#MeToo dans le rock : pourquoi le groupe MSS FRNCE s’est mis à refuser des gigs
Une décision lourde de sens qui suit l’enquête de Mediapart dénonçant les violences sexuelles et sexistes dans le milieu des musiques extrêmes.
En mai dernier, Mediapart publiait une nouvelle enquête édifiante sur les violences sexistes et sexuelles commises dans le milieu du rock, punk et metal. Ce coup de projecteur sur ces scènes a agi comme un coup de pied dans une fourmilière, mettant certains de ses acteurs en ordre de bataille. C’est le cas du groupe de punk MSS FRNCE, qu’on vous présentait en début d’année comme des « artistes Tsugi à suivre » pour la fraîcheur de leur son, et dont on vous reparle aujourd’hui à cause des mesures qu’ils ont décidé de prendre pour défendre leur scène, la faire réfléchir et la pousser à passer à l’action : « Refuser des gigs, c’est dire non à certains comportements« , justifient-ils après leur message sur les réseaux sociaux qui annonçait qu’ils s’étaient mis à refuser des dates afin de dénoncer ces violences, de s’indigner, parce que le « silence est complice ».
Avec le groupe, nous avons cherché à en savoir plus sur les conséquences existantes et escomptées d’une telle décision. Court entretien qui donne de quoi se questionner et envie d’agir.
« Refuser des gigs, c’est dire non à certains comportements. »
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce refus de tourner, ce refus d’accepter des gigs ? Selon vous, en quoi est-ce militant ?
La parution de l’article de Mediapart x #MeToo n’a fait que mettre des mots sur des problèmes que l’on savait présents : les violences sexuelles et sexistes existent partout, y compris dans une scène punk-rock qui se donne un vernis bienveillant et accueillant. Après avoir encaissé ces révélations, il était clair pour nous qu’on ne pouvait plus s’en tenir à des beaux discours, mais qu’il fallait agir concrètement, à notre niveau, ou laisser la place à d’autres plus légitimes pour prendre la parole quand cela est nécessaire. Après de longues discussions sur les pour et les contre, nous avons choisi de refuser certains plans au sein ou aux côtés de structures qui n’étaient pas safe.
Refuser des gigs, c’est dire non à certains comportements. Ne pas figurer sur certaines affiches, c’est ne pas cautionner les pratiques de certains tourneurs ou de certaines associations organisatrices – notamment mis en cause dans l’article de Mediapart –, et ne pas se retrouver complices passifs des positions et des propos que certains groupes ont pu tenir. Certaines asso, organisations ou festivals, ont annoncé des actions mises en place, mais pour nous, cela reste souvent des effets d’annonce. On s’est beaucoup posé la question de savoir si on pâtissait des comportements problématiques de certains. Après avoir posé les choses à plat, on a réalisé que refuser ce genre de choses, c’est aussi aller de l’avant. On ne tient absolument pas à se considérer comme un groupe militant, on ne nourrit aucune ambition d’être référent sur ces questions importantes et complexes. Mais faire de la musique, créer, c’est politique. Nos paroles reflètent ce qu’on pense de cette société. Nos actions se doivent de suivre.
« Refuser des concerts et des festivals au soleil après des mois de disette et de déprime, c’est très frustrant. Mais cette frustration est devenue moins importante que l’engagement. »
Qu’espérez-vous changer en faisant ça ?
MSS FRNCE n’est qu’un petit groupe, mais cela reste essentiel pour nous d’agir plutôt que de parler. Le premier but de cette action, c’est déjà de montrer notre soutien et notre solidarité aux victimes, aux personnes qui osent l’ouvrir ou qui se sont confiées à nous. Ensuite, si cet engagement peut amener notre petit public à réfléchir ou d’autres groupes à se positionner, c’est un petit pas. Enfin, il s’agit aussi d’envoyer un signal aux associations (avec qui, pour certaines, nous avons pu échanger de vive-voix), aux organisations et aux groupes en question. On a beaucoup parlé, avec beaucoup de monde, afin de recueillir des informations mais aussi des avis sur ces démarches. On est soulagé de voir que nous ne sommes pas les seuls à constater qu’il y a de vrais problèmes profonds à régler et qu’il faut s’y coller. Voir que d’autres groupes comme Krav Boca ou Stinky ont aussi pris la même décision que nous, nous conforte. Il y a des musicien.ne.s, des orgas, des salles, des assos et des activistes de la scène qui sont décidé.e.s à changer les choses, et qui n’ont pas attendu que Mediapart vienne faire le boulot d’introspection qu’on aurait dû faire par nous-mêmes pour commencer à entreprendre des actions concrètes. On veut juste contribuer à notre échelle.
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Financièrement ça doit être épuisant pour vous, comment tenez-vous ?
On ne vit pas de la musique, ce qui nous protège de beaucoup de choses et nous permet surtout de pouvoir faire des choix : si on ne veut pas jouer et cautionner un événement, on peut le faire. On n’est pas là pour se forcer, mais pour s’amuser et pour que tout le monde se sente safe à nos concerts. C’est ce qu’on revendique dans nos paroles depuis le début. Refuser des concerts et des festivals au soleil après des mois de disette et de déprime, c’est très frustrant. Mais cette frustration est devenue moins importante que l’engagement.
« Faire de la musique, créer, c’est politique. »
À l’inverse, pourquoi ne pas accepter tous les gigs qu’on vous propose et prendre la parole à chaque concert ?
La question s’est posée, mais nous avons jugé que cette position n’était pas tenable, en tout cas pas tout de suite. Les révélations sont encore trop fraîches, cela aurait été inaudible. Il fallait, en premier lieu, prendre des décisions concrètes, fortes et directes. Nous sommes venus à la conclusion que noyauter les choses de l’intérieur est une action qui peut s’entendre, mais tenir un discours politique à un public qui n’a pas vu de concerts depuis des mois et qui n’est pas forcément en condition pour l’entendre, aurait sûrement fait chou blanc. Confronter les groupes ou tourneurs problématiques en coulisses, nous n’en avons ni l’envie ni la force. Parler au sein d’un festival de ces questions, comme on nous l’a proposé, n’est pas non plus notre rôle. Mieux vaut inviter des associations spécialisées et référentes que quatre mecs cis qui, certes, essaient de faire les choses du mieux qu’ils peuvent, mais font tout de même partie du problème. Nous nous sommes dit que la caisse de résonance des réseaux sociaux était peut-être plus efficace, en tout cas dans un premier temps. Désormais, on doit penser à ce que l’on fait ensuite : renforcer notre discours (et pourquoi pas le communiquer sans détour lors de nos futurs concerts), être exigeants sur les lieux où l’on joue, être plus attentifs à celles et ceux qui nous entourent et qui veulent parler.