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©Jaxon Whittington
27 octobre 2020

Actress : « Est-ce que les gens aimeraient ce morceau s’ils savaient ce qu’il y a derrière ? »

par Léonie Ruellan

Il aura fallu attendre sept albums pour entendre des voix sur les productions électroniques du mystérieux Darren Cunningham alias Actress. Avec Karma & Desire qu’il vient de sortir sur le label Ninja Tune, le Britannique démontre encore une fois qu’il n’aime pas se reposer sur ses lauriers. Depuis Berlin, il nous a expliqué les dessous de son album riche en tracks (17), en textures, en ambiances et en réflexions sur la technologie ou même l’industrie du disque, qu’il décrit comme « une tragédie romantique qui se déroule entre les cieux et les enfers ».

Artwork

Depuis son premier album Splazsh en 2010, Darren Cunningham a su cultiver le côté mystérieux et inaccessible d’Actress, son alias qui se veut deep et dark. Empruntant à la techno, à la house et l’electronica pour construire un son unique parfois déstabilisant, l’insaisissable personnage a toujours cherché à expérimenter, à pousser plus loin les limites de sa musique. Mais son penchant pour l’expérimentation ne s’arrête pas là : avant de publier Karma & Desire, le producteur s’est amusé à imaginer une nouvelle façon de concevoir le marketing autour d’un album. En juillet, après deux ans d’absence, il postait un mystérieux tweet qui annonçait qu’un album sortirait « sous 24 heures ». La mixtape 88 était révélée le lendemain, sous forme d’une unique piste et en téléchargement libre, à condition de découvrir soi-même le mot de passe avec pour seul indice ces trois mots : « Fate with love ». La surprise en cachait une autre : Actress annonçait dans le même temps la sortie de Karma & Desire en octobre et en révélait sa tracklist bien que les noms des collaborations demeuraient cryptées par le symbole ∆. En septembre, la tracklist entière était enfin dévoilée.

« Tout ce processus était une façon d’expérimenter dans la distribution digitale, de faire du marketing créatif. Et concevoir d’autres manières d’appréhender le streaming, afin qu’il puisse redonner le pouvoir aux artistes. »

« L’attention n’était pas de faire mystérieux, mais simplement de concevoir les deux disques comme des jumeaux ou deux parties du même ensemble : 88 comme le yin et Karma & Desire comme le yang. Tout ce processus était une façon d’expérimenter dans la distribution digitale, de faire du marketing créatif. Et concevoir d’autres manières d’appréhender le streaming, afin qu’il puisse redonner le pouvoir aux artistes. Je voulais voir les réactions que cela allait engendrer. 88 a été à la fois créé, teasé et distribué en l’espace de 48 heures seulement, et il a en plus de tout cela servi à annoncer la sortie de mon prochain album. C’était une expérience intéressante. »

©Jaxon Whittington

Intéressante et surtout d’actualité, quand on sait que le syndicat américain des musiciens (Union of Musicians and Allied Workers) vient de lancer la campagne « Justice At Spotify », et que le gouvernement britannique mène une enquête sur l’économie du streaming musical. Bien vu. Il faut dire qu’Actress a souvent su faire preuve de génie, non seulement dans sa musique, mais aussi dans ses thèmes, qui, toujours très réfléchis, abordent des sujets bien loin d’être légers comme l’essence de l’humain et son rapport aux machines ou l’aliénation par la vie urbaine. Être cérébral fait aussi partie du personnage. Dans Karma & Desire, il réitère : « Ça parle de l’amour, de la mort, et d’autres sujets contemplatifs que j’ai trouvés en cherchant en moi. Par exemple, quand je finissais le titre « Many Seas, Many Rivers », c’était pendant les évènements qui ont suivi la mort de George Floyd. Tout ce contexte a donc donné une nouvelle thématique au morceau, celle de l’identité, du questionnement autour de la race, etc. Ça m’a en quelque sorte rapproché de mes ancêtres. »

Mais la plus grande thématique et influence de l’album est, selon l’artiste, la technologie. « J’ai travaillé sur PC et ça a complètement changé ma manière de m’organiser et de penser l’album. » On peut d’ailleurs entendre le son de ce qui ressemble à un clic de souris d’ordinateur à la fin du track « Leaves Against The Sky » : « Habituellement, ce bruit est considéré comme pénible par la plupart des gens, mais sans ce son particulier le morceau ne fonctionnerait pas ».

« Est-ce que les gens trouveraient tout de même que c’est un beau morceau s’ils savaient ce qu’il y a derrière ? »

Fruit de quatre années de travail, chaque détail des 17 morceaux a été pensé et travaillé. Les basses sont saturées, les réverbes omniprésentes, pour un album qui navigue entre bass music et house, voire trip-hop et ambient. La grande nouveauté, ce sont les voix. On y entend la chanteuse Zsela ou le chanteur Sampha (qu’a découvert SBTRKT). D’autres collaborations ont eu lieu sur la production, comme celle avec la pianiste et cheffe d’orchestre italienne Vanessa Benelli Mosell sur le morceau le moins électronique de l’album, « Public Life ». Mais surprise : c’est un morceau entièrement électronique, car les notes de piano ont été faites avec une I.A. « Est-ce que les gens trouveraient tout de même que c’est un beau morceau s’ils savaient ce qu’il y a derrière ? C’est une question que je me suis sans cesse posé en le composant. »

Des « trucs d’I.A. », Actress en a également utilisé « plein » sur la mixtape 88. Si l’intelligence artificielle est le nouveau jeu du producteur, sa musique n’a pas fini d’évoluer. Il prévient lui-même : « Je ne peux pas vraiment dire mes plans pour le futur mais mon objectif premier reste de continuer à évoluer, rester ouvert à tous les projets, et réfléchir à de nouvelles et rafraîchissantes manières de présenter mon art. Je vais m’intéresser davantage au marketing et me lancer dans des projets cools, mais ça restera connecté à la musique, vous verrez. »

Et ce court-métrage conçu autour de l’album en est encore un excellent exemple :

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