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18 avril 2023

u.r.trax, Dylan Dylan, Romane Santarelli et Marina Trench : les 4 fantastiques ⚡

par Tsugi

Elles sont quatre. Elles n’ont pas le même âge. Elles n’ont pas les mêmes racines. Elles n’ont pas le même vécu. Elles n’ont pas le même style. Elles ne se connaissent pas vraiment. En un mot : elles sont différentes. Pourtant, une certitude. Romane Santarelli, u.r.trax, Marina Trench et Dylan Dylan partagent le même amour des musiques électroniques dans lesquelles, chacune à leur manieère, elles sont entreées en « religion ». Mais pratiquée d’une manière ouverte et toleérante, pour que leur art s’exprime pleinement. Nous les avons réunies car ces derniers mois, leurs noms se sont imposés à nos yeux, et leurs productions, tout autant que leurs lives ou leurs DJ‐sets, ont fait souffler un vent de fraîcheur sur la scène électronique pourtant foisonnante de notre pays. Et nous avions envie de mieux les connaître. Nous n’avons pas été déçus.

 

Retrouvez notamment Dylan Dylan et Marina Trench sur scène, pour notre soirée anniversaire à Nimes vendredi 21 avril !

 

Comment avez-vous découvert la musique électronique ?

Élise (Dylan Dylan) : Dans ma famille, mon père écoutait du rock, mon frère du rap un peu énervé. En sortant en club et en voyant des DJs, cela m’a intriguée. J’ai voulu savoir comment ils faisaient techniquement. Grpace à la magie d’Internet, je suis allée fouiller et il y a quinze ans, j’ai commencé à mixer, puis comme je possédais des bases de musicienne, je me suis mise à la production.

Marina Trench : À 16 ou 17 ans, c’est la danse qui m’a attirée vers la musique électronique. J’ai grandi en banlieue parisienne et avec les copains, on dansait hip-hop, afro music, house dance. Même si je ne connaissais pas vraiment, j’étais quand même familière avec ce genre de styles musicaux parce que ma maman sortait en club quand j’étais petite. Puis petit à petit, je me suis mise à mixer. La production est vraiment arrivée bien plus tard.

Romane Santarelli : Au départ, j’étais très rock, ma première claque musicale c’était Arctic Monkeys. Mais j’ai découvert les musiques électroniques il y a dix ans en fouillant les playlists de ma grande sœur. J’ai d’abord aimé Birdy Nam Nam et certains morceaux d’Aphex Twin. Mais la révélation est arrivée à 15 ans. Avec ma meilleure copine, nous sommes allées à mon premier gros festival, le Paléo Festival. J’ai vu Carbon Airways, et la chanteuse, qui avait mon âge, a été ma première représentation féminine sur scène. J’ai eu envie de faire pareil même si je jouais déjà avec des petits groupes de rock à l’époque, puisque j’ai fait de la guitare pendant neuf ans. J’ai donc voulu me procurer Ableton, mais j’habitais dans la campagne profonde. C’était un peu compliqué, je ne connaissais personne pour m’installer ça. C’est bien plus tard, l’année de terminale, que j’ai installé le logiciel et commencé à faire des prods genre EDM. Cela ne me ressemblait pas trop, mais c’était une phase qui me semblait nécessaire. Le jour qui a changé ma vie, c’est le jour des résultats du bac, où je me suis fait un cadeau : l’album Creatures de Rone. Au début, j’ai détesté ce disque, je le trouvais trop bizarre. Mais le CD s’est coincé dans mon lecteur et du coup j’ai poncé ce disque pendant trois mois. Cela a été une bénédiction. J’ai fini par comprendre que cette musique était géniale et j’ai voulu produire dans des esthétiques un peu similaires, plus exigeantes et moins mainstream.

Inès (u.r.trax) : J’ai 19 ans. J’ai démarré la batterie à 4 ans puis après je me suis mise à la guitare. Mon background, c’est aussi le rock. À 8 ou 9 ans, en diggant sur YouTube, j’ai découvert la coldwave qui, pour moi, est déjà de la musique électronique. Pour finir je suis tombée sur Skrillex. C’est un peu la honte, mais il a été ma porte d’entrée à la musique électronique. (rires) Par la suite, mon grand frère rappait et je lui ai proposé pour l’impressionner de lui faire des prods. C’est comme ça que j’ai commencé. Mais quand j’ai vraiment démarré la musique pour moi seule à partir de 12 ans, cela a été uniquement de la techno. Pour le mix, là encore la semaine du bac a été déterminante puisque c’est à cette époque où j’ai acheté mon premier contrôleur. Mon premier gig, c’était en décembre 2019 sur la Péniche Cinéma dans le XIXe à Paris.

