5 artistes qui secouent le nouveau jazz français
Après vous avoir emmené en terre anglaise pour vous proposer un tour d’horizon des jeunes acteurs de la nouvelle scène « jazz » locale, nous sommes de retour à la maison. Ici aussi, toute une génération d’artistes se consacre pleinement à faire bouger les lignes du genre et le phénomène prend de l’ampleur.
La France a très vite été séduite par le jazz. L’une des histoires les plus populaires raconte que cette musique prenant racine dans le sud d’une Amérique du Nord encore esclavagiste, s’est exportée chez nous pendant la Grande Guerre, en décembre 1917, lorsque le 369e régiment d’infanterie américain a posé le pied sur notre sol. Sous les ordres du lieutenant James Reese Europe, ce bataillon était en réalité formé de… musiciens : les Harlem Hellfighters. Si certains réfutent cette idée pour se référer aux balbutiements du genre en France au début de la décennie 1910, beaucoup s’accordent sur la date du 12 février 1918, jour du premier « concert officiel » de jazz en Europe, donné par ces mêmes Harlem Hellfighters, au théâtre Graslin de Nantes. Débarqué avec le fracas des canons, il aura fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et un événement bien spécial, pour que le jazz s’impose en Europe.
Nous sommes le 8 mai 1949 et Paris s’apprête à accueillir le Festival International de Jazz et son line-up en or massif : Charlie Parker, Sidney Bechet et le quintet codirigé par le pianiste Tadd Dameron, ainsi qu’un jeune prodige, Miles Davis. C’est le point de départ d’une autre histoire, plus connue. Celle d’un trompettiste hors pair qui tombe amoureux d’un pays, la France, et d’une femme, Juliette Gréco. Elles le lui rendront bien, et Davis écrira plus tard dans son autobiographie : « j’adorais être à Paris, j’adorais la façon dont on me traitait. […] C’est là que j’ai rencontré Jean-Paul Sartre, Pablo Picasso et Juliette Gréco. Je ne m’étais jamais senti aussi bien de ma vie. » Il donnera son concert d’adieu à Paris en 91, à la Grande Halle de la Villette ; une ultime preuve d’amour.
Depuis, que s’est-il passé ? À la façon dont toutes les musiques ont évolué, le jazz à lui aussi muté ; partout. Le genre s’est ouvert, en Angleterre donc, fortement inspirée par sa diaspora africaine et sa culture électronique, puis en France aussi. D’abord sous l’impulsion de toute une frange plus « traditionnelle » toujours active, comme Tony Paeleman — qui maintenant explore de nouveaux horizons musicaux. Des labels neufs ont aussi émergés, chacun, avec une direction propre, qu’elle soit électronique, « astrale », ou plus spontanée ; on pense ici à Jazztronicz, Menace et BMM Records. Si aujourd’hui, la scène en France semble enfin faire entendre sa voix, malgré que la situation sanitaire soit un frein sans nom dans son développement, il demeure une ombre au tableau : cette musique reste majoritairement animée par des hommes. Mais en écoutant la journaliste de France Musique, Nathalie Piolé, ou en lorgnant sur les programmations du festival Jazz sous les pommiers — Céline Bonacina, Anne Paceo, Sophie Alour… —, on se dit que les choses vont dans le bon sens. Dans cet article, nous avons voulu nous concentrer sur ceux qui traduisent – en français dans la partition – leurs homologues britanniques comme Kamaal Williams, Yussef Dayes ou Nubya Garcia.
On commence avec Neue Grafik, qui depuis 2019 et l’EP Foulden Road, fait évoluer sa house chérie vers un son plus organique. Accompagné d’un « ensemble » majoritairement formé de musiciens anglais, Fred N’thepe (dans le civil) explore les possibles d’un dialogue avec ce jazz d’outre-Manche, toujours vissé devant ses claviers. Désormais basé à Londres, le musicien passe tout le temps flanqué au Total Refreshment Centre, un pôle créatif et culturel important de la capitale britannique. C’est de là-bas qu’il a enregistré ce live destiné au Festival Eurosonic, et qu’il confectionne un nouveau disque pour cet été, comme ses équipes nous le font savoir en tout premier.
Sous couvert de cet allias goût madeleine de Proust se cachent deux bons amis : Émile Sornin, leader de Forever Pavot et multi-instrumentiste sponsorisé par leboncoin, puis Cédric Laban, batteur pour Isaac Delusion et Halo Maud. Unis pour laisser s’exprimer leurs véhémences jazz, le duo a marqué par l’originalité de la relation percussions/claviers qu’il explore. D’abord avec un premier court intense intitulé La Récré (2019), suivi d’un autre, Ne penser à rien en 2020. Un second volet ponctué par le morceau « L’An 2000 », une improvisation spirituelle où l’on entend les fantômes du passé fabuler autour du passage au nouveau millénaire.
Depuis leur reprise live de Boards of Canada capté dans les studios de leur label BMM Records, nous observons avec beaucoup d’attention le quatuor nancéen NCY Milky Band. Loin d’être les seuls à avoir été séduits par leur musique, ils ont aussi tapé dans l’œil des équipes du Nancy Jazz Up de 2020, tremplin organisé par le Nancy Jazz Pulsations. Vainqueurs de l’événement, cette clique fanatique du travail de BadBadNotGood et Madlib peaufine sereinement son nouvel album Burn’in, prévu pour le 4 mai. « Politricks », le premier single engagé de ce futur disque s’écoute juste en dessous.
Acteur rigoureux de la scène jazz en France depuis dix bonnes années, Tony Paeleman et ses claviers n’en sont plus à leur coup d’essai. Après Slow Motion et Camera Obscura où il s’affichait en leader, le pianiste prend cette fois le pari d’une formule à trois pour son nouveau disque The Fuse. Accompagné de son compère du Conservatoire de Nice, Julien Herné, qui lui a présenté pour l’occasion le batteur Stéphane Huchard, le trio s’est donné comme thème la culture des décennies 80 et 90. Au programme de ce voyage dans le temps, un retour sur les terres d’une musique électronique synthétique, de la pop, et une parenthèse rock, ambiance Mad Max.
Au cœur de ce groupe réunissant plusieurs musiciens du label Jazztronicz, on retrouve Benjamin Paul alias Monomite. Pour façonner la mixtape Monomite presents Jazztronicz Experiment, le producteur s’est basé sur deux sessions d’enregistrements spontanées, et une bonne dose de savoir-faire aux manettes. Il ressort de ce disque une vision neuve, où se chamaillent les genres et les conventions, où le cosmique et les nappes de synthés accompagnent les voix de la côte ouest – comme sur le titre « Wintergreen », en écoute ci-dessous. Une belle porte d’entrée au catalogue du label parisien, qui nous mené à Fungi, une autre formation avec laquelle on passerait bien un Tendre Jeudi.