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27 mai 2016

Dans l’antre d’Underground Resistance

par rédaction Tsugi

C’est un lieu secret, dans lequel on ne pénètre que sur rendez-vous. Il faut montrer patte blanche pour entrer dans cet espace entièrement consacré à l’histoire de la musique électronique. Tsugi vous fait visiter le musée techno d’Underground Resistance à Detroit. 

« Pas de rendez-vous, pas d’entrée. Appelez d’abord. » Sur la porte métallique du 3000 East Grand Boulevard de Detroit, on ne tergiverse pas avec les règles. Il faut dire que le bâtiment, un banal bloc sans charme aux briques rouges usées par l’âge, n’est pas des plus accueillant. Derrière son apparence rustre, l’édifice abrite pourtant Submerge, le centre de commandement d’Underground Resistance. Dans le hall d’entrée, des disques d’or et de platines sont alignés. À droite, un escalier mène vers deux étages de bureaux et de studios d’enregistrement. En face, une grande salle au parquet boisé présente dans des vitrines de vieilles machines, des vinyles, ainsi que des photographies de DJs aux platines. Bienvenue chez Submerge, bureau, disquaire, et seul musée au monde dédié à l’histoire de la musique techno.

COMBLER UN MANQUE 

Ce lieu, unique en son genre, sert depuis 2002 de repère à un label aujourd’hui culte des amateurs de techno : Underground Resistance. Fondé par Mike Banks, Jeff Mills et Robert Hood, ce collectif né au début des années 90 plaçait Detroit sur l’échiquier de la musique électronique à coup de prestations scéniques masquées et de sorties vinyles anonymes, qui entendaient mettre en avant la musique plutôt que ses interprètes, sur fond de revendications politiques et sociales. Vingt ans plus tard, c’est un autre combat qui anime ses membres : la préservation d’un héritage musical toujours bien vivant. Dans son bureau au style daté, John Collins, cogérant des lieux et membre d’Underground Resistance depuis 2003, se replonge dans ses souvenirs : « En réalité, Submerge est né en même temps qu’Underground Resistance. Mike Banks et Jeff Mills louaient des bureaux qui faisaient aussi office de studios ailleurs en ville dans les années 90, avant qu’on ne leur demande de partir. Mike a alors trouvé ce bâtiment, un ancien local syndical de trois étages, dans un état déplorable. Et il l’a acheté. » De 2000 à 2002, les membres d’Underground Resistance s’affairent à entièrement retaper les lieux, pour y installer leurs bureaux ainsi que dix studios d’enregistrement. Au même moment, le musée d’Histoire de Detroit organise entre ses murs une exposition temporaire consacrée à la techno de la Motor City en collaboration avec la bande. Mike Banks a alors une intuition. « Il s’est dit qu’il manquait quelque chose à la ville. Un musée entièrement dédié à l’histoire de la techno, à Detroit », raconte John Collins. L’exposition temporaire du Musée d’Histoire va ainsi devenir permanente au rez-de-chaussée de Submerge. Pour la visiter, il faut se plier aux règles d’Underground Resistance : pas d’entrée à l’improviste, prise de rendez-vous obligatoire par e-mail ou téléphone. D’où l’inscription sur la porte d’entrée.


© Brice Bossavie

ÉDUQUER LE PUBLIC 

John Collins donne justement une visite guidée du musée à Chloë Brown, artiste contemporaine venue ce jour-là avec sa fille. Influences de la Motown et du funk, création des pères fondateurs Derrick May, Kevin Saunderson, Juan Atkins et Eddie Fowlkes (l’oublié), seconde génération avec Underground Resistance… Pendant un peu plus d’une heure, il retrace toutes les étapes du genre au fil des vitrines et de ses anecdotes personnelles. Avant de travailler avec Submerge, John Collins a en effet directement oeuvré à promouvoir la techno à Detroit. DJ depuis les années 80, il fut l’un des premiers à jouer cette musique dans les clubs de la ville. Son rôle de guide attitré du musée s’inscrit donc dans la logique des choses : lorsqu’il en parle, tout est lié. « Il faut que les gens soient conscients de l’histoire de cette musique. Ce musée, c’est une manière de ne pas oublier Kevin, Derrick, Juan, Eddie et tous les autres musiciens qui ont donné naissance à la techno », explique-t-il.

