Tair, Liron & Tagel Haim aka A-WA prĂ©sentent aujourd’hui leur premier album, Habib Galbi, prĂ©cĂ©dĂ© par un single du mĂȘme nom qui a rĂ©sonnĂ© partout les mois passĂ©s. Pour l’occasion, nous sommes allĂ©s rencontrer les trois soeurs qui nous ont parlĂ© de leur enfance heureuse baignĂ©e de musique, de l’hĂ©ritage de leurs grands-parents, d’un certain fĂ©minisme dans lequel elles se reconnaissent et de leur nouvelle vie Ă  sillonner le ciel.

Vous ĂȘtes originaires de Shararut, au Sud d’IsraĂ«l. C’est quoi exactement le quotidien de trois soeurs qui grandissent dans un si petit village ? 

Shararut est un trĂšs bel endroit entourĂ© de montagnes magnifiques avec des chameaux, des chĂšvres, des poulets, des Ăąnes, des chevaux. On sortait toutes les trois pieds nus, on chantait dans le vent; on a eu une enfance magique. C’était une petite communautĂ© – Ă  peine plus de trente familles – et il n’y avait pas tant d’enfants alors nous avons pris l’habitude de jouer entre nous et avec nos deux petites soeurs et notre grand frĂšre. DĂ©sormais, nous habitons Ă  IsraĂ«l mais nos parents y habitent toujours, notre grand-mĂšre maternelle aussi. 

Votre amour pour la musique vient-il de vos parents ? 

Notre pĂšre est un musicien – il joue de la guitare et du bouzouki – et un vrai mĂ©lomane, il passait toujours de vieux vinyles des annĂ©es 60/70 dans la maison : du rock progressif, de la musique traditionnelle israĂ©lienne, beaucoup de musique grecque, de la musique pop des annĂ©es 80
 et de la musique yĂ©mĂ©nite Ă©videmment ! Cette derniĂšre, nous l’avons surtout dĂ©couverte grĂące Ă  nos grands-parents. Ils possĂ©daient de vieilles cassettes sur lesquelles ils avaient enregistrĂ© des immigrants yĂ©mĂ©nites qui chantaient en arrivant en IsraĂ«l. Nous adorions Ă©couter ça. Au dĂ©but des annĂ©es 90, MTV est arrivĂ©e et cela nous a Ă©galement beaucoup influencĂ©; le hip-hop, la pop, nous nous sommes ouvertes Ă  cette culture. 

D’oĂč vous est venue l’envie de crĂ©er ce genre de musique, aux confins de la tradition et de la modernitĂ© ? 

Cela nous est venu naturellement, la musique yĂ©mĂ©nite a eu un gros impact sur nos vies, elle fait partie de nous. C’est un genre bien Ă  part et cela nous rappelle d’oĂč nos grands-parents sont originaires. A cĂŽtĂ© de cela, nous aimons le hip-hop, le reggae, la musique groovy, alors l’envie de mixer nos racines avec ces diffĂ©rents genres est arrivĂ©e rapidement. Nous avons trouvĂ© la bonne façon de nous exprimer musicalement. Depuis notre enfance, nous connaissons des chansons de notre communautĂ© grĂące Ă  des chanteurs originaires du Yemen qui perpĂ©tuent la tradition en chantant au cours de petites cĂ©rĂ©monies destinĂ©es Ă  la communautĂ©. Notre grand-mĂšre nous a Ă©galement initiĂ© aux chants yĂ©mĂ©nites, elle nous en chantait certains comme « Habib Galbi Â». Pour le reste, nous avons dĂ©couverts de vieux enregistrements sur des cassettes; c’était un vrai trĂ©sor pour nous car ces morceaux n’avaient jamais Ă©tĂ© jouĂ©s sur scĂšne. A l’origine, ils n’avaient mĂȘme jamais bĂ©nĂ©ficiĂ© d’enregistrements officiels avant que des juifs yĂ©mĂ©nites comme nos grands-parents arrivent en IsraĂ«l (La majoritĂ© des juifs yĂ©mĂ©nites ont Ă©migrĂ© en IsraĂ«l en 1949 au cours de l’opĂ©ration dite « Tapis Volant Â» NDLR) et les fassent enregistrer grĂące au premier studio d’enregistrement du pays; c’était seulement des chansons qui se transmettaient de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Evidemment, elles ont beaucoup changĂ© depuis leur crĂ©ation : lorsque qu’une femme apprenait Ă  une autre femme Ă  chanter, elle ajoutait son propre style, etc. C’est un matĂ©riau trĂšs mallĂ©able, c’est pour cela que l’on s’est dit que nous aussi, nous pourrions les modifier, rajouter des passages, les rendre nĂŽtres en quelque sorte. 