 

Vous avez voulu tout de suite être actrices et pas simples spectatrices ?

Élise: Dès le début, j’étais fascinée par le DJ et j’avais vraiment envie de comprendre comment ça marchait. Un ami m’a proposé de me montrer, mais chez lui il n’y avait que des platines CD, donc grande déception, mais j’ai commencé là-dessus avant de me mettre au vinyle.

Marina: Je suis d’accord avec toi sur le mot « fascination ». Même avant d’être DJ, j’avais un rapport particulier avec le vinyle. Quand j’arrivais dans une ville, j’allais checker les petits bacs des disquaires. Mais j’ai suivi des études de design aux Beaux-Arts, donc quand tu possèdes ce type de sensibilité, je crois que tu as vraiment envie d’entrer dans le « faire ». En parlant ensemble aujourd’hui toutes les quatre, je comprends mieux pourquoi on a eu envie de passer à l’action.

 

u.r.trax

u.r.trax © Mathieu Zazzo

Comment décririez-vous votre style ?

Marina: Si je devais verbaliser cela, je dirais: house music.

Élise: House, mais plus breaké, avec des sonorités un peu plus anglaises, avec un peu de drum. Je varie, je teste…

Inès: On va dire que c’est techno, trance, psychédélique.

Romane: C’est entre la techno, l’électronica, un peu des influences pop. C’est difficile de mettre un seul mot dessus. C’est un peu à la croisée des chemins. Mon son s’énerve de plus en plus quand même.

 

Avez-vous eu des modèles ?

Marina: Kerri Chandler, K.Hand, les Masters At Work. J’ai pleuré j’ai fait des prières d’amour à la lune sur leurs musiques. (rires) Je ne me suis jamais «fanatique», mais très curieuse: comment produisent-ils? On travaille à affiner son oreille et cela devient captivant. Mais je suis tout autant passionnée par la découverte de nouvelles références.

Élise: J’adore Four Tet, Jamie XX, Ross From Friends. Comme DJ, Kerri Chandler, Derrick May. Récemment j’ai découvert Ash Lauryn et je regarde ses sets sans m’en lasser.

Inès: Ce ne sont pas des modèles musicaux, mais plutôt des figures qui m’ont donné envie d’être comme elles. La première, c’est VTSS. En 2019, j’étais stagiaire chez Possession, où je m’occupais de l’accueil artiste. C’est comme ça que je l’ai rencontrée. J’ai eu une sorte de rapport d’identification avec cette personnalité féminine super « badass ». Par la suite, Hector Oaks, pour son énergie et le rapport viscéral qu’il entretient avec la musique. Cela m’inspire. Enfin, plus récemment, Nina Kraviz.

Romane: Mes modèles ont été très masculins. C’est quelque chose de global: il y a la discographie et le côté humain. Je vais citer encore Rone dont j’ai lu toutes les interviews et regardé tout ce qu’il y avait de disponible. Ça reste ma grosse référence. Je peux citer aussi Paul Kalkbrenner et puis, hors musique, Xavier Dolan pour ce qu’il transmet dans son œuvre.

 

Vous intéressez-vous à l’histoire des musiques électroniques ?

Marina: C’est important de connaître ce que l’on joue, de savoir référencer sa musique, d’avoir un point de vue sur les choses et de remettre en perspective notre pratique dans la société. Cela nous apportera encore plus de légitimité en tant que femmes.
Inès: Avant que je ne commence à sortir, je regardais beaucoup de documentaires, comme Universal Techno, qui est l’un des plus connus. J’ai même appris l’allemand pour comprendre certains qui n’étaient pas sous-titrés. Ce qui m’a fait rêver, c’est l’imaginaire de la techno, les archives, les documentaires… Je vous conseille de lire Stéphane Hampartzoumian, un sociologue de la techno qui a fait des thèses sur les raves. Son ouvrage le plus connu est Effervescence techno – Ou la communauté trans(e)cendantale.

Romane: Nous sommes un chaînon. Il y a ce qu’il y a eu avant, ce qui il y aura après et savoir comment on se place par rapport à cela. Il faut voir au-delà de soi-même.

 

 

À vos débuts, avez-vous eu des mentors ?

Marina: Si je n’avais pas rencontré DJ Deep, je n’aurais pas sorti mon premier EP avec un remix de Kerri Chandler. Cela a été une expérience très forte avec Cyril, qui m’a permis de prendre confiance dans mon travail.

