Comment ça se finance, un festival ? Réponses avec les orga’ de La Route du Rock
Il faisait très beau fin juin à Paris. De quoi sortir les tee-shirts et autres chemises à manche courte. Il aurait suffit d’une météo un peu moins clémente, et on l’aurait loupé : sur son bras, François Floret porte fièrement un tatouage représentant une cassette audio posée sur deux os entrecroisés, façon pirate. C’est le logo de la Route du Rock. « Jusque dans la peau ! Ça pourrait être le titre de ton article ! ». Pas faux. Mais est-il besoin de rappeler, après 26 éditions (11 pour la version hivernale) l’attachement qu’ont le directeur François Floret et le programmateur Alban Coutoux à leur festival ? La rigueur avec laquelle ils choisissent un line-up cohérent, toujours indé, toujours excitant ?
Il y a deux ans, devant Jamie xx (crédit : Nicolas Joubard)
Cette année encore, pas mal de beaux noms s’alignent à l’affiche de La Route du Rock : Savages, La Femme, Belle And Sebastian, Pantha Du Prince, Battles, Suuns, Julia Holter ou encore Gold Panda sont attendus les 12, 13 et 14 août (sans compter la soirée inaugurale avec Usé et le collectif math rock la Colonie de vacances le jeudi 11 dans la salle la Nouvelle Vague) au fort de Saint-Père, à deux pas de Saint-Malo. Mais aussi The Avalanches, pour leur unique concert en France, 15 ans après leur dernière venue au festival ! Pas de bol, les Australiens ont annulé la semaine dernière toute leur tournée européenne. Un petit coup dur pour le festival, mais surtout comme un air de déjà vu : l’année dernière, Björk les a plantés à dix jours seulement du début des concerts. Comme s’en remettre financièrement ? Pas facile comme question : il est très rare qu’un festival accepte de communiquer sur son budget, ses financements et ses galères. Mais pas La Route du Rock. Alors si vous vous êtes déjà demandé combien coûtait un festival de cette ampleur (deux scènes, 25/30 000 spectateurs sur trois jours), quelle est la part de subventions publiques dans le budget de l’événement (spoiler : pas dingue) ou pourquoi la RDR n’a pu rembourser que partiellement les gens après l’annulation de Björk, vous êtes au bon endroit : une fois n’est pas coutume, on va parler argent.
La Route du Rock est organisée par l’association Rock Tympans. Quelle est la différence par rapport à un festival organisé par une entreprise « classique » ?
Ça change rien dans les faits, à part pour les subventions : il n’est pas illégal pour une société d’en percevoir, mais ça ne se fait pas trop généralement, ça peut être mal vu et mettre en danger des politiques. De notre côté, on travaille depuis le début avec une équipe de bénévoles adhérents de l’asso et nous tenons à cet esprit associatif; là aussi ce serait très mal perçu d’être une société et de demander à des bénévoles de venir donner de leur temps.
L’association est fiscalisée depuis la fin des années 90, comme n’importe quelle boite, mais la différence c’est que s’il y a des bénéfices on ne peut pas se les partager… De toute façon il y en a jamais des bénéfices (rires). Nous ne le faisons pas mais dans l’absolu une association peut toujours se débrouiller pour redistribuer les bénéfices en augmentant les salaires, en offrant des primes… Bref, c’est un jeu de dupe : il n’y a juridiquement très peu de différence entre une asso et une boite classique, sauf pour l’image et nous concernant, l’esprit que nous assumons pleinement. Nous sommes une véritable grande famille !
Quelle est la part des subventions publiques dans votre budget ?
Un peu moins de 20%, sur un budget d’1,7 million d’euros. Certains festivals en ont plus bien sûr, notamment ceux qui sont arrivés en premier, et qui bénéficient d’un soutien historique. Notre plus gros subventionneur c’est la ville de Saint-Malo, qui nous verse 170 000 euros pour notre fonctionnement et notre communication – ils nous aident donc à hauteur de 10%. Il y a 25 ans d’histoire et de soutiens entre Saint-Malo et nous ; mais lorsque l’événement a pris de l’ampleur (à la fin des années 90);
INSERT INTO `wp_posts` VALUES l’ancienne équipe municipale n’a jamais su suivre son évolution. En fait, on a quasiment les mêmes niveaux de subventionnement depuis dix ans, alors que de notre côté tout évolue. Mais que ce soit la ville de Saint-Malo ou les autres, cela semble gravé dans le marbre : on ne pourra pas avoir un centime de plus, l’argent public est plutôt à la baisse. Et encore on s’en sort bien, notre socle de subvention n’est pas à la baisse et on sent une volonté sincère de nos partenaires de faire au mieux avec « les moyens du bord » !
