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22 février 2022

Qui est Jwles le rappeur tout-terrain au flow inoxydable ?

par Tsugi

Portrait de Jwles, rappeur parisien certainement pas comme les autres, aussi à l’aise avec les beats hip-hop que house. Son ascension vient à peine de commencer. On veut bien le parier.

Par Louis Borel

Jwles n’est pas issu de la rue et n’a jamais fait semblant. À vrai dire, Jules Abecassis a grandi à New York avec ses parents jusqu’à ses 8 ans, puis à Grasse, avant de s’établir à Paris. Il fonde après sa majorité un collectif avec deux amis peintres, LTR Worldwide, avec pour ambition de “créer un univers” — le groupe comprendra à son apogée une dizaine de membres.

Jwles se souvient bien de la réaction de son père, le jour où il lui a montré Rap contenders. Devant ces battles cultes diffusés sur YouTube, lors desquels deux MCs s’affrontent à coups de punchlines souvent laborieuses, il lâche, perplexe : “C’est pas un peu tiré par les cheveux, cette merde ?” Le paternel, fan de Snoop Dogg comme de NTM qui a emmené, adolescent, son fils à un concert de 50 Cent, préfère les phases authentiques, qui claquent. Jwles gardera ce goût pour des paroles percutantes. “J’écoute très peu de rap français justement parce qu’il y a trop de personnages, une surenchère dans la violence, un manque de simplicité, confie-t-il. Ce n’est pas réel et je le sens trop. Ou alors pire, on tombe parfois dans un côté moralisateur.” S’il admire la plume à fleur de bitume de légendes nationales comme Booba, Oxmo Puccino ou Hill G, des X-Men, le rappeur se reconnaît plus dans l’écriture des Américains, Ghostface Killah, Slickk Rick, Rio Da Yung OG, “qui ne se prétendent pas lyricistes ou rappeurs conscients, mais sont juste eux-mêmes, naturellement”. 

Quand il commence à enchaîner les rimes, l’influence du cousin états-unien reste telle qu’il opte pour des textes en anglais. “J’étais plus à l’aise, raconte-t-il. C’est une langue mélodieuse, bien plus que la nôtre, et je détestais entendre ma voix en français.” Lors d’un voyage à Atlanta en 2018, après une session avec le MC et producteur Nutso, il va jusqu’à s’essayer à une façon toute locale de poser, le DMV flow. Bingo : avec ce débit cadencé, enregistré phrase par phrase et placé sur l’instrumentale à léger contretemps, le rappeur trouve un “outil” rêvé. Plus besoin d’écrire en amont, il peut désormais poser ses lignes tranchantes comme elles lui viennent, devant le micro. “Avec le DMV, les phrases restent dans l’air, elles ne sont pas mises en mots, apprécie le rappeur. Or dès que tu mets des mots sur une idée, tu deviens mathématique, tu perds en émotion.” Mais débiter en anglais dans l’Hexagone finit par représenter un obstacle : “À quoi bon trouver des punchlines, si ton pote ne peut même pas les comprendre ? Je me sentais seul, j’avais l’impression de parler à un mur”, plaisante-t-il.

©@Khalsgy

Malgré tout soucieux d’être désigné comme un rappeur du cru, Jwles n’a en réalité jamais cessé de composer dans la langue de Molière. Ce passage définitif vers le français, il y a deux ans, fait ainsi émerger une écriture mûrie et singulière. Au fil de ses sons, le trublion  aux cheveux longs déploie un storytelling réaliste, volontiers décalé, truffé de références incongrues et d’observations politiques désabusées. “J’aime évoquer des sujets sérieux de façon légère, résume l’artiste, qui s’amuse à prendre Marvin Gaye comme exemple : Regarde, lui, il parlait de la guerre du Viêt Nam, de l’écologie, de la pauvreté dans ses textes. Et pourtant, ses chansons restaient faites pour baiser.” Preuve de cette liberté de ton revendiquée, Jwles s’attache à balader son flow désinvolte sur tout type de productions, de la trap la plus classique à des rythmes plus frénétiques tout droit venus de Detroit, en passant par d’irrésistibles sonorités house. “Mais à chaque fois, je veille à travailler avec une référence du style que je cherche et à créer une vraie alchimie avec cette personne, précise-t-il. Je trouve cette méthode bien plus intéressante que de demander à un seul beatmaker de faire des instrus ‘à la manière de’”. D’où un calendrier déroutant des sorties, ponctué de mini-EPs où Jwles laisse systématiquement la place à un producteur de distiller “sa couleur”.

Jwles a soif ©Sylvain Chauveau

En huit ans de carrière, le rappeur s’est toutefois bien constitué un petit cercle de “zins”, fidèles parmi les fidèles avec qui il collabore régulièrement. Il y a Mad Rey, producteur et DJ derrière les deux tubes aux accents French touch “Joe Da Zin” et “Uzine”, récemment signé chez Ed Banger. Blasé, un autre talentueux musicien qui officie pour le rappeur dans des registres variés. Le Lij’, petit frère de Jwles, et Bob Marlich, deux autres tenants prometteurs du DMV flow en France. “On se transmet une énergie tout en restant indépendants les uns des autres, observe Jwles, qui veut à tout prix éviter la force d’inertie qu’il a éprouvée avec LTR. C’est précieux.” Depuis cette année, Manni Vision est aussi de la partie. Pour Jwles, la rencontre avec le vidéaste “a été une bénédiction. C’est comme si je cherchais ses clips depuis toujours”. Et pour cause, ses images du quotidien, sublimées par des cadres élégants et une légère patine VHS, semblent prolonger l’univers lyrical du rappeur. Jwles atteindrait-il enfin à une identité qui lui permettrait d’exploser ? En tout cas, son rapprochement avec l’inoxydable Rim’K, il y a quelques semaines, et la troublante ressemblance du dernier single du Tonton, “Iceberg”, avec le style de l’outsider, n’ont échappé à personne. “Ces presque dix ans passés dans la musique m’ont beaucoup appris. Avec le recul, je suis même content d’avoir pris tout ce temps, témoigne l’intéressé. Si l’explosion n’est pas arrivée avant, c’est qu’un truc n’allait pas. Mais depuis un an, pas de doute, je sens qu’il y a un engouement, que quelque chose se passe.” Ça tombe bien, nous aussi.

 

 

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