Élise: Je n’ai pas eu de mentor, ce sont plus des amis proches qui me poussent. Car j’ai longtemps été dans l’insécurité avec l’envie tous les trois mois d’abandonner ce métier. Heureusement qu’ils sont là.

Romane: L’équipe de la Coopérative de Mai, la Smac de Clermont. Le programmateur m’avait écoutée sur SoundCloud et il m’a proposé de faire la première partie de Petit Biscuit. C’est quand même une jauge de 2500 personnes. Quand tu produis seule dans ta chambre, tu imagines bien sûr le moment où tu joueras devant beaucoup de gens, mais entre le rêve et la réalité… Malgré tout, je me suis dit que je ne pouvais pas refuser, sinon je m’en serais voulu toute ma vie. Au final, c’était incroyable, plein de gens sont venus me voir à la fin pour me dire que la première partie était mieux que Petit Biscuit. (rires) C’était encourageant, ma musique pouvait séduire un public.

Inès: Je vais encore citer Hector Oaks. C’est la première personne qui a cherché à en savoir plus sur ma musique et très rapidement, il a publié un des mes tracks, puis un EP et maintenant, j’ai même lancé un sous-label chez lui, KAOS-URTRAX. Plus récemment, Nina Kraviz m’a contactée par message sur Instagram et ça a été le plus beau jour de ma vie. Elle a sorti un de mes tracks sur son label, en attendant plus peut-être. J’ai joué plusieurs fois avec elle. La première fois à Peacock en 2021, où elle a programmé une scène dont j’ai fait le warm‑up.

 

Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes dans la musique électronique, comment l’expliquez-vous ?

Marina: L’ère #metoo tout simplement. Ce n’est pas aussi quelque chose de spécifiquement rattaché à la musique électronique, c’est la société en général qui a changé. Mais notre milieu porte naturellement en lui toutes ces questions d’égalité et c’est une chance.

Inès: C’est une histoire de modèle comme on vient de le dire. Maintenant il y a des filles de 16/18 ans qui vont nous voir et qui vont se dire: « Moi aussi je veux faire pareil. » Je trouve cela très important.

Romane: Les outils comme les logiciels sont aussi plus accessibles.

Élise: C’est vrai, mais à l’époque les mecs y arrivaient bien eux…

Romane: Oui, mais il y avait la logique du boys’ club. Ils ne voulaient pas montrer aux femmes comment cela marchait, parce que c’était quelque chose soi-disant de technique. Aujourd’hui, tu peux parfaitement commencer seule dans ton coin.

 

Y a-t-il vraiment une volonté des producteurs de soirées ou de festivals d’accorder plus de place aux artistes femmes ?

Élise: Oui, car il y a quelques années, c’était très séparé, avec des plateaux 100% filles. Cela partait d’une bonne intention, mais c’était maladroit. On ne voit plus trop ça aujourd’hui. Il y a une mixité et on ne se pose plus trop la question de savoir si c’est un homme ou une femme.

Romane: Ces line-ups 100% filles, d’un côté, je trouvais l’idée ridicule, mais de l’autre, je me rendais à ces soirées parce que je trouvais ça cool de pouvoir enfin voir des DJs filles!

Élise: Romane, tu parlais de « boys’ club » dans la production, mais dans la programmation, cela reste quand même encore le cas, avec beaucoup de mecs qui choisissent leurs potes.

Romane: C’est vrai qu’il y a peu de temps, j’ai fait une date où j’étais la seule femme à l’affiche. C’est seulement le jour J que j’ai réalisé que j’étais la seule meuf. C’était très gênant, ce moment de solitude. J’en ai parlé par la suite au programmateur qui m’a dit qu’il était conscient du manque de mixité, mais les têtes d’affiche comme Amélie Lens ou Charlotte de Witte étaient trop chères. Cela m’a choquée. Il y a quand même aujourd’hui tout un panel de DJs femmes, il faut se réveiller.

romane santarelli

Romane Santarelli © Mathieu Zazzo

 

Existe-t-il une forme de concurrence entre les artistes femmes ?

Élise: Depuis quelques années, il y a au contraire beaucoup de bienveillance entre nous. On se donne beaucoup de force mutuellement.

Inès: Je fais l’effort de jouer plus de tracks de meufs. Et même sur les réseaux, s’il y a une artiste que je kiffe, je vais lui faire beaucoup plus de pub que si c’était un homme. Il y a une sororité entre nous. Ce sont plus les mecs qui se tirent des balles entre eux. (rires)

Marina: Il y a aussi dans le circuit des femmes plus âgées que nous, qui n’ont pas été des grandes sœurs. Ce n’est pas parce qu’elles ne le voulaient pas, mais elles n’ont pas eu la possibilité d’ouvrir de portes. Aujourd’hui, comme le dit Inès, il existe une vraie sororité entre nous.

