🤝 Jean-Yves Leloup : L’ambient, « une musique sereine pour des temps troublĂ©s »
SpĂ©cialiste de la musique Ă©lectronique, journaliste et commissaire d’exposition, Jean-Yves Leloup vient de consacrer un livre passionnant Ă l’ambient. Il rĂ©pond aux questions de Tsugi sur l’histoire complexe de ce style musical.Â
Interview issue du Tsugi 144 : Voyage sur la planète ambient, disponible en kiosque et à la commande en ligne.
L’ambient, qu’est-ce que c’est ?
C’est avant tout un terme inventé par Brian Eno, qui en donne une première définition lors de la sortie de son album Discreet Music en 1975. Il retrace dans un manifeste comment cette notion lui est apparue. Dès cet instant, il décide de dédier une partie de sa carrière à l’exploration de ces musiques dites « environnementales », ce qui sera très mal accepté par la presse et le public rock qui le vénèrent pour son rôle au sein de Roxy Music. À ma connaissance, l’ambient est le seul style musical de la pop culture qui possède une véritable définition.
« En transit Ă l’aĂ©roport de DĂĽsseldorf, Eno, qui a très peur de l’avion, imagine une musique qui, dit-il, « vous prĂ©pare Ă flotter et secrètement flirter avec la mort » ».Â
Comment naît la conceptualisation de l’ambient par Eno ?
Renversé par une voiture, Eno est alité et lors d’une visite, une amie lui offre un disque de harpe du Moyen Âge. L’électrophone est près de son lit. Elle lui met le disque en partant. Il pleut dehors, le disque n’est pas assez fort. Eno règle alors le volume pour qu’il y ait un équilibre entre le son de la harpe et le son de la pluie. Dans l’état de faiblesse dans lequel il se trouve, ces quelques notes de harpe diffusées à faible niveau, qui se mêlent au bruit de la pluie qui tombe, lui font l’effet d’une révélation. Quelque temps plus tard, en transit à l’aéroport de Düsseldorf, Eno, qui a très peur de l’avion, imagine une musique qui, dit-il, « vous prépare à flotter et secrètement flirter avec la mort ». Une musique très calme qui se mêle naturellement avec les sons environnants. L’album Ambient 1: Music For Airports qui va naître de cette expérience est une proposition artistique et poétique. Avec le temps, cela deviendra le plus grand succès commercial de Eno, mais à l’époque le disque est mal accueilli. Officiellement, le terme « ambient » est utilisé pour la première fois par Eno en 1978 pour cet album.
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L’ambient existait-il avant Eno ?
Eno a une grande culture et beaucoup d’intuition. Il est très doué pour conceptualiser une idée et la vendre. En 1975, il synthétise un courant qui existe déjà à l’état latent dans la musique dite d’avant-garde. Depuis la fin des années 1960, il existe des recherches autour d’une musique qui diluerait la perception du temps, qui épouserait les formes de l’éternité. Une musique introspective qui fait aussi écho à des pratiques parfois spirituelles. Mais Eno s’inspire également de ce qu’on appelle la muzak (la musique d’ambiance diffusée dans les ascenseurs ou les galeries marchandes, qui existe depuis les années 1930, ndlr) ou la musique « cosmique » allemande des années 1970 et de tous les musiciens qui ont fait éclater le format de la chanson pop/rock pour explorer d’autres dimensions, plus spirituelles pour les uns ou plus lysergiques pour les autres.
« Une musique de fond aussi bien qu’une musique qui permette de se concentrer et dans laquelle on peut s’immerger. »
Quelle est la définition de l’ambient par Eno ?
Elle est simple, poĂ©tique et très touchante. Il dĂ©crit les choses sans emphase intellectuelle. Il imagine une musique qui puisse colorer l’atmosphère, comme une nuance. Une musique, dit-il encore, « aussi intĂ©ressante que facile Ă ignorer ». Une musique de fond aussi bien qu’une musique qui permette de se concentrer et dans laquelle on peut s’immerger.Â