đïž NiluÌfer Yanya : Guitare heÌroiÌne de son nouvel album Painless
ApreÌs avoir absorbeÌ toute la culture pop et rock britannique en lâespace de quelques anneÌes, la chanteuse et guitariste NiluÌfer Yanya sort son deuxieÌme album Painless, un disque familier, quâon a lâimpression dâavoir toujours connu, mais qui sonne pourtant nouveau. En concert ce dimanche au Trabendo Ă Paris.
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Se plonger dans la liste des influences de NilĂŒfer Yanya revient Ă prendre l’Eurostar fissa pour dĂ©penser toutes ses Ă©conomies chez un disquaire londonien : Radiohead, The Cure, Joy Division, King Krule, The Strokes, PJ Harvey… Ces icoÌnes hantent les articles consacreÌs aÌ la jeune chanteuse et guitariste anglaise de 26 ans, comme sâil fallait absolument comparer NiluÌfer Yanya aÌ tout ce que la musique britannique a enfanteÌ de meilleur depuis un demi-sieÌcle. Pourtant, câest presque sans pression que la principale inteÌresseÌe vit la sortie de son deuxieÌme album, le bien nommeÌ Painless. Un disque au charme inexplicable, car inclassable, ouÌ le jazz rencontre le post-rock, aÌ moins que ce soit le rock qui ne rencontre le post-jazz, quand on nâentend pas çaÌ et laÌ des beats hip-hop ou la douce cavalcade de la drumânâbass si cheÌre aÌ nos voisins anglais.
Sur Miss Universe, son premier album sorti en 2019, NiluÌfer Yanya cherchait deÌjaÌ aÌ tout prix aÌ abattre les murs en carton qui seÌparent trop souvent les estheÌtiques musicales. Au risque de partir un peu dans tous les sens, malgreÌ des interludes qui venaient relier les morceaux entre eux, façon album concept. « CâeÌtait tentant de revenir avec un concept, une histoire, admet-elle trois ans plus tard depuis son appartement londonien. Jây ai penseÌ, mais je nâavais pas envie de trop en faire cette fois, je voulais laisser aux gens la possibiliteÌ dâinterpreÌter les chansons, de trouver ce quâelles voulaient dire pour eux avant tout. Personnellement, câest comme ça que je me connecte aÌ la musique que jâeÌcoute, comme les Pixies, SAULT, Alabama Shakes, Elliott Smith, Big Thief, The Cure, PJ Harvey… Aussi, jâeÌtais fieÌre des morceaux. CâeÌtait effrayant de ne pas les âenroberâ, mais câest un sentiment plutoÌt agrĂ©able sur lequel plusieurs personnes sont intervenues, et ont donc apporteÌ plusieurs vibes, nous nâeÌtions que deux ou trois aÌ travailler sur celui- ci, ce qui lâa rendu plus coheÌrent, entre pop et rock, avec tout ce qui peut aller entre les deux. »
Pas de concept donc mais un fil rouge : la guitare. Câest sur elle que NiluÌfer Yanya eÌcrit et compose, câest elle qui est sublimeÌe par la production de Wilma Archer, et câest elle qui sait se faire oublier pour mieux faire ressortir une nappe, un refrain ou une belle meÌlodie chanteÌe dâune voix grave, leÌgeÌrement voileÌe. « Je ne serais pas capable de faire un disque avec uniquement ma guitare et ma voix, vu que je nâaime pas faire la meÌme chose trop longtemps », confie-t-elle, avant de laisser son regard se perdre par la feneÌtre de son appartement, le visage eÌclaireÌ par la lumieÌre eÌtonnamment ultra-bright de lâhiver londonien.DeÌcrocher de cette manieÌre, ça lui arrive beaucoup. Pas par ennui ou impolitesse. Mais NiluÌfer Yanya fait partie de ces gens qui sâarreÌtent en plein milieu de phrase et reviennent aÌ eux quelques secondes apreÌs pour lancer un « yeah » ou un «you know» plein de douceur. Lunaire, diront certains. ReÌveuse, diront dâautres. Mais certainement pas inconsistante. Parce quâil est des moments ouÌ elle sâanime particulieÌrement : pour eÌvoquer le mouvement Black Lives Matter, la situation catastrophique de la politique de logements sociaux dans la capitale anglaise, elle qui a grandi dans des HLM du West London comme la plupart de ses amis, ou pour parler des workshops quâelle organise avec sa sĆur pour les communauteÌs deÌfavoriseÌes ou les reÌfugieÌs nâayant acceÌs aÌ aucune pratique artistique. Lâoccasion pour les deux sĆurs de « rendre ce quâon leur a donneÌ quand on eÌtait enfants ».
NilĂŒfer fait du Yanya
Fille de deux artistes, meÌtisseÌe (sa meÌre est irlando-barbadienne, son peÌre turc), sĆur dâune artiste visuelle (qui a dâailleurs reÌaliseÌ certains de ses clips), NiluÌfer a grandi dans le genre dâenvironnements qui encouragent la crĂ©ation, la laissent mĂ»rir librement, et c’est dĂšs l’enfance qu’elle commence Ă jouer de la guitare et Ă Ă©crire quelques petites chansons. Tout juste vingtenaire, elle poste ses premiĂšres dĂ©mos sur Soundcloud et se fait repĂ©rer par Louis Tomilson des One Direction, qui cherche Ă monter un nouveau girls band et faire d’elle une star. Elle prĂ©fĂšre dĂ©cliner, signe sur un label indĂ©pendant, se produit dĂšs qu’elle peut, reçoit d’excellents retours critiques, et rempile pour ce trĂšs rĂ©ussi deuxiĂšme disque oĂč elle ose petit Ă petit Ă©crire sur ses sentiments et sa claustrophobie de citadine en plein confinement. Ă son rythme, en douceur, mais sĂ»re de ce qu’elle ne veut pas, avec toujours une guitare Ă portĂ©e de main alors qu’en 2022 la six-cordes ne squatte plus vraiment les sommets des charts, trustĂ©s par le rap et le R&B. « Il y a tellement Ă explorer avec cet instrument. Mais je garde l’esprit ouvert et j’Ă©coute Ă©normĂ©ment de choses qui ne sont pas de la « musique de guitare », comme du R&B. » Parce qu’il est besoin de le prĂ©ciser : il est dĂ©jĂ arriver que NilĂŒfer Yanya, plus rockeuse qu’autre chose, soit Ă©tiquetĂ©e « musique urbaine ». « Les gens lisent mon nom, voient que je suis une femme, que j’ai des origines mĂ©tissĂ©es malgrĂ© ma peau blanche, et vont penser que je fais du R&B. C’est dommage qu’encore aujourd’hui certains se concentrent plus sur le nom et l’origine des gens que sur leur musique, mais j’ai surtout l’impression de voler ce qualificatif Ă de super artistes qui le mĂ©ritaient bien plus que moi. » En meÌme temps, pas besoin de « qualifier » NiluÌfer Yanya. Elle fait du NiluÌfer Yanya, point, et ça nâest que le deÌbut.
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