Une nuit inoubliable avec Julien Granel
Propos de Julien Granel issus du Tsugi 155
Auteur avec son premier album Cooleur d’un manifeste pop électronique acidulé et explosif, le Français Julien Granel s’est embarqué dans sa première tournée solo avec un objectif en tête: rendre la nuit de chaque spectateur inoubliable.
En ce moment, les nuits s’enchaînent à un rythme effréné. Elles deviennent petit à petit mes journées, finalement, guidées par le flash des stroboscopes, le bourdonnement des basses, la chaleur humaine, les explosions de joie, l’euphorie du public, les décibels des cris, une transe totale, intense et libératrice, comme une célébration de la vie, une étrange cérémonie dansante et multicolore. Elles se suivent, ont quelques points communs, mais ne se ressemblent jamais. Chaque nuit est unique, inédite.
13h: La pré-nuit, c’est le quai de gare. J’y rejoins mon ingé-son. Il y a toujours un goût d’aventure nouvelle, tout est encore possible. Debout depuis peu, déjà épuisé par le poids de mes synthétiseurs (que je déteste toujours à ce moment de la journée), je slalome dans cette fourmilière géante qu’est la gare. Mes cheveux bleus et mes tenues multicolores dénotent, et m’aimantent toujours à des gens qui me croisent par hasard, et écoutent ma musique. C’est très nouveau comme sensation, très étrange.
17h: C’est toujours la découverte, les premières sensations d’une nouvelle destination, de nouvelles rencontres. J’arrive dans la salle, et je branche mes dizaines de câbles à mes machines, face à une fosse vide, que j’imagine déjà vibrer.
20h50: L’adrénaline est à son paroxysme. J’entends les cris, lointains, étouffés par les murs de la loge. Je n’ai qu’une envie, c’est courir sur scène. C’est l’heure ou j’ai ce petit pic de stress addictif. J’ai ce souvenir très précis, deux minutes avant de monter sur scène à Bercy, devant 17000 personnes, en ouverture pour Angèle. Je n’avais jamais ressenti un vertige si fort. J’ai passé les deux dernières minutes à me demander pourquoi je n’étais pas en train de boire une bière avec mes amis plutôt que de m’infliger cette surcharge émotionnelle.
21h01: Les premières minutes sont celles que je préfère. Selon moi, tout s’y joue. Ayant fait des dizaines de premières parties, je sais d’expérience que c’est dans ce minuscule laps de temps que la première impression se fait, celle qui restera, l’instant où le public choisit de te serrer la main ou d’aller reprendre un verre. Même si aujourd’hui j’ai la chance de faire une tournée en tête d’affiche, je garde ces réflexes de première partie, je sacralise encore ce moment. Je pourrais vous parler de ce concert sur un bateau où mon ordi s’est éclaté sur le sol tellement la foule faisait tanguer le navire, de ce gars qui, en festival, a lancé une chaussette qui a atterri sur la barre espace de mon clavier et stoppé instantanément la musique, de ce concert en Biélorussie où les gens ne devaient pas comprendre un mot de ce que je disais, ou de cet autre devant six cents voitures, car c’était la seule manière de contourner les normes sanitaires… Il serait malhonnête de ma part de passer sous silence ces dates où je pouvais compter le nombre de personnes dans la salle. Un jour, j’ai joué pour six personnes, et c’est un souvenir assez magique. J’aime ce grand n’importe quoi.
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21h53: Après quasi une heure de sprint, il ne reste que trois ou quatre titres. La température est sûrement de 35 °C, ressentie 78. Les morceaux s’enchaînent, je passe d’une émotion à l’autre, c’est toujours très intense, intérieurement. Et extérieurement: je donne tout. Comme si c’était le dernier concert de ma vie. Je vais chercher les gens et ne les lâche plus une seule seconde, jusqu’à en faire trembler les murs de la salle. Je me sens épuisé, j’ai sûrement perdu des grammes par dizaines, des litres de sueur, mais vient le moment qui va me réveiller un grand coup. Je joue « PLUS FORT », le morceau qui a lui seul, je pense, remplit 80% de la salle. La fosse saute, je visualise cette image dont je rêvais il y a encore quelques heures. L’énergie et l’électricité dans l’air me transcendent. J’ai l’impression que ce moment précis est toujours irréel, inexplicable. Il appartient à ces précieuses choses sur lesquelles on ne peut mettre de mots assez forts. On tente de les raconter pour partager cette sensation, mais on finit toujours par abandonner et simplement dire que c’était mieux en vrai. Un souvenir mystique qui éclaire la nuit.
22h30: Je reprends mes esprits. Je vais à la rencontre du public, là encore, sensation nouvelle. Des milliers de visages, sourires, larmes, histoires. C’est passionnant.
00h: L’adrénaline est toujours présente, la nuit avance, il faudrait dormir. Le début d’une nouvelle course contre la montre. Ranger le matériel, le poser quelque part, puis se perdre dans la ville. Trouver l’endroit qui passe la meilleure musique: de préférence de la disco, ou du funk. Si c’est sur vinyle, et qu’ils sont choisis avec passion, alors là, c’est un jackpot. C’est l’heure où commence ma journée de DJ. Mais ça, c’est une autre nuit. Comme sur un nuage, à part, l’envie de continuer cette grande fête est très vite rattrapée par le sommeil. La nuit se termine dans une chambre d’hôtel en face de la gare. Elle recommencera demain matin, sur le quai, direction une nouvelle aventure. Rien que d’y penser, je suis déjà épuisé. Mais ce n’est pas grave: dès demain matin, j’ai une nouvelle nuit à rendre inoubliable.
Retrouvez-le en concert à la Cigale le 13 avril 2023