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© Sébastien Amice / Arthur Savall
6 mai 2023

Interview : BRÖ, avant et après avoir rempli le Trabendo 🎙️

par Corentin Fraisse

Ne vous fiez pas au tréma qui trône sur son nom de scène. Loin du froid de la Scandinavie, Brö c’est du rap français mêlé de variété, aussi clinquant dans la force que dans la douceur. Son portrait est d’ailleurs présent dans le dernier Tsugi Magazine. On a rencontré la rappeuse, qui vient de sortir son excellent premier long-format, Grande. Dans la foulée elle a rempli le Trabendo à Paris, et a défendu son art devant une salle comble. On a tenu à parler avec elle avant et après ce live décisif.

Lors du premier appel en visio avec Elisa alias Brö, tout se déroule naturellement. On parle rapidement du programme du FAIR, avec qui elle est présentement. Du séminaire de formation-structuration auquel elle assiste. Elle est déjà entrée dans le processus de professionnalisation, donc l’accompagnement pour les impôts, les sources de revenus, comment fonctionnent les contrats, quels sont les droits de l’artiste… Elle connaît un peu. En effet, elle fait partie du programme Expérience proposé par le FAIR, aux cotés de Juste Shani et Yoa. Pour les projets plus neufs encore, il y a la sélection Emergence (bah ouais, logique) du FAIR. « Certains n’ont pas de producteur, d’autres ne sont même pas inscrits à la SACEM. Il y a différents niveau de professionnalisation autour de la table, c’est cool. »

 

 

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Déjà, juste avant ton live au Trabendo, comment ça va ? Le moral est bon ?

Ecoute, ça va très bien ! En vrai, je suis assez stressée. Je n’arrive pas trop à croire ce qui va se passer demain. Mais ça va.

 

Justement, vu que c’est complet, qu’est-ce qui prime ? Hâte ou de l’appréhension ?

Enormément d’émotions en même temps. Hâte et appréhension oui… J’avoue qu’il y a un peu de frustration aussi, parce que je vois plein de gens qui n’ont pas pu prendre de place. À la limite je me disais « p*tain, j’aurais peut-être pu faire une plus grande salle » (rires). J’ai un énorme sentiment de satisfaction, que je n’avais jamais eu avant. Quand tu fais de la musique et que tu développes ton projet, tu es tout le temps dans le rush, le stress, dans l’envie de saisir chaque opportunité, à force tu ne réfléchis plus… Là je suis presque forcée de m’arrêter deux secondes et d’apprécier. Le sentiment est étrange, j’ai l’impression qu’il n’y aura rien après le Trabendo.

 

 

C’est une première pour toi, de remplir une salle pour une date « en ton nom » : ça crée quels sentiments ? 

Je suis archi surprise, même si les gens autour de moi étaient sûrs que ça serait complet. Ça fait beaucoup de personnes ! J’ai du mal à y croire. On ne se rend pas forcément compte, en étant sur les réseaux, sur les streams… On ne sait jamais combien se déplaceraient pour venir nous écouter. Et c’est fou de se dire que je peux remplir une salle comme ça à Paris. C’est une satisfaction folle, un sentiment très précieux.

 

De manière générale, comment tu écris/composes ? C’est quoi le point de départ d’une chanson ?

La plupart du temps, je compose chez moi. Je m’enregistre et j’envoie juste mon a cappella à mes producteurs, qui composent les arrangements et les grilles d’accords par rapport à ma mélodie. Tout part du texte et de la mélodie. Je sais que tout le monde ne fonctionne pas avec cette méthode, mais c’est une habitude qu’on a pris pendant le confinement, forcément à distance. On a gardé cette stratégie, parce que je trouve que ça sert vachement la chanson quand tout a été construit à partir du texte.

 

Dans ton passé, il y a le conservatoire et les freestyles. Qu’est-ce qui t’aide le plus selon toi ?

Ce que je ressens, c’est qu’il faut les deux. En tout cas mon objectif, c’est de faire de la musique populaire. Pas mainstream mais, en tout cas, je cherche à faire de la pop, que tu puisses chanter et apprendre par cœur. Et selon moi, pour faire de la bonne pop, il faut faire quelque chose d’accessible, d’instantané. Dans les freestyles, il y a les gens autour, le regroupement, la fête… Tu fais ce qui te passe par la tête et même si ce n’est pas le meilleur truc de la Terre, ce n’est pas très grave.

Mais pour avoir une vraie performance, travaillée et professionnelle, il faut se former par la technique. C’est pour ça que le conservatoire, c’est une étape que je trouve importante. Après, le piège, c’est de ne s’enfermer ni dans l’un, ni dans l’autre : ni dans la technique, ni dans le message.

 

Si on se concentre sur le Trabendo, quel sera ton morceau le plus cool à jouer en live ? Et le titre où le public chantera le plus ?

