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29 décembre 2022

Vinyles, le plastique pas fantastique

par Clémence Meunier

Le problème avec le retour des vinyles, c’est qu’ils sont en PVC, un plastique dérivé du pétrole dont la fabrication est polluante. Si les alternatives sont encore rares, certains étudient de nouveaux matériaux innovants ou réfléchissent à limiter les dégâts, en fabriquant à la demande pour éviter le gâchis.

Article issu du Tsugi 154 : La vie en vert, comment la musique fait sa mue écologique 

Ce n’est pas un scoop, le vinyle a la cote. Depuis une quinzaine d’années, les ventes de 33 tours reviennent petit à petit au niveau de leur âge d’or : aux États-Unis par exemple, 41,7 millions de vinyles ont été vendus en 2021, deux fois plus que l’année précédente, pour une industrie ayant dépassé le milliard de dollars de revenus annuels, ce qui n’était plus arrivé depuis les années 1980. En France, ils représentent aujourd’hui un tiers des ventes physiques, avec 5 millions de copies écoulées en 2021. Sauf que… N’importe quel artiste tentant de sortir du vinyle s’arrache aujourd’hui les cheveux tant les délais sont longs pour recevoir les précieux cartons de disques. La faute à une demande bien sûr de plus en plus grande, et à un incendie ayant ravagé en 2020 Apollo, l’une des deux seules usines au monde produisant la laque hautement toxique nécessaire à la création des masters, ces premiers disques servant de modèle à la fabrication à la chaîne des vinyles.

Mais il y a un autre point dont on parle moins quand on évoque le futur des galettes : leur empreinte écologique. Un disque est fabriqué en polychlorure de vinyle, alias PVC, la troisième matière plastique la plus utilisée au monde. Elle est composée de deux matières premières : le sel de mer (jusqu’ici tout va bien), et le pétrole (aïe). Au-delà de piocher dans les réserves pétrolières (à hauteur de « seulement » 0,7 %, contre 70 % pour le gazole routier, mais tout de même) et d’être accusé d’être cancérigène, le PVC est produit dans des usines pointées du doigt. En effet différentes associations écologiques ont relevé des taux de toxines anormaux dans les rivières et étangs adjacents, ainsi qu’un nombre élevé de maladies professionnelles.

 

Des dubplates au bioplastique

Produire des vinyles différemment : ici et là, quelques solutions sont évoquées. Chez La Contrebande, c’est carrément le concept du pressage que l’on remet ainsi en cause. Depuis leur atelier/studio dans le IXe arrondissement de Paris, Louis et Arnaud réalisent ainsi des vinyles à la commande. Ils ne sont pas pressés, mais gravés. « On grave directement sur un plastique, sans passer par l’étape du master en laque. C’est du ‘direct cutting’. On n’invente rien, c’était ce qui était fait à l’époque : on appelait ça des dubplates », expliquent les deux ingénieurs du son. Tout se fait en temps réel : pour une face de quinze minutes de musique, il faut ainsi compter… quinze minutes de gravure. Difficile à appliquer à de grosses productions, mais les avantages sont autres : travaillant directement avec les artistes ou les labels, de l’unité jusqu’à la centaine de disques, La Contrebande fabrique les vinyles depuis Paris, à la commande, sans stock, limitant ainsi le gâchis.

En lieu et place du PVC, ils utilisent un dérivé de plexiglas. Plastique toujours, mais exclusivement européen et issu au moins pour moitié de matières recyclées. Quant à leurs machines à graver, elles sont anciennes, retapées, bidouillées même, pour assurer un rendu sonore tout à fait similaire à un vinyle classique, devant simplement limiter le temps pour chaque face à une quinzaine de minutes. Au-delà des méthodes de fabrication, c’est une réflexion sur le matériau en lui-même qui commence à être menée par quelques activistes. M Com Musique, usine de pressage rennaise, a ainsi commencé à travailler, parmi d’autres, sur l’utilisation d’algues comme matière première pour remplacer le pétrole. Problème : le vinyle est tellement biodégradable… qu’il se dégrade beaucoup trop vite. Mais depuis quelques années, outre-Manche, les passionnés d’Evolution Music travaillent discrètement sur une nouvelle recette de « bio-plastique ». Et les premiers résultats sont plus que prometteurs.

 

Des vinyles sucrés

Ce nouveau vinyle est en PLA, un biopolymère à base de canne à sucre, cultivée selon les standards Bon Sucro (une certification autour d’une agriculture respectant les hommes comme la planète). « Le sucre remplace le pétrole dans la composition chimique de ce bioplastique. On a aussi créé des équivalents à base de plantes pour les autres ingrédients qui composent un vinyle, comme ceux qui lui donnent sa couleur », explique Marc Carey, DJ qui a longtemps travaillé comme consultant « environnement » pour le grand capital, avant de tout plaquer il y a sept ans pour monter son label. Ne trouvant pas d’alternative écolo pour les vinyles de ses artistes, il a lancé Evolution Music, dont il est aujourd’hui CEO. Ce PLA, fabriqué entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, se présente exactement sous la même forme, des petites billes que l’on chauffe pour créer une boule qui sera pressée, que le PVC. Même forme, même machine, une seule différence : la presse doit être un poil moins chaude que pour produire un vinyle classique, ce qui de fait représenterait des économies d’énergie de 10 à 15 % si une usine se convertissait complètement. Autre bonus, la matière produirait moins d’électricité statique.

Et ce « bio LP », comme aime à l’appeler Marc, tient dans le temps et ne présente pas de différence majeure à l’écoute. « La même qualité sans la culpabilité », lance-t-il, enthousiaste. Bien sûr, pour le moment, ces vinyles sucrés sont plus chers que les classiques PVC, de 30 à 50 % à l’unité vendue à l’usine. « La différence est dérisoire, de l’ordre de 50 centimes l’unité. Aussi, si le produit plaît, on pourra faire des économies d’échelle. Et on est peut-être l’une des seules entreprises au monde à bénéficier de la hausse du prix du pétrole ! », ajoute Marc. Un premier vinyle a été mis sur le marché cette année, avec le concours du label Ninja Tune et de l’association Music Declares Emergency. « Les industries du plastique et de la musique savent qu’il y a un problème depuis de nombreuses années mais n’ont absolument rien fait ! Il a fallu que quatre passionnés indépendants anglais se remontent les manches et s’en occupent eux-mêmes. Aujourd’hui, je ne vois aucune raison pour laquelle on devrait continuer à utiliser du PVC. » Le début d’une révolution ?

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