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5 mai 2022

Horst : le festival qui ne te prend pas pour un idiot

par Clémence Meunier

Le Horst Festival part du principe qu’on peut tout aimer à la fois : la fête, les musiques électroniques, l’art contemporain, réfléchir à des sujets de société et être sympathique au passage. On les en remercie.

« C’est par là, suivez les schlaggs !! » : elle est bruyante, de bonne humeur et sur le bon chemin la bande festivaliers envahissant les rues tranquilles de Vilvoorde en ce vendredi de la fin avril. Il y avait pourtant une navette qui leur permettait de rejoindre la fête depuis la gare de cette ville flamande du nord de Bruxelles. Mais avec le vent qui s’engouffre entre les maisons de brique, le fond de l’air est frais. Mieux vaut marcher que d’attendre. Ça sent la Jupiler et la tension, certains s’enquiert déjà d’un éventuel after… Vous imaginez qu’il fait nuit, avec au loin un mur d’enceinte crachant du gabber néerlandais non-stop au milieu d’une zone industrielle nue et un peu crade ? Cliché ! On a beau avoir les chaussures sales et danser sur des musiques électroniques au Horst, le festival, mêlant son, arts et architecture, s’échine depuis sa première édition en 2014 à déconstruire l’image de bas du front défoncé qui colle encore trop souvent à la peau de ceux qui aiment la techno. Le concept : sur une ancienne base militaire, une exposition de sculptures, photos et installations sert de cadre à une rave à la programmation pointue, jeune et aventureuse. Ou quand de l’art contemporain politique cohabite avec des dancefloors en sueur, quand les scénographies sont pensées comme des laboratoires d’architectes, et quand même l’assiette (exclusivement végétarienne) porte un message engagé.

« On ne veut pas voir notre public comme de simples consommateurs de bières, de musique ou de fête », précise Evelyn Simons, co-curatrice de l’exposition associée chaque année au festival, qui jusqu’ici se tenait en septembre. « Notre idée est de réunir ces mondes, l’art, la fête, la musique, l’architecture, pour piquer la curiosité des gens. On ne s’attend pas à ce qu’ils comprennent complètement chaque œuvre ce week-end, mais pour la première fois cette année l’exposition s’ouvre avec le festival au printemps : les gens vont pouvoir revenir voir les installations tout l’été s’ils veulent aller plus loin ». Force est de constater que non, tout le monde ne va pas passer deux heures de sa nuit à aller étudier les œuvres réparties un peu partout autour des baraques militaires et dans les sous-bois du site. Mais en journée (le festival ouvre à 13h et ferme à 1h du matin), ils sont nombreux à déambuler, prendre des photos, se gratter le crâne un poil circonspects ou être émus devant les différentes déclinaisons du thème de l’année, « The Act Of Breathing ».

HORST

© ILLIASTEIRLINCK

« Nous avons emprunté ce titre à la poétesse congolaise Sony Labou Tansi, qui raconte que le fait de respirer est quelque chose pour lequel il faut se battre, à plein de niveaux différents, pour notre liberté mais aussi celle de la nature. Ce souffle peut être confisqué aux opprimés. Nous sommes en Belgique, pays qui a colonisé le Congo : ce thème d’exposition est clairement politique, même s’il peut prendre de multitudes de formes », explique Sorana Munsya, qui a rejoint Evelyn cette année sur la partie « arts » du festival. « L’installation de Pascale Marthine Tayou est par exemple très simple, mais très évocatrice de la relation et l’histoire entre le Congo et la Belgique, et montre comme les informations peuvent être déformées, comme le silence peut couvrir l’horreur et la violence. Je trouve que c’est très puissant d’avoir cette œuvre à l’extérieur, avec des gens faisant la fête autour, dansant, s’amusant, buvant, passant un bon moment avec des gens qu’ils aiment. Ils ont plus de capacités que ce que veulent bien dire certains. On peut être touché par une œuvre, puis aller faire la fête en mode ‘party hard’, et tout de même réfléchir à des sujets politiques. Les gens sont intelligents ! ». Ce n’est même pas de la flatterie : les organisateurs de Horst sont jeunes, passionnés d’art, fêtards, engagés, et ont tout simplement créé un festival qui leur ressemble, sans avoir l’impression d’être pris pour des jambons par des organisateurs leur servant de simples tunnels techno dans un grand hangar vide.