A noter que la commune de Saint-Père Marc en Poulet nous met à disposition le fort de Saint-Père gracieusement.
Björk a annulé sa venue l’année dernière, quelles sont les conséquences ?
C’était les 25 ans du festival, on attendait ce concert avec 18 musiciens sur scène et de la pyrotechnie (une première chez nous !). C’est avant tout une déception pour tout le monde, pour le public, pour nous… On a eu la chance que Foals soit disponible et puisse répondre rapidement, ils ont fait un super concert, mais ça laisse forcément un goût amer. Et les chiffres de billetterie étaient du coup plus bas que ce qu’on espérait. On a perdu 70 000 euros, et encore ça aurait pu être pire.
Comment on fait dans ce cas-là ?
La seule solution c’est de se refaire sur l’année qui suit, on n’a pas d’autre possibilité. On va réduire les coûts de production du festival jusqu’à l’os, et essayer de maximiser les recettes, trouver de nouveaux partenaires privés, des mécènes, et espérer que la fréquentation soit suffisante pour qu’il y ait de la consommation au bar, aux restaurants, du merchandising…
Pas mal de spectateurs ont râlé l’année dernière car vous n’avez pas remboursé les billets malgré l’annulation de Björk…
La soirée avec Björk était dix euros plus chère que les autres, pour compenser son cachet – on a donc remboursé pour ceux qui l’ont demandé ce surplus, soit un peu plus de 27000 euros. Certains spectateurs n’ont pas compris qu’on ne rembourse pas tout, car ils ne venaient que pour elle. Sauf que c’est un festival, il y avait sept autres groupes, et la soirée n’était pas annulée. On voulait être réglo par rapport à cette majoration de 10 euros, mais on ne pouvait pas faire plus.
Et au niveau du cachet ?
L’avance sur le cachet de Björk nous a évidemment été remboursée, mais notre assurance n’a pas pu fonctionner car elle n’a pas donné une raison garantie. Annuler une venue en festival parce que comme j’ai pu le lire « c’est trop douloureux » pour elle de faire le concert, ça n’existe pas dans les clauses d’assurance, il faut une raison médicale ou technique – auquel cas l’assureur aurait pu prendre en charge le remboursement des billets. On ne pouvait pas rembourser les gens sans l’argent de l’assurance, sinon on aurait déposé le bilan.
Vous y pensez souvent ?
Le risque de déposer le bilan, on le garde à l’esprit. Il ne faut pas s’endormir avec ça tous les soirs, mais ça permet d’être vigilant aussi. Nous sommes un événement fragile, du moins plus que d’autres : on a non seulement choisi de faire un festival (de taille moyenne : ni les avantages des petits, ni ceux des grands…), mais en plus on a un créneau artistique particulier, on ne fait que de l’indé, et au sein de l’indé on est assez précis dans ce qu’on cherche. Des groupes qui ne font que se rapprocher de notre esprit, on n’en veut pas, il faut que la proposition soit complètement cohérente. C’est ce qui fait le succès du festival, mais en même temps ça peut être casse-gueule. Cette année par exemple, il n’y a pas de gros noms qui tournent dans notre sphère musicale, et du coup on n’a pas de grosse tête d’affiche – on est comme tout le monde, pour l’économie du festival il vaut mieux se reposer quand même sur des gros noms. Pour finir, on n’oublie pas que de notre côté on a très vite bénéficié de l’indéfectible soutien de Bernard Lenoir et de France Inter pour prendre une ampleur nationale.
Les pieds dans le sable (crédit : Pauline Auzou)
Chaque été depuis quelques temps on entend parler de festivals qui ferment, d’éditions annulées. C’est plus difficile qu’avant ?