Ces chants yĂ©mĂ©nites Ă©taient donc originellement une affaire de femmes ? 

Exactement. Les femmes au Yemen n’avaient pas le droit de lire, ni d’écrire. Elles ne pouvaient pas non plus aller Ă  la synagogue, la religion Ă©tait une affaire rĂ©servĂ©e aux hommes. Le seul moyen qu’il restait Ă  ces femmes pour exprimer leurs Ă©motions intimes Ă©taient de le faire Ă  travers ces chansons qu’elles chantaient uniquement entre elles. Du coup, toutes les chants le sont d’un point de vue fĂ©minin. Ce sont des histoires trĂšs fortes d’amour, de haine, d’espoir, de rĂȘve et d’humanitĂ©. Dans « Habib Galbi Â» par exemple, la femme-narrateur dit : « Amour de mon coeur et de mes yeux, qui t’a donc retournĂ© contre moi ? Je lui souhaite de manger sans appĂ©tit et sans goĂ»t Â». Ces femmes Ă©taient tellement braves, Ă  travers leurs mots mis en musique, elles pouvaient exprimer tout ce qu’elles souhaitaient. Si l’une Ă©tait malheureuse d’avoir Ă©tĂ© mariĂ©e de force Ă  un homme qu’elle n’aimait pas, elle chantait Ă  propos de cela. Ou si un autre femme se sentait remplie de joie, de bonheur et d’amour, elle en parlait Ă©galement Ă  travers sa musique, cela pouvait ĂȘtre fougueux voire mĂȘme coquin ! Ce sont des morceaux trĂšs poĂ©tiques, avec un vrai sens de l’humour, des expressions, des mĂ©taphores, c’est trĂšs imagĂ©. Une autre chanson dit : « Je voudrais que tu sois une rose pour pouvoir couper tes Ă©pines et que tu ne me fasses plus de mal Â». Dans les assemblĂ©es que tenaient les femmes, elles s’exprimaient Ă©galement avec des gestes, des danses, de maniĂšre trĂšs théùtrale. Les autres femmes pouvaient rĂ©pondre Ă  la chanteuse, rĂ©pĂ©ter aprĂšs elle ou bien encore ajouter des paroles Ă  la chanson pour exprimer ce qu’elles ressentaient par rapport au rĂ©cit du morceau. 

Est-ce que vous pensez porter un message aux femmes du monde ? Vous vous dĂ©finissez comme fĂ©ministes ? 

Oui Ă©videmment, mais dans le bon sens du terme! Nous ne dĂ©testons pas les hommes, nous respectons les hommes bons, et nous n’avons pas envie de bruler nos soutien-gorges ! Mais c’est important pour nous de valoriser les femmes et de porter le message suivant : Soyez Ă  l’aise avec ce que vous ĂȘtes et cĂ©lĂ©brez votre fĂ©minitĂ© ! Nous nous inspirons de femmes fortes, comme BeyoncĂ©, sa soeur Solange, Jay-Lo, Adele. Nous aimons ces femmes car elles produisent leur propre musique, en suivant leur envie, en utilisant leurs propres mots, en se forgeant un style bien Ă  elles. Ce n’est pas simple d’ĂȘtre une femme dans ce monde, nous devons donner naissance tout en nous occupant de notre carriĂšre. Quand vous voyez trois femmes sur scĂšne, cela a forcĂ©ment un gros impact. Souvent, des femmes viennent nous voir aprĂšs nos concerts et nous disent : « Je me suis sentie une femme trĂšs forte ce soir Â», c’est un message fort pour nous. Dans certains endroits du monde, aujourd’hui encore, certaines femmes ne sont pas libres. Elles ne peuvent pas s’habiller comme elles veulent, elles doivent se couvrir. A notre dernier concert, une jeune femme prĂšs de la scĂšne bougeait sur la musique, elle la ressentait complĂštement; une sorte de transe. Elle se mouvait au son du violon, des voix, sur chaque note. Nous voulons que les gens expĂ©rimentent nos concerts de maniĂšre spirituelle. Et mĂȘme s’ils ne comprennent pas les paroles, ils ressentent les voix, les Ă©motions dont nous parlons. Parfois, nous expliquons certaines chansons mais nous la plupart du temps, nous prĂ©fĂ©rons garder le mystĂšre pour que les auditeurs y trouvent ce qu’ils veulent. 