Ainsi, quand Palm Trax retourne le festival en toute fin de premier soir, c’est entouré d’une structure toute en loupiottes, flanquée d’un feel-good « Bodies In Alliance », rappelant les décors des fêtes de villages méditerranéens. Quand DVS1 clôture le dimanche soir avec un set efficace, quoiqu’un poil linéaire, c’est dans le ventre d’une baleine, figuré par de longs draps (et une grappe de tétons? De coraux ?) flottant au-dessus de la tête des danseurs. Et quand Dr. Rubinstein et Freddy K enchaînent plusieurs petites merveilles acid, c’est baignés d’impressionnants spots verticaux, donnant à la plus grande des warehouses des allures de temple alien. « Dès les débuts de Horst, on a voulu expérimenter avec le design de la scène, en invitant chaque année différents artistes et architectes à repenser cet espace », se souvient Matthias Staelens, architecte de formation et co-fondateur du festival. « Évidemment, on a grandi : ce samedi on attend 10 000 personnes, on a maintenant six scènes, et si on pense toujours que l’expérimentation dans l’espace est quelque chose d’intéressant, on s’est rendu compte que le fait de construire temporairement quelque chose a un impact écologique ». Ainsi, la hutte de la scène Moon Ra, dédiée uniquement aux artistes belges, programmée par la radio Kiosk et déjà présente l’année dernière, a été construite à partir du bois et même des vis récupérés d’une ancienne édition. Et La Rotunda est abritée par une serre agricole reconditionnée, avec sa bâche percée laissant passer les rayons du soleil, pour danser dans la lumière comme dans une église perchée. Des scénographies se voulant toujours un poil différentes de celles de la concurrence, car toujours imaginées par des architectes et artistes connaissant le clubbing, mais ne travaillant jamais directement pour le milieu. Ce qui donne à chaque espace son identité propre et marquée : d’un groupe à l’autre de festivaliers, tous ont un petit surnom pour chaque scène, quitte à avoir quelques absurdes conversations (« – Tu vas au tipi ? – Non aux tétons ! »).

Horst

© Dieter Van Caneghem

 

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Au Horst, il y a donc de l’art, de l’architecture, des expériences de scénographies originales, de la fête ; vous savez à quoi ça ressemble une bonne fête : beaucoup de respect entre tout le monde, aucun relou détecté, peu d’attente aux bars et toilettes, un service de sécurité discret et souriant, des bénévoles s’occupant des gens fatigués, 42 kilomètres de marche et surtout de danse par jour. Mais aussi, bien sûr, beaucoup de musique, jouée par des DJs souvent locaux – mention spéciale au back-to-back techno-acid-rave-psyché-etc entre Azo & Fais Le Beau – et jeune – la Chilienne installée à Milan Paula Tape et sa sélection solaire et percussive, ou UNIIQU3, MC américaine qui nous a réconciliés avec les gens qui prennent le micro pendant leur set. « C’est vraiment important pour nous de donner de la force aux jeunes artistes et de leur proposer de bons horaires, plutôt que d’offrir tous les peak-times à des DJs renommés », précise le programmateur et co-fondateur Simon Nowak, alors qu’en cette reprise post-covid le montant des cachets des énormes DJs tête d’affiche explose. « On essaye de s’éloigner de tout ça, de rester pointu dans nos choix musicaux. Si un gros festival programme un artiste, peut-être qu’on n’en a plus autant besoin au Horst ».

Si Elkka est tout de même attendue au Sonar Lisboa 2022, elle n’a en effet pas encore fait le tour de tous les plateaux d’Europe. La Londonienne, patronne de son propre label femme culture, a pourtant offert l’un des meilleurs sets du festival, embarquant en pleine après-midi une masse de plus en plus grande de danseurs extasiés, baladés avec énormément de finesse entre techno, house, acid, samples de Psychose chers aux vieilles raves et finish sur « Ain’t No Mountain High Enough » chanté à plein poumons par l’assemblée. La veille, c’est déjà dans cette warehouse aux lumières verticales que la grosse claque de la nuit est arrivée, avec Eris Drew et Octo Octa, pour un des plus fluides back-to-back qui soit. Et un shot de joie communicative, chacune des deux DJs semblant sincèrement s’éclater en fond de scène quand l’autre enchaînait les bangers, sans jamais un seul instant faire preuve de prétention ou de trop de sérieux. Ce n’est pas Teki Latex qui se plaindra de cette vibe : invité pour la deuxième année consécutive au festival après un set complètement givré en septembre dernier, il a terminé sa prestation par… un remix de « Libérée, Délivrée » de La Reine des Neiges. Une interprétation un peu légère de la soif de liberté du « Act Of Breathing », mais une interprétation quand même. Parce qu’après tout c’est ça le Horst : mélanger les niveaux de lecture, réfléchir sérieusement sans se prendre au sérieux, et surtout, surtout, ne pas partir du principe que les technoheads sont de complets idiots. 

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