 

En tant que femmes, vous heurtez-vous encore à des murs ?

Inès: Les obstacles rencontrés en tant que DJ sont les mêmes que ceux de la vie de tous les jours. On ne parle ainsi pas assez des questions de sécurité. Par exemple, je demande d’avoir des chauffeurs femmes qui viennent me chercher à l’aéroport, car quand il y a 45 minutes de route pour se rendre où tu joues, tu n’es pas à l’abri d’une mauvaise surprise. C’est pareil dans un Uber la nuit, tu vas plus flipper si tu es une meuf. Et il y a toujours des ingénieurs du son qui veulent m’expliquer mon métier.

Marina: Ah oui, ça arrive encore tout le temps. Il y a aussi ces programmateurs qui semblent trop contents de booker des nanas, mais on sent que c’est par obligation. Leur sincérité n’est pas encore prouvée.

Romane: J’ai remarqué aussi que quand tu arrives sur une date et que tu es très pro, on te dit que tu es tendue. Et dès que tu l’ouvres, on te prend pour une hystérique. Je me suis rendue compte également que si je ne suis pas avec mes techniciens sur mes dates, je ne suis pas prise au sérieux. Du genre « mais qu’est-ce qu’elle veut la petite blonde qui débarque? ».

 

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Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous excite le plus dans la scène électronique ?

Élise: Post-Covid, les gens sont pleins d’amour et de bonnes vibes.

Marina: La scène, le public… J’ai le cœur qui vibre. Les gens qui dansent, qui lèvent les bras, ils sont réceptifs. C’est trop beau. Quand je regarde un petit peu en arrière, peut-être qu’avant dans la musique électronique, où il y a une histoire sociale, sociétale même, le public venait pour soutenir un message. C’est toujours le cas aujourd’hui, et heureusement, mais il y a aussi ce truc plus vibratoire, plus de l’ordre de l’énergie qui circule. Les gens en ont besoin et c’est un peu nouveau.

Romane: Les gens se soucient plus les uns des autres et font plus attention. Les soirées me semblent plus safe.

Inès: Depuis la reprise, c’est un peu l’inverse dans les soirées techno. Les gens se mettent beaucoup plus mal et il faudrait faire encore plus de réduction des risques. Une partie du public a découvert la fête et malheureusement la drogue pendant le Covid, et le couvre-feu dans des fêtes qui n’étaient pas encadrées. C’est d’autant plus important d’avoir des équipes qui vont à sa rencontre et font de la sensibilisation. Dans certaines soirées, à minuit et demi, certains tombent comme des mouches à cause du GHB. On ne peut pas empêcher les gens de faire ce qu’ils veulent, mais au moins il faut essayer de faire de la prévention.

dylan dylan

Dylan Dylan © Mathieu Zazzo

 

Reste-t-il de la place dans votre vie pour autre chose que la musique ?

Inès: À mon sens, la musique c’est déjà tout un tas de disciplines réunies. Au-delà de la passion de découvrir et écouter de la musique, les questions d’ingénierie du son relèvent presque de la physique, la musique c’est également l’histoire, la musicologie, etc. Mon intérêt pour la musique, je le vis aussi à travers mon attirance de toujours pour les sciences humaines. Je suis vraiment passionnée de sociologie, et encore plus de sociologie de la musique.

Élise: J’ai encore un job « classique », mais je le quitte en juin car j’arrive à un point où je peux vivre de la musique. Je ne me vois pas faire autre chose, c’est presque une relation passionnelle et obsessionnelle.

Marina: La musique reste mon terrain favori, mais je suis émerveillée par beaucoup de choses qui nourrissent d’ailleurs ma pratique: l’art contemporain, la cuisine, la marche et les chats!

Romane:Je me passionne pour toutes les formes d’art, le cinéma, la 3D, la poésie, et plus récemment la BD. Je suis curieuse de plein de formes artistiques, mais c’est vrai que je les raccroche souvent à mon projet. En dehors de celui-ci, il y a très peu de place pour autre chose en réalité…

 

Nous sommes dans une période d’élections, vous vous sentez concernées ?

Élise: Je me sens investie d’un devoir de citoyenne, et par respect pour celles et ceux qui ont lutté pour que je puisse obtenir le droit de vote, je vais voter et c’est un engagement que je prends au sérieux. En revanche, je ne me retrouve pas dans les discours des candidat.e.s. J’ai toujours cette impression d’aller voter pour « le moins pire »… On vit dans une démocratie et c’est une chance dont il faut être conscient, mais tant que ce sont des élites qui gouvernent, la majorité du peuple ne sera jamais entendue et représentée comme il se doit.

