourrait presque avoir peur pour les Geese, maintenant quâils ont du temps devant eux, et un label qui les soutient. Mais Projector prouve quâils ont assez de maturitĂ© pour faire les bons choix.
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