Rock 90s et décla’ d’amitié : l’interview de shame, juste avant le troisième album
En 2018 avec la sortie de son premier album Songs of Praise, shame annonçait le retour sur le devant de la scène du post-punk made in UK. Après un second album Drunk Tank Pink, teinté d’influences funk à la Talking Heads, les cinq garçons reviennent ce 24 février avec un opus plus américain que jamais : Food for Worms. Rencontre.
C’est à Pigalle, dans un hôtel à l’ambiance tamisée, que nous retrouvons Charlie Steen et Seán Coyle-Smith, respectivement chanteur et guitariste du groupe londonien shame. Le quintuplet s’apprête à sortir le 24 février prochain leur troisième album, Food for Worms. Une déclaration d’amitié sur fond de rock 90’s américain. Un sujet qui anime Steen au point de digresser longuement, laissant son comparse profiter silencieusement du confortable canapé de l’hôtel. Il conclura d’ailleurs cette interview par un malicieux : « C’était agréable de parler à soi-même.«
On a l’habitude de dire que le deuxième album est plus difficile à écrire en raison des attentes du public. Est-ce que ce troisième album a été plus facile à réaliser que Drunk Tank Pink ?
Charlie : Au début, c’était très difficile. On a littéralement passé l’année 2021 à essayer d’écrire. On avait beaucoup de bonnes idées mais pas de chanson. Et puis, dans le challenge d’écrire pour un concert, notre management a booké deux shows. On est revenus à la manière dont on écrivait nos chansons lors du premier album et dont, je suis sûr, la plupart des groupes écrivent leur premier album. C’est-à-dire, il y a un concert qui arrive et il faut avoir du matériel à jouer. Donc tu réfléchis moins sur ce que tu écris, tu essayes d’être moins critique. Après avoir trouvé une manière de travailler, ça a juste coulé très rapidement.
D’ailleurs, est-ce que cette manière de travailler vous a manqués ?
Charlie : Oui, je pense. On veut toujours mettre au point les meilleurs concerts possibles, car aujourd’hui, les gens payent pour nous voir. On ne fait plus de premières parties. Mais en même temps, si on joue une nouvelle chanson et qu’elle n’est pas bonne, on ne la refait plus. Qui s’en soucie ? L’important, c’est d’essayer des choses nouvelles. Ça te permet aussi de ne pas te reposer sur tes lauriers. Si tu vas sur scène et que tu te sens bien, c’est que ça marche. Au studio, c’est super facile de faire quelque chose qui sonne bien : tu as les percussions, tu peux ajouter du piano. Mais pour que quelque chose sonne bien en live, il faut que le cœur de la mélodie soit bon.
Avec Food For Worms, vouliez-vous poursuivre le nouveau son que vous aviez trouvé sur Drunk Tank Pink ou changer complètement de direction ?
Seán : Sur le second album, Drunk Tank Pink, on était beaucoup plus obsédés par des artistes comme Talking Heads qui ont insufflé une approche rythmique funk à notre musique. Et on l’a expérimenté jusqu’à saturation. Je pense qu’on a naturellement trouvé ça ennuyant et on s’est dirigés vers une nouvelle direction. C’est venu en écrivant. C’est pour cela qu’on retrouve des influences plus 90’ et alternatives.
Sur cet opus, il y a toujours des sonorités américaines fortes. Les États-Unis ont-ils été une grande source d’inspiration ?
Charlie : On est tombés amoureux de Jeff Buckley
Seán : Et de Bruce Springsteen. C’est certain qu’il y a quelques influences américaines sur cet album. Surtout le son venant des années 90 et alternatif, comme Sonic Youth ou les Pixies.
Charlie : On a tout de même demandé à Phoebe Bridgers de faire les choeurs sur le titre « Adderall » qui est un médicament américain.
Vous faites aussi référence à certains groupes allemands.
Charlie : Blumfeld, oui ! Avant de faire l’album, je n’avais pas vraiment de but musical. Notre manager, avec qui je vis, m’a fait découvrir Blumfeld et ça a été un déclic. Ils ont écrit l’un des meilleurs albums que j’ai pu écouter (L’etat et moi). C’est une musique très simple. De nouveau, on revient à la structure d’une chanson. C’est naturel et organique. Il y a très peu d’ajouts. Et comme l’a dit Seán, l’influence de Sonic Youth est importante. Surtout le truc à la Velvet Underground où tout est un demi-ton en dessous. On voulait avoir des jolis accords et garder une sorte d’obscurité. Le titre « Yankees » en est l’exemple.
Y a-t-il autre un autre genre que le garage ou le post-punk, que vous aimeriez explorer un jour ?
Seán : Carrément, j’aimerais explorer des directions un peu plus folk. Je pense que sur cet album il y a eu pas mal d’influences folk, et j’aimerais approfondir ces sonorités. Notre titre « Fingers of Steel », par essence est assez folk. Si on prend ce genre d’éléments et qu’on les intègre à la musique que nous faisons, je pense que cela peut créer quelque chose de très intéressant.
Cet album est consacré à l’amitié, pourquoi était-ce important pour vous de parler de cette thématique ?
