Papier originellement publiĂ© dans le numĂ©ro 60 de Tsugi (mars 2013). Pour commander nos anciens numĂ©ros, c’est par ici

Il y a exactement quinze ans (le 25 aoĂ»t 2001), Aaliyah mourait dans un crash d’avion aux Bahamas alors qu’elle venait de tourner la vidĂ©o de « Rock The Boat », le troisiĂšme single de son troisiĂšme album Ă©ponyme. Pour la France, qui n’avait rĂ©ellement dĂ©couvert la jeune femme qu’un an plus tĂŽt avec le single « Try Again » (prĂ©sent sur la bande originale du film dont elle Ă©tait aussi l’hĂ©roĂŻne, RomĂ©o doit mourir), le choc Ă©tait encaissable. Pour l’AmĂ©rique, qui chĂ©rissait son enfant prodige depuis douze ans dĂ©jĂ , le traumatisme fut profond: l’industrie musicale lui rend encore frĂ©quemment hommage.

ENFANT STAR

Aaliyah Dana Haughton naĂźt le 16 janvier 1979 Ă  Brooklyn mais grandit en partie Ă  Detroit, dans un cocon religieux noir amĂ©ricain classique, rĂ©pĂ©tant ses gammes Ă  la chorale de l’église. Son oncle Barry Hankerson, avocat puis label manager, Ă©pouse Gladys Knight. Leur divorce n’empĂȘchera pas Aaliyah de rejoindre occasionnellement sur scĂšne « l’impĂ©ratrice de la soul » dĂšs ses 11 ans, quand elle n’écume pas les castings tĂ©lĂ© et pub. Ce mĂȘme oncle signe Aaliyah sur son propre label, Blackground Records, l’introduisant Ă  R. Kelly qui deviendra son mentor et le songwriter et producteur de son premier album Age Aint’ Nothing But A Number alors qu’elle n’a que 14 ans. L’album se vend Ă  3 millions d’exemplaires aux États-Unis, le pays a sa nouvelle enfant star. Tout comme En Vogue ou Jodeci, le duo trace les plans du R&B pour les annĂ©es 90. Les rumeurs d’un mariage entre les deux stars (le magazine Vibe publiera mĂȘme le certificat de l’union, annulĂ©e par les parents de la chanteuse quelques mois plus tard), alors qu’Aaliyah n’a que 14 ans et R. Kelly 13 de plus, terniront la rĂ©putation du producteur et leur relation.

En 1996, Aaliyah arrive chez Atlantic Records et se trouve de nouveaux pygmalions avec Timbaland et Missy Elliott, qui prennent la direction de la totalitĂ© de son deuxiĂšme album. One In A Million est acclamĂ©, se vend Ă  10 millions d’exemplaires, et finit d’établir Aaliyah comme la chef de file du renouveau R&B. Son « Are You That Somebody ? » servira de patron aux premiers succĂšs des Destiny’s Child, de « No, No, No » Ă  « Bills, Bills, Bills » : beats ludiques, au groove sautillant et vocaux sĂ©ducteurs, presque lascifs, mĂȘme si Aaliyah possĂšde une retenue et une pudeur qui font dĂ©faut Ă  toutes ses concurrentes. C’est aussi le dĂ©but de l’ñge d’or de Timbaland, qui rĂšgnera sans partage ou presque (les Neptunes auront leur mot Ă  dire) sur la production R&B jusqu’en 2006, annĂ©e de ses deux derniĂšres piĂšces maĂźtresses : Loose de Nelly Furtado et FutureSex/LoveSounds de Justin Timberlake. Aaliyah devient actrice Ă  la tĂ©lĂ© (dans la sĂ©rie NewYork Undercover) et rĂ©ussit tout ce qu’elle entreprend. En 2000 vient RomĂ©o doit mourir et le tube « Try Again », son plus gros succĂšs international. Ce remake Benetton de RomĂ©o et Juliette est proche du navet, Jet Li toujours aussi fade, mais la prĂ©sence angĂ©lique d’Aaliyah fascine, on tombe un peu plus amoureux chaque jour. Mais elle se fiance au cofondateur de Roc-A-Fella Records, Damon Dash, et sort son troisiĂšme album, Aaliyah, dont Timbaland ne produit que trois (excellents) morceaux. Son dĂ©cĂšs intervient moins de deux mois aprĂšs la sortie du disque. Son avion, alourdi par le matĂ©riel et trop de passagers, pilotĂ© par un homme sous cocaĂŻne, alcool et sans licence, s’écrase peu aprĂšs le dĂ©collage.

