L’album du mois : Róisín Murphy – Take Her Up To Monto
Extrait du numéro 94 de Tsugi (juillet-août)
Lorsqu’on évoque Róisín Murphy, impossible de ne pas se retrouver plongé au début des années 2000, quand Róisín et Mark Brydon (bidouilleur de machines élevé aux côtés de Cabaret Voltaire) fondent Moloko et produisent quelques-uns des plus beaux manifestes de la scène dance anglaise, une fusion en équilibre entre l’électronique et l’héritage soul britannique, un funk blanc. Après une ribambelle de tubes et deux classiques hors-du-commun, « The Time Is Now » et « Sing It Back », le duo Moloko se sépare en 2003. C’est alors une Róisín en solo qui s’impose et va multiplier les expériences. Avec le frappadingue Herbert pour Ruby Blue, album déroutant entre soul déviante et jazz concassé, où elle campe à merveille la performeuse de cabaret qui étale sa mélancolie entre deux shots de gin, ou avec Overpowered, disco survitaminé où la diva est sur les traces de son modèle absolu Grace Jones. Des années pendant lesquelles l’Irlandaise devient une icône mode, courtisée par toute la jeune garde stylistique de Viktor & Rolf à Margiela en passant par Gareth Pugh, mais aussi la vocaliste que Boris Dlugosch, Hot Natured, Fatboy Slim ou les Crookers appellent quand ils ont besoin de donner un supplément d’âme à une chanson. Éparpillée sur le dancefloor, Róisín se recentre enfin sur elle-même il y a deux ans avec Mi Senti, mini-LP où elle plonge dans le répertoire italien (Mina, Lucio Battisti, Gino Paoli…) pour mieux le revisiter en une électro-soul sensible. Un changement de cap confirmé par l’album Hairless Toy, sorti l’année dernière, où Róisín abordait des territoires plus matures, downtempo et sophistiqués. Une nouvelle voie qui lui sied à merveille et qu’elle confirme avec Take Her Up To Monto, petit bijou de blues contemporain revisité discrètement à la sauce électronique, où sa voix n’a jamais été aussi proche de la chair de poule. Entre pop baroque (« Pretty Gardens »), chanson nostalgique où elle joue de sa voix comme d’un instrument, susurrant, montant dans les aigus (« Lip Service ») ou retombant dans les graves (« Ten Miles High »), berceuses électroniques (« Sitting and Counting », « Nervous Sleep »), elle s’offre des chansons à la mesure de sa folie douce, délicates mais traversées d’inquiétantes sonorités, qui font tanguer l’édifice Take Her Up To Monto sans que jamais il ne bascule. Róisín Murphy, ou l’art consommé de l’équilibre.
Take Her Up To Monto (PIAS), sorti le 8 juillet.