Le retour en force du genre au sein des clubs européens réjouit d’ailleurs les musiciens de Detroit. Mais tous espèrent que cette démocratisation ne va pas effacer les racines historiques du mouvement : « Beaucoup de visiteurs viennent au musée parce qu’ils apprécient la techno en tant que musique, sans trop connaître ses origines. Je suis toujours surpris du nombre de fois où les gens sont étonnés lorsque je leur dis que ce sont des Afro-Américains qui ont donné naissance au genre. C’est important de le rappeler », confie Collins.


© Brice Bossavie

L’ESPRIT DE LA TECHNO TOUJOURS PRÉSENT 

Chez Underground Resistance, le blanc et noir dominent. Même pour le chat. Après avoir descendu des escaliers minuscules en direction du sous-sol, on croise Kitty, félin attitré des lieux aux couleurs du collectif, qui se balade au milieu des white labels du magasin de disque de Submerge. Ce jour-là, c’est aux jambes de Carlos Hawthorn, jeune journaliste anglais du site Resident Advisor qu’elle vient se frotter. « Je suis en vacances en Amérique pendant deux semaines. C’était obligatoire pour moi de venir ici acheter des disques », explique-t-il en scrutant les bacs à vinyles. En plus de raconter l’histoire de la techno avec son musée, Submerge distribue aussi les artistes et les labels de Detroit à travers le monde. Dans sa boutique avec les sorties d’Underground Resistance, KMS (label de Kevin Saunderson), Metroplex (Juan Atkins), Purpose Maker (Jeff Mills), mais aussi sur Internet avec un site qui envoie des disques du cru dans le monde entier (de Paris à Tokyo en passant par le Brésil).

La présence de Submerge en ville met ainsi en lumière la scène de Detroit, toujours aussi prolifique que par le passé selon John Collins. « Quand on parle de Detroit, certaines personnes pensent qu’il ne s’y passe plus rien, que c’est une zone déserte. Il y a encore de nombreux musiciens en ville qui produisent et sortent de la musique. Les soirées sont peut-être moins importantes qu’avant, mais l’esprit de la techno est toujours bien présent. » Que ce soit dans le club du TV Lounge, dans des bars du centre-ville, ou dans les grandes salles vides de l’ancienne usine abandonnée du Russell Industrial Center, il n’est pas compliqué de trouver un DJ à Detroit en 2016. Et la bande d’Underground Resistance pourrait bien être à l’origine de ce bouillonnement local : « Submerge distribue énormément de labels de Detroit, c’est vraiment un bon tremplin pour les DJ’s locaux », estime Kevin Reynolds, autre DJ historique de Detroit. « Ils sont toujours là pour aider les musiciens du coin sur des problèmes très divers. Il est déjà arrivé que j’aille les voir pour des questions de contrat, de tournée, ou même de matériel. Ils m’ont toujours accueilli à bras ouverts.”  


© Brice Bossavie

PILIERS DE LA COMMUNAUTÉ 

Dans l’immeuble, les musiciens entrent et sortent tout au long de la journée. Pour passer un simple bonjour, ou pour aller s’isoler et composer sur les vieux claviers et séquenceurs mis à leur disposition. Le mouvement qui s’y opère prouve bien que Submerge est l’épicentre de la techno à Detroit. En y regardant de plus près, on pourrait même se rendre compte que l’influence d’Underground Resistance dépasse le simple cadre de la musique. Elle rejaillit sur toute la ville : « Être DJ à Detroit, c’est avoir un rôle de modèle pour les plus jeunes », argumente Collins. « On a la responsabilité d’amener quelque chose de positif à la communauté locale. » Car avant d’être musiciens, les membres d’Underground Resistance restent avant tout des Detroitiens pur jus, optimistes pour l’avenir de la ville. Le collectif organise ainsi chaque été un festival dans un parc du coin pour offrir aux écoliers de Detroit des fournitures scolaires, donne des cours de musique, tandis que Mad Mike lâche régulièrement les platines pour devenir coach de baseball (son autre passion) avec les enfants des écoles locales. « La ville nous a beaucoup donnés par le passé. À notre tour de lui rendre la pareille », souligne John Collins. Une preuve de plus que la techno est bien plus qu’une simple affaire de musique à Detroit.

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