Marina: En tant que citoyenne qui bénéficie des droits civiques, je me sens forcément concernée par les questions politiques.

Inès: Extrêmement concernée. J’ai de plus en plus de mal à vivre dans une France policière et islamophobe qui nomme des agresseurs et autres criminels dans son gouvernement. Si on se reprend cinq ans de Macron ou si Le Pen passe, ça me donnera enfin la bonne excuse pour déménager à Berlin… (Interview réalisée avant l’élection présidentielle, ndr)

Romane: À l’heure où les idées fascistes gagnent du terrain dans le paysage médiatique et le débat public, je suis bien sûr concernée en tant que citoyenne, j’ai peur pour mes libertés, pour nos droits. Dans un tel climat, les voix progressistes apparaissent de plus en plus importantes. Période électorale ou non, il faut se faire entendre.

 

Avez-vous le désir de faire passer des messages à travers votre travail ?

Marina: Celui d’être libre, indépendante et communiquer le plus possible des belles énergies, qui permettent bienveillance et respect dans les échanges relationnels.

Inès: D’abord à travers ce que je suis, plutôt que ce que je fais. En effet, la musique transmet des émotions. Mais ce n’est pas mettre un sample de discours ou je ne sais quoi qui va donner une dimension politique à la musique. En tant qu’artiste, exister fait déjà beaucoup. Surtout étant une fille, descendante de l’immigration, queer, etc. J’aimerais transmettre un message: les gens comme moi aussi ont le droit de s’exprimer.

Élise: C’est un sujet un peu complexe, je sais que beaucoup d’artistes pensent que si l’on a une voix qui porte, il faut faire passer un message. Pour ma part, je préfère dissocier mes engagements et mes croyances de mon activité artistique. Si je peux aider à mon échelle, sur un sujet qui me tient à cœur, je le ferai évidemment, mais je ne préfère pas porter sur mes épaules le poids d’une attente quelconque quant à mes engagements.

Romane: Je ne politise pas mon projet musical. Pourtant en tant qu’artiste j’ai aussi le sentiment d’avoir à ma petite échelle un rôle à jouer dans la société. Déjà le fait d’être là, d’être présente sur cette scène musicale, en tant que femme, qui plus est, issue d’une minorité sexuelle, c’est un peu politique. J’ai manqué de représentations féminines dans la musique, donc je voudrais aussi donner exemple à mes futures consœurs, aux jeunes filles qui voudraient se mettre à la musique, celles qui n’osent pas, ou celles qui se sont découragées par exemple. De plus en plus, je me rends compte qu’être « visibilisée » est très important. Enfin, d’une manière plus générale, je veux faire une musique qui fasse du bien aux gens, une musique joyeuse, énergisante.

 

Quelle est votre ambition ultime ?

Inès: Artistiquement, maîtriser mon art, mais c’est impossible. C’est le chemin qui m’y amène qui constitue ma véritable ambition.

Marina: Donner l’envie et la curiosité d’aller au bout de ses envies créatives et artistiques.

Élise: Pouvoir faire de la musique toute ma vie, arriver à en vivre correctement. C’est cliché, mais si j’y arrive, alors je pense que je serais déjà comblée. Plus concrètement, j’ai tendance à dire à mon manager Charly que quand j’aurai fait Coachella, je serai arrivée au stade ultime!

Romane: Faire de la musique toute ma vie et m’épanouir dedans.

 

Marina Trench

Marina Trench © Mathieu Zazzo

 

Parvenez-vous à vous projeter sur le long terme ?

Romane: Bien sûr, j’aimerais ne jamais avoir à m’arrêter.

Marina: J’espère bien, c’est le but. Cela rejoint l’idée de transmettre, s’inscrire dans le temps, ancrer un projet, donner du sens à ce que l’on fait. Je ne vois pas l’intérêt de déployer toute cette énergie et toutes ces ressources pour que finalement ton plan de vie se limite après 40 ans à être mère au foyer et balayer tout ce que tu as construit.

Élise: Mixer à 60 ans je ne sais pas, mais composer j’espère bien.

Inès: C’est une vocation aussi. Ce n’est pas que je ne me vois pas faire autre chose: je ne sais rien faire d’autre. (rires) J’ai un rapport mystique à la musique depuis mes 4 ans. Ma mère utilise souvent la métaphore de la plante et du tuteur. Le tuteur c’est la musique, et grâce à elle, j’ai pu pousser droit. S’il n’y a pas de musique alors je ne sers à rien, autant crever. (rires)

 

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