SUR TOUTES LES LÈVRES 

Il Ă©tait attendu que sa mort gonfle les ventes de ses albums et les recettes de son dernier film, le bien mauvais La Reine des damnĂ©s (elle n’aura jamais fini ses scĂšnes pour les deux derniers Matrix). Il Ă©tait attendu aussi que se multiplient les sorties posthumes plus ou moins cyniques, comme I Care 4 U, compilation mĂ©langeant succĂšs et raretĂ©s. Il Ă©tait attendu, encore, que le milieu hip-hop crie son dĂ©sespoir des mois durant avec plus ou moins de dĂ©cence (voir le clip post-mortem du single « Miss You » oĂč un quarteron de stars hip-hop sont filmĂ©es la mine triste, mimant vaguement les paroles). Mais rien n’aurait pu laisser supposer que quinze ans aprĂšs sa mort, Aaliyah serait toujours sur toutes les lĂšvres et citĂ©e en rĂ©fĂ©rence par des artistes de tout bord. Alors que le R&B n’a jamais Ă©tĂ© aussi expĂ©rimental et passionnant, ses nouvelles tĂȘtes chercheuses vouent un culte Ă  sa princesse damnĂ©e, de Jessie Ware (qui la sample sur « What You Won’t Do For Love » et lui a rendu hommage avec Katy B sur le morceau « Aaliyah ») Ă  The Weeknd (qui la sample pour « What You Need »), Frank Ocean ou Purity Ring en passant par AlunaGeorge, la relĂšve la plus crĂ©dible du duo Aaliyah/Timbaland.

Le hip-hop n’est pas en reste: Aaliyah avait su trouver le compromis idĂ©al, au top de la street credibility tout en gardant son image de petite fille modĂšle de l’AmĂ©rique cosmopolite (elle est de descendance amĂ©rindienne en plus de ses origines afro). Les Ă©toiles montantes du rap l’idolĂątrent, de Kendrick Lamar (qui la sample sur « Blow My High ») Ă  A$AP Ferg (sur « Death B4 A Million ») en passant par Azealia Banks (sur « Need Sum Luv ») et sa meilleure ennemie Angel Haze, qui en plus de la sampler sur « Hot Like Fire », lui ressemble Ă©trangement. Les XX la reprennent (« Hot Like Fire ») et tout le monde la remixe, de Jimmy Edgar Ă  Shlohmo, Hudson Mohawke ou Dam-Funk.

Mais le plus grand fan d’Aaliyah en activitĂ© reste Drake, qui lui tĂ©moigne une rĂ©elle admiration (« Quand j’ai commencĂ© Ă  chanter je me suis servi d’Aaliyah comme exemple, elle pouvait communiquer toutes les Ă©motions, aux hommes comme aux femmes », confiait-il au magazine Complex) ainsi qu’une affection un brin excessive. Un bijou la reprĂ©sentant Ă  l’oreille gauche, deux tatouages hommages, une lettre pour le neuviĂšme anniversaire de sa mort, la superstar canadienne s’est mĂȘme mis en tĂȘte depuis un an de sortir un nouvel album posthume d’Aaliyah. Il a fait paraĂźtre un premier morceau collaboratif produit par son acolyte de toujours Noah « 40 » Shebib, nommĂ© « Enough Said ». Missy Elliott et Timbaland avaient Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s au tracklisting, ils ont finalement dĂ©clarĂ© ne pas vouloir faire partie du projet, alors que la famille de la chanteuse n’a pas donnĂ© son approbation. L’album, annoncĂ© pour 2012, est maintenant aux abonnĂ©s absents
 La mĂ©moire d’Aaliyah, elle, est toujours plus vive.