Le morceau que j’ai le plus hâte de jouer, ce n’est pas forcément le plus écouté : il s’appelle « Bijou ». Il est doux, il m’émeut à chaque fois, je crois que c’est mon préféré. Mais celui que le public devrait chanter le plus, c’est « Mauvais rôle » qui était sur mon précédent EP… Je me demande si ce ne sera pas « Nadège », parce que je pense qu’il est assez facile à comprendre. La thématique est cool aussi.

 

Oui, c’est ton « Jolene » en fait ?

Exactement !

 

Pour décrire ta musique et ton travail, ton beatmaker parle « d’urban succulence ». Toi dans « IA », tu parles d’un « mélange folklore/urbanisme » : entre les deux définitions, laquelle est la plus juste ?

J »ai l’impression que pour décrire ce qu’on fait, il faut toujours mettre -au moins- deux mots. Je dirais que « urban folklore », c’est cool parce que c’est drôle et ça amène une touche un peu ‘bled’ que j’aime bien. Pour moi ce qu’on fait, c’est de la variété. C’est juste que la « variété » telle qu’on la connaissait n’existe plus vraiment : celle de Gainsbourg, de Maurane, de Michel Berger, qui s’inspirait du jazz, de la musique brésilienne, de la musique africaine, de la musique arabe, etc. C’est comme si le message que je cherchais à faire passer quand je parle de ça, c’est que ça existe encore.

J’essaie de défendre une variété française multiple et élégante, riche de plein de styles. Et je crois qu’on retrouve ça dans ma musique.

 

Parce que la culture musicale française est plurielle, et que tu essaies de le retranscrire dans ton travail ? 

Pour moi c’est ça, une identité. Si ton identité c’est UN truc, c’est qu’à un moment tu es coincé, c’est que tu as aussi fermé la porte à toute une partie de toi. Normalement, ça ne devrait pas exister, et selon moi ça existe à cause du marketing. C’est ça la réalité : en fait, on a appliqué la recette du marketing -qu’on utilise normalement sur un produit- sur une œuvre… En lui enlevant toute son identité, tout ce qui est intéressant dans la musique. Bon après, je fais un peu mon anti-capitaliste (rires)

 

Ce que tu veux dire, c’est qu’on caractérise trop l’artiste et son oeuvre, en appuyant sur sa particularité, pour en faire un produit marketing vidé de tout le reste ?

Oui, à partir du moment où tu es sur le marché, il faut qu’on puisse cadrer ton œuvre, en faire quelque chose qui se vend. Je le comprends et a priori c’est assez normal. Mais ce qui me surprend, c’est à quel point ça prend le pas sur la musique. Et maintenant, c’est l’artiste qui doit s’adapter au méthode du marketing, aux méthodes de l’industrie. Pas l’industrie qui s’adapte au produit brut.

Il y a des gens qui font du commerce sain, qui prennent un artiste et qui disent « Cette artiste-là a une musique avec sa propre identité. Maintenant, je vais essayer d’écrire une stratégie marketing autour du produit que j’ai déjà, qui est un produit brut. » C’est le rôle de l’industrie. Mais après, tu as des professionnels qui prennent des gens, et oublient que ce sont des gens.

 

Tu as deux feats sur l’album, Ichon et Ehla : Pourquoi eux ? Pourquoi ces titres-là ?

Je les connaissais déjà. J’ai fait une résidence au studio Red Bull l’année dernière, et je les ai invités. Il y avait une cabine avec batterie, Rhodes, tout ce qu’il faut pour jouer tous en même temps dans la cabine. On s’est mis dedans avec mon groupe et Ichon, puis on a jammé pendant deux heures. Lui et moi, on chantait tout le temps en même temps, sans s’écouter et on tentait d’inventer nos mélodies. À un moment, on s’est dit « il faudrait qu’on fasse un morceau où on ne s’écoute pas chanter » : c’est comme ça qu’est né la chanson. Pour raconter l’histoire de deux personnes qui n’ont pas pu se rencontrer, qui auraient dû s’aimer, mais n’ont fait que se frôler. J’adore Ichon, on a pris beaucoup de plaisir à travailler ensemble, et il était là tout au long de la collaboration.

Ehla, c’était encore plus simple, c’est une de mes meilleures potes. Je lui ai dit de venir au studio, naturellement, on a fait une chanson un peu universelle qui parle d’avoir une date de péremption après 30 ans, surtout quand on est une meuf. En plus le morceau lui va comme un gant, quand elle chante c’est très addictif, c’était évident qu’il me fallait sa voix sur l’album. D’ailleurs elle sort un album le 2 juin !

(Ce que Brö ne dit pas, c’est qu’elle a même co-écrit la chanson « L’autorisation » de Ehla qui sera sur ledit album. Modestie, quand tu nous tiens)

 

C’est quoi le dernier live qui t’a fait du bien en tant que spectatrice ?