Charlie : La plupart des chansons populaires de musique pop parlent d’amour, de cœurs brisés. Tout est centré sur les relations amoureuses alors que tout cela arrive aussi en amitié. Je pense que les ami·es font vraiment de nous ce que nous sommes. Mon film préféré est Withnail and I. C’est un film anglais qui suit trois personnages. C’est très minimal. Il n’y a pas de scène d’amour, c’est juste trois mecs. Pourtant, c’est le plus beau film d’amour que j’ai vu. Nos proches peuvent être des thérapeutes, des prêtres, des confident·es… On leur déballe tellement de trucs et on en reçoit tellement en retour. C’est une question de perspective, tout comme l’est l’expression « Food for worms » (« nourritures pour vers »).
Que veut dire ce titre, d’ailleurs ?
Charlie : Cela veut dire que lorsqu’on meurt, notre corps devient de la nourriture pour les vers. Ça, c’est la manière morbide de percevoir cette expression. L’autre manière, c’est de considérer cela comme une renaissance. C’est le cycle de la vie. Il y a une sorte de réconfort là-dedans. C’est comme lorsqu’on regarde l’océan ou un canyon et qu’on se sent très petit·e. On se rend compte qu’il y a tellement de choses qui se passent dans le monde qui sont hors de notre contrôle, et que finalement c’est très bien comme ça.
Est-ce que votre perception de l’amitié a changé depuis que vous avez commencé Shame ?
Charlie : Carrément ! C’est comme si j’étais marié à quatre personnes. On a une amitié qui est vraiment amplifiée. Je suis certain que tout le monde a un·e meilleur·e ami·e mais pouvez-vous vous imaginer n’être jamais seul·e pendant un an ? Être dans un van ou une pièce, toujours entouré·e par quatre personnes.
Cela me semble difficile.
Charlie : À cela tu ajoutes des opinions différentes sur des sujets créatifs et ce qui arrive dans nos vies personnelles… Être dans un groupe a vraiment changé notre vision de l’amitié. L’une des clés pour trouver un équilibre et ne pas s’entretuer, c’est la communication. Nous sommes vraiment en train de nous améliorer dans ce domaine. Et puis, il y a aussi le temps de séparation, qui est assez difficile à trouver : nos amis sont les mêmes. Drunk Tank Pink parlait de la manière dont je parvenais à me déconnecter, sur cet album, on aborde la question collectivement… Désolé, je parle beaucoup Seán.
Seán : C’est rien.
Le processus d’écriture a-t-il d’ailleurs été un moment de confessions ?
Seán : Il y avait un peu de ça. L’enregistrement d’un album peut être un environnement très émotionnel et intense. Surtout quand on travaille depuis trois mois, qu’on est dans une pièce minuscule et qu’on a une vision étroite des choses.
Charlie : Je suis allé boire un verre avec l’un de nos ingénieurs et ma petite amie lui a demandé comment c’était de travailler avec des groupes. Il lui a répondu que c’était toujours la même putain d’histoire. Les membres arrivent, ils sont bizarres. Le producteur ou l’ingé son doit jouer le rôle de thérapeute pendant deux semaines. Du genre : « tu lui as dit ça à propos de ces paroles et de cet accord de guitare, il faudrait que tu t’excuses ». Et puis ensuite tout le travail se fait durant la dernière semaine d’enregistrement. C’est très masculin et tellement anglais comme manière de procéder. Un horrible cliché. En fait, on est toujours des gamins parce qu’on se connaît depuis tellement longtemps.
Le thème principal qui transparaît dans les paroles est l’amitié mais c’est aussi un album qui a été fait dans une cohésion totale. Charlie tu as joué de la basse pour la première fois, et tous les membres ont participé au chant. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Charlie : Josh, notre bassiste qui est un excellent compositeur a attrapé le COVID le jour où nous partions en retraite pour écrire Food for Worms. Là-bas Seán a joué le riff d’ »Adderall ». J’ai alors juste pris la basse et joué quatre notes que j’ai ajoutées à la mélodie des couplets. J’ai trouvé ça intéressant et je l’ai refait pour le titre « Burning by Design ». Et puis quand j’avais besoin de travailler sur une mélodie en studio, je demandais à Josh de me donner les notes les plus simples à la basse et de les jouer en descendant pour les chanter. J’ai continué à le faire et j’en suis très heureux, même si ça m’a pris probablement trop de temps pour arriver à ce stade de réalisation. J’aimerais penser que sur cet album, la musique et le chant fonctionnent plus en tandem qu’avant. Les chœurs sont des mélodies très importantes, tout comme entendre la voix de tout le monde en unité.
Seán : Comme Charlie, j’ai apprécié réfléchir à des mélodies en tandem avec la guitare et créer des accroches plutôt que de me concentrer uniquement sur mon instrument. C’était vraiment agréable. Mais je ne prétends pas être le meilleur chanteur.
L’ensemble des chœurs sur l’album est vraiment réussi.
Charlie : C’est l’astuce des Beatles. Quand ils ont commencé aucun d’entre eux n’était vraiment un très bon chanteur solo mais quand ils chantent à plusieurs ils sonnent vraiment bien.
shame bientôt meilleur que les Beatles (rires)
Charlie : Tu l’as dit en première ! (Rires).
Pour attendre Food for Worms en musique et dans l’ambiance de l’album, shame nous a concocté une mini-playlist de leurs récentes inspirations. À retrouver sur Deezer, Spotify et Apple Music :