Europavox, une histoire européenne
Festivals, média, réseau de programmateurs, le projet Europavox met tout en œuvre pour aider la mobilité de jeunes groupes européens, en cultivant un véritable esprit familial et collaboratif. De quoi ramener un peu de rêve dans une Union européenne qui en manque.
L’Europe a-t-elle du plomb dans l’aile? Le Brexit a freiné les ardeurs des partisans de l’Union européenne, et la dynamique actuelle semble plutôt être au repli national. Pourtant, certains continuent d’y croire. Au-delà des enjeux économiques sclérosants, les idées de rencontre, de curiosité et de mobilité sont encore là. Encore faut-il qu’elles puissent exister dans l’Union actuelle. Et c’est à cela qu’aspire Europavox – par le biais de la musique. Difficile de résumer ce projet: festival, et même série de festivals déclinés dans sept pays ; média de curation d’artistes émergents ; réseau de professionnels de la musique à l’échelle du continent. C’est tout cela à la fois, dans le but d’aider les artistes à dépasser les frontières de leur pays. « L’eldorado des musiciens, ce sont l’Angleterre et les États-Unis, pour des tas de raisons valables, explique François Missonnier, fondateur du projet. Mais on vit tout de même sur un continent de 500 millions d’habitants. Et puis il y a de belles choses dans les pays à côté, ce serait dommage de ne pas y prêter attention. »
L’origine du projet Europavox remonte à 2005. Missonnier est alors directeur du tout jeune Rock en Seine (poste qu’il occupe jusqu’en 2017). Il est contacté par la région Auvergne, d’où il est originaire, pour monter un festival sur le territoire des volcans. « C’était le moment du référendum sur la constitution européenne, raconte-t-il. C’était la première fois que le sujet occupait autant de place dans les médias. Sauf que la culture était assez largement absente, et la jeunesse mise de côté. » Conscient que ces deux éléments sont le ciment de projets politiques, il lie alors cette philosophie à l’essence du festival.
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« Ce qui nourrit le projet, c’est l’idée que nos différences ne sont pas un frein à une aventure commune. » La première édition a lieu en 2006 à Clermont-Ferrand. Et il se tient encore aujourd’hui dans cette ville, avec une double orientation: une programmation de cadors nationaux (Vald, Clara Luciani, etc.), aux côtés d’artistes émergents européens. Une ouverture qui doit être pensée jusqu’au bout, précise Missonnier: « Dès le début, on sentait qu’on ne pouvait pas juste programmer depuis la France, avec notre vision, nos goûts. » Pas à pas, des contacts sont pris avec des programmateurs, directeurs artistiques, journalistes, menant à un réseau constitué aujourd’hui d’une cinquantaine de personnes. Faisant du festival clermontois un véhicule bien étroit. En résulte donc cette déclinaison dans six autres pays : Belgique (Bruxelles), Italie (Bologne), Croatie (Zagreb), Roumanie (Bucarest), Lituanie (Vilnius) et Autriche (Vienne). « Mais le vaisseau amiral reste à Clermont ! » précise Missonnier. Et puis il y a le média, un site internet disponible en trois langues (français, anglais et allemand) mettant en avant chaque année plus de cent artistes venus de toute l’Europe.
Facilitateur d’échanges
En novembre dernier avait ainsi lieu l’étape viennoise 2022 d’Europavox. Le centre socioculturel du WUK, ancienne usine de trains en plein cœur de la capitale autrichienne, devenue à la fois salle d’exposition, studio de répétition, lieu de débats, bar, salle de concert et école maternelle, incarne d’emblée l’envie de diversité du festival. Sur deux soirs se sont ainsi succédé le chanteur et compositeur grec Theodore, entre électronica, piano et synth-wave mélodique, Mischa Blanos, pianiste roumain croisant techno et classique signé chez InFiné, le duo slovénocroate et soul Freekind, et la Suisse Émilie Zoé, au rock hérité de PJ Harvey, ainsi qu’un artiste de la scène folk locale, Doppelfinger. Le résultat d’une double exigence de diversité, musicale et géographique, défendue par le programmateur du lieu Hannes Cistota. Celui-ci ne tarit pas d’éloges sur Europavox: «Quand François est venu nous rencontrer il y a dix ans, j’ai tout de suite adhéré au projet. »
«Ce qui nourrit le projet, c’est l’idée que nos différences ne sont pas un frein à une aventure commune.»