Récemment ? Les Louanges, un artiste québécois. Ça m’a fait du bien de le découvrir, j’ai trouvé qu’il était justement très libre dans ce qu’il faisait, que le live claquait, avec des musiciens incroyables. Il représente cet esprit « pop qualitatif » dont je parlais. J’ai eu la chance de faire sa première partie à Montréal en février : c’est le dernier gros coup de coeur que j’ai eu.

 

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brö trabendo

© Sébastien Amice

Entre-temps, le fameux show a eu lieu dans un Trabendo blindé. Avant l’arrivée de Brö sur scène, quelques fans passent en disant « tiens, tu prends une feuille et tu passes la suite ». Sur les précieuses feuilles sont écrits des mots doux à destination de la scène : que ce soit un simple « <3 » ou « Tu es Grande ce soir ». Comme des écriteaux à brandir en plein live, pour crier son amour pour Brö. Sur scène l’intéressée semble à l’aise, survoltée. Si le stress est là, il est englouti par l’énergie. Sa voix reste droite, solide, imperturbable. Sur scène avec elle, Elie à la basse et Jules à la guitare (ou les deux derrières leurs claviers) sont vite rejoints par une horde d’invités qui défilent tout au long du live.

C’est une belle fête collective. Sur scène on prend du plaisir ; dans la fosse, peut-être encore plus. Une chanson sur deux est reprise en choeur par le public. D’EP en album, les chansons de Brö ont déjà fait un bout de chemin. Elle s’arrête pour réaliser : « Je suis choquée, vous êtes super serrés, désolée… Et en même temps pas désolée ». Le show est canon, les big-up en forme de grandes déclarations s’enchainent (mention très spéciale pour Cassandre, tout de même) alors que la fin de soirée approche. Le groupe quitte la scène, un écran se déploie et on nous diffuse en avant-première le clip de « T’étais pas là » avec Ichon. Chanceux que nous sommes. Un rappel en trombe, et Brö s’en va. Tout d’une Grande.

brö trabendo

© Sébastien Amice

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Comment c’était comment cette soirée, ce concert ? Tu es remise des émotions ?

Pas tout à fait ! C’était fou, j’ai eu une dose d’adrénaline bizarre, que je n’avais jamais eue avant. Et ça m’a droguée un peu ! Franchement, j’ai trop kiffé. Tout s’est bien passé, ce qu’on avait prévu, ce sur quoi on avait travaillé : choristes, invités, déco, toute la tenue… parce que tout a été fait pour ce soir-là. On a vraiment mis un maximum de temps et de travail là-dedans. Je suis contente parce que c’était assez ambitieux avec le budget que j’ai, d’essayer de proposer un spectacle cool et vivant. Je me suis très bien entourée avec des gens fous qui ont beaucoup travaillé sur le spectacle.

Et je trouve que le retour du public était à la hauteur ! Ce qui m’a marqué, c’est les petites feuilles qu’ils ont distribuées. C’était touchant de voir tout ce monde… Un public bonne vibe, super mélangé, autant de garçons que de filles, tous horizons et tous âges.

 

 

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Tu as pu avoir des retours de la part du public ? J’imagine que tu es allée au merch’ ?

Sensation étrange de rencontrer des gens en sachant qu’ils ont aimé ma musique, qu’ils ont acheté des places pour nous voir. Pour certains c’était leur cadeau de Noël ou d’anniversaire. C’est fou de se dire que ma musique peut représenter un cadeau pour des gens. Que des bons retours, certains émus, d’autres qui avaient beaucoup ri…

 

Ah oui, parce que je ne sais pas si c’était l’adrénaline, mais tu étais déchainée sur les blagues

Oui, j’avoue je me suis un peu lâchée, mais je trouve que ça allait (rires) J’ai eu l’impression de faire rire, d’être cohérente… J’avais écrit des talks et au final je ne les ai pas du tout suivis. Du coup c’était très naturel et je crois que ça s’est bien passé !

 

On se demandait quelle chanson serait chantée le plus fort par le public… Alors ?

Sur les refrains, ça chantait un peu tout le temps ! Sur « Nadège » le public a beaucoup chanté, « À l’unité » aussi et puis « Mauvais Rôle » évidemment.

 

 

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Pour toi, qu’est-ce qui fait un bon live ? 

Déjà, la bonne musique. Pour faire un bon show, il faut répéter énormément. On a dû faire une dizaine de journées entières de répétitions -ce qui est beaucoup, en soi. C’est ce travail qui vient faire qu’une fois sur scène, tout est fluide. Et ensuite, je trouve ça cool de voir l’alchimie entre les personnes qui sont sur scène, sentir qu’ils partagent le moment… C’est inspirant pour le public. Et la recette pour un show de fou, c’est d’avoir une bonne équipe. On a monté le concert du Trabendo avec une vingtaine de personnes, musique, scénographie, technique, production, tous les gens derrière se sont donnés à 200%. On a vécu le moment à peu près tous au même niveau, tous sur notre nuage, comme si c’était l’anniversaire de tout le monde.

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