Vous avez utilisĂ© des instruments traditionnels sur ce premier album ? 

Si on veut oui, mais nous ne les utilisons pas de maniĂšre traditionnelle. Au Yemen, les Juifs jouaient sur des batteries improvisĂ©es et assez primitives – des assiettes en argent, des canettes en mĂ©tal, etc. Sur l’album, nous n’avons pas utilisĂ© les percussions de cette façon. Nos voix sont tribales, nous utilisons un dialecte exact mais la production est des plus modernes. C’est un peu comme un mĂ©lange de musique folk et afro-amĂ©ricaine, tout est basĂ© sur le rythme. A cela, nous avons mixĂ© des inspirations venant de la musique caribĂ©enne, du reggae, du hip-hop bien sur, du rock psychĂ©dĂ©lique – qui se ressent dans nos claviers. Le tout donne une atmosphĂšre trĂšs onirique. 

Vous semblez avoir également de bonnes connaissances en musique électronique. Vous en écoutez beaucoup ?

Nous aimons des groupes indĂ© comme Tame Impala ou Unknown Mortal Orchestra. Aussi, nous avons rencontrĂ© DĂ©bruit aux Nuits Sonores le mois dernier, et nous adorons ce qu’il fait. 

« Habib Galbi Â» a rencontrĂ© un Ă©norme succĂšs en Europe. A-t’il Ă©tĂ© reçu de la mĂȘme maniĂšre en IsraĂ«l ? 

Oui, il passe Ă  la radio et s’est retrouvĂ© en tĂȘte des charts. Jamais nous n’aurions pu espĂ©rer cela. Et puis, nous avons le soutien infaillible de notre famille. Nos parents sont nos premiers fans, ils nous supportent Ă  100%, depuis le dĂ©but. 

Et vous alors ? Qu’est-ce qui a changĂ© dans vos vies depuis le carton du single ? 

Nous sommes toujours les mĂȘmes dans nos coeurs, de simples jeunes filles du dĂ©sert. Ce qui change, c’est que nous voyageons beaucoup, nous rencontrons un tas de personnes, nous dĂ©couvrons des endroits magiques. Nous testons aussi de la nourriture dĂ©licieuse – vous avez de si bons fromages, du bon vin et nous adorons votre soupe Ă  l’oignon ! – et nous nous frottons Ă  de nouvelles cultures. « Habib Galbi Â» nous a donnĂ© le courage de crĂ©er de nouvelles choses et nous avons compris grĂące Ă  cela que nous avions le pouvoir de crĂ©er notre propre rĂ©alitĂ©. Notre pĂšre, lui-mĂȘme, ne percevait pas combien notre rĂȘve Ă©tait grand. Nous lui avons dit « Papa, nous aimons cette musique, nous nous fichons de ce que penseront les gens qui n’aimeront pas. Nous voulons seulement chanter ce que notre coeur nous dit. Â» 

Votre prochain album sera-t’il aussi baignĂ© de tradition yĂ©mĂ©nite ou prĂ©voyez-vous de produire des morceaux plus modernes sur le fond ? 

Nous allons garder notre « son Â» que nous avons trouvĂ© avec ce premier album mais nous allons l’emmener Ă  un niveau supĂ©rieur en crĂ©ant des morceaux originaux avec des Ă©lĂ©ments yĂ©mĂ©nites – toujours – mais en les combinant avec de la langue anglaise et une production que l’on souhaite plus Ă©trange et Ă©tonnante encore. Et puis, nous aimerions collaborer avec des artistes cools comme Pharrell Williams – nous rĂȘvons grand, oui (rires) ! Nous adorons aussi Stromae, les israĂ©liens adorent ses productions ! Nous avons collaborĂ© avec Acid Arab que nous avons rencontrĂ© aprĂšs que nous ayons participĂ© Ă  la mĂȘme Boiler Room, en IsraĂ«l. Ils ont remixĂ© « Habib Galbi Â» et nous avons Ă©galement enregistrĂ© un nouveau morceau avec eux, mais c’est une surprise ! La seule chose que l’on peut rĂ©vĂ©ler, c’est qu’il devrait sortir sur le prochain album d’Acid Arab ! 

A-WA sera en concert Ă  l’ElysĂ©e Montmartre le 6 dĂ©cembre prochain et sillonera les routes de France cet Ă©tĂ© !