Francois Missonnier
Et si l’affluence reste modeste, l’enthousiasme est bien présent, sur scène comme dans le public. De quoi satisfaire l’équipe du festival, dont le coordinateur artistique François Audigier: « Pour moi, c’est un exemple de soirée réussie. Ce qui compte, c’est qu’artistes et public passent un moment fort. » Tout repose selon lui sur la pierre angulaire du projet: la curation, incarnée depuis 2017 par la partie média du projet. « On est en alerte permanente sur ce qu’il se passe en Europe », explique-t-il, et les propositions ne manquent pas. Après un processus collaboratif – car « le programmateur génie, ça n’existe pas » – dix groupes sont retenus chaque mois, et un vote avec les programmateurs des sept festivals désigne la formation élue « groupe du mois ». Une seule règle: l’artiste doit être prêt à tourner à l’international. « Notre seul objectif, c’est de faciliter les groupes à l’export », souligne Audigier. En dehors de ça, un seul critère selon lui: « Je ne crois qu’en la musique qui a du cœur. » Une vision qui produit la principale singularité d’Europavox: son aspect familial. À chaque instant durant le festival viennois, l’esprit de camaraderie entre les différents membres est palpable. Certains ont même fait une longue route, depuis la Lituanie ou l’Italie. Pour leur activité de programmateurs, mais surtout pour retrouver des amis. « Ça s’est construit comme une évidence, raconte François Missonnier, et le partage n’en est que plus spontané. »
Hannes poursuit: « On discute souvent ensemble, pour le site, mais plus largement pour se recommander des groupes. » Ou même tout autre chose. « Durant la pandémie, on se racontait nos quotidiens, poursuit Missonnier. Et on voyait que chaque pays vivait cette pandémie différemment, mais au niveau intime, on vivait la même chose, et partager cela était incroyable. Et tellement réconfortant. »
À l’échelle du continent
Ces échanges nourrissent également la volonté d’équité entre pays du projet. Car comme le souligne Hannes : « Remplir une salle de mille personnes est plus accessible à Paris qu’à Bologne ou Bucarest. » Missonnier abonde: « On voit à quel point notre pays est privilégié culturellement, concernant les supports médiatiques, d’infrastructures ou politiques. Il faut le prendre en compte dans nos échanges. » En plus d’insister sur des pays plus rares (comme les Îles Féroé ou la Moldavie), cela entraîne un autre effet, observé par François Audigier: « Vu le niveau exigé par nos partenaires, il faut que l’on fasse encore mieux sur les artistes français qu’on propose. On se met une grosse pression. » D’où la présence d’artistes déjà relativement installés en France, comme Vladimir Cauchemar ou Aloïse Sauvage. Ces questionnements font d’ailleurs d’Europavox, un projet sans cesse en évolution.
Après un remaniement du site en 2021, le prochain chantier sera l’écologie. « On ne peut pas renoncer à la mobilité des artistes, c’est le cœur de notre projet », souligne Missonnier. Mais il faut « réfléchir à l’opposé de la logique actuelle, où l’artiste vient en avion, fait son concert et repart immédiatement après ». Les options sont nombreuses : interventions dans des écoles ou centre médicosociaux, résidences, mini-tournée. Bref, « que le voyage nourrisse quelque chose de plus vaste qu’un simple concert ». D’autres projets sont en cours, comme Europavox Campus, tremplin étudiant organisé en février dans quatre universités de Norvège, Roumanie, Allemagne et France, avant une finale commune en avril. Dans tout cela, le rapport aux institutions est crucial. Le lancement du média en 2017 repose sur son inclusion dans le programme Europe Créative. Celui-ci soutient tout type de projets culturels dans l’Union entière, avec un budget de 2,44 milliards d’euros pour la période 2021- 2027. « On était surpris d’y avoir droit. Les musiques actuelles y sont rarement représentées » avoue Missonnier. D’autres partenariats existent, comme des concerts dans le Parlement, ou à l’occasion de la Fête de l’Europe.
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Car si le projet se veut non partisan, Missonnier reste convaincu qu’à l’heure des montées des nationalismes, « la bonne échelle, ce n’est pas le pays, mais le continent ». Le renouvellement du financement Europe Créative, à venir en 2024, implique de nouveaux changements, dont l’arrivée possible de nouveaux partenaires. Avec le risque de fragiliser l’aspect familial, auquel personne ne veut renoncer.« À long terme, c’est ce genre de partage qui sera le ciment de ce qu’est l’Europe, plus que les traités », affirme Missonnier. Mais il reste optimiste. « Mon fantasme, c’est qu’il y ait un festival dans les vingt-sept pays. Et pour moi c’est possible en conservant l’aspect familial de notre réseau. Florin, notre partenaire roumain, n’est arrivé qu’en 2020 et s’adapte tout naturellement au projet. Il n’y a pas de raison que les autres ne soient pas comme ça. » On a vraiment envie d’y croire.
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