Oui, car il y a plus d’événements et tout le monde ne joue pas à armes égales : certains ont beaucoup d’argent dès le départ ou d’autres s’associent à des agents et bénéficient de leur catalogue pour faire jouer ce qui est bankable. Et puis tout le monde a rêvé de faire son festival. Il y a dix ou quinze ans, les gens en Bretagne pensaient que le miracle des Vieilles Charrues pouvait se reproduire. Qui connaissait Carhaix avant les Charrues ? Donc chaque commune a voulu avoir son événement. Avec les baisses de dotation de l’Etat, les communes sont obligées de serrer les vis, et c’est toujours la culture qui trinque. C’est difficile de passer le cap de la deuxième édition dans ce cas. Donc si tu veux rester totalement indépendant aujourd’hui et avoir une ligne artistique irréprochable, c’est presque irréalisable, il faut vraiment être vigilant et garder à l’esprit qu’il faut réduire partout, faire attention…
Réduire les coûts de production, c’est ça ? A quoi ça correspond ?
Il faut revoir tous les postes et se demander si on peut gratter cent balles par là, cinq cent balles par ci, voir si on ne peut pas se passer d’une location ou demander à la société de basculer en mécénat technique. Par exemple, on loue pour 25 000 euros de matériel à une entreprise. Mais cette année, ils ont accepté de nous faire un mécénat de 25 000 euros. On ne va pas payer la location, mais on va leur donner l’imprimé comme quoi on a bien reçu ce mécénat de 25 000 euros et ils vont pouvoir le déduire de leurs impôts.
Rien de plus radical ?
On pourrait passer à deux jours de festival, enlever une scène… Mais c’est contre-productif, ça déshabille complètement le projet. On garde l’artistique et un accueil de qualité – ce qui se passe en backstage c’est notre problème. Par contre, on multiplie les appels au mécénat. Pour la première fois, une marque, Swatch, co-brande le festival ; leur image colle bien à la nôtre, on veut quand même garder le contrôle sur notre festival. C’est ça aujourd’hui le challenge : trouver de nouveaux financements – je lance d’ailleurs un appel (rires) – des gens qui veulent nous soutenir tels qu’on est. On mise sur notre intégrité et notre sincérité.
Les grosses mains de Flaming Lips, en 2010(crédit : Emma Prompt)
Le festival n’est pas la seule activité de l’Association Rock Tympans : vous vous occupez également de la gestion/programmation de la salle La Nouvelle vague, et vous faites du booking d’artistes. Est-ce que l’argent récolté avec le booking peut renflouer les caisses du festival par exemple ?
Nous sommes une structure associative unique pour ces trois activités. Nous pouvons donc en gérer les budgets comme nous le voulons. Mais comme tout gestionnaires on aime bien que les choses soient claires en interne sur le plan analytique, et rendre le booking, la salle et le festival équilibrés et autonomes. On a pour cela des comptabilités séparées pour chaque activité, avec même des comptes bancaires différents. Ca permet de voir les évolutions et corriger les tirs si besoin.
Il y a souvent eu de la boue à La Route du Rock, jusqu’à l’année dernière : des travaux ont été entrepris au fort de Saint-Père pour drainer le terrain. Qui est-ce qui paye ça ?
Les travaux étaient à l’initiative de Saint-Malo Agglomération, qui a arrêté un budget de 600 000 euros. La moitié vient d’eux, un quart du département et le dernier quart de la commune de Saint-Père en valorisation de loyer sur dix ans nous concernant. On n’a pas mis un centime dedans (sauf travaux de terrassement et l’installation d’un compteur eau dans le passé). L’espace n’a été drainé qu’à 80 %, on ne sait pas pourquoi les 20 % restant n’ont pas été traités : j’ai entendu qu’il n’y avait plus d’argent, ou que le marché aux fleurs voulait garder un espace de pelouse (mais on peut tout à fait drainer et remettre ensuite de l’herbe). On nous a fait comprendre que c’était « comme ça ». Pour le moment on va déjà profiter de ce qui a été fait, c’est déjà une belle amélioration. On passe d’un fort 100% gadoue à un endroit où tu peux quand même avoir les pieds au sec.
C’est plutôt une bonne nouvelle ça ! Un mot pour la fin ?
Heureusement la Route du Rock ne se résume pas une histoire de sous. Et il ne suffit pas de mettre un podium avec quatre groupes dessus pour s’appeler festival : c’est une histoire à construire, des rencontres, des envies et des choses à défendre.