Depuis le Covid, la nuit se réinvente : les clubs se transforment en lieux solidaires
Depuis un an, nombreux sont les clubs à proposer leurs espaces – toujours clos – au dépistage de la Covid-19, à les transformer en cuisines solidaires, à distribuer leurs stocks de boisson à La Croix Rouge… Les acteurs de la vie nocturne se réinventent et montrent plus que jamais le vrai visage de la fête, teinté de solidarité.
« On oublie un peu trop souvent de dire que les fêtards sont des citoyens comme les autres » s’émeut Frédéric Hocquard, adjoint à la Marie de Paris chargé du tourisme et de la vie nocturne. Depuis le début de cette crise sanitaire sans précédent se sont succédés lockdowns et couvre-feux, restrictions et dé-restrictions, magasins fermés puis ré-ouverts, restaurants ouverts puis refermés, trois pas en avant puis six en arrière… Oui. En un an il s’en est passé des choses. Mais en un an de pandémie on retient aussi et surtout que la fête reste quant à elle bel et bien finie. Loin d’être épargnés, punis sont donc les bars et boîtes de nuit aliénés au rang de « bamboche » non essentielle.
En janvier, après la rave party de Lieuron le maire de la nuit s’est retrouvé confronté aux accusations de Rachida Dati quant aux subventions régulières accordées à l’association Techno+ : « Assurer que les subventions que l’on donne à Techno+ financent la drogue pour les jeunes est une nouvelle façon de montrer la diabolisation ambiante dans laquelle baigne la fête depuis des années » constate-t-il, agacé. Plus qu’un lieu de luxure ou de dangers, la fête montre pourtant en ces temps compliqués ce qu’elle sait faire le mieux : aider et rassembler.
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Parmi les nombreuses initiatives nées de la pandémie, on retient notamment la transformation de clubs en lieux de dépistage avec la boîte gay Le Dépôt, la distribution de stocks de boissons à la Croix Rouge, la DJ Gonthier qui appelle ses streamers à verser des dons à l’association Urgence Homophobie, ou encore le Consulat, grand lieu festif et culturel parisien qui accueille chaque semaine un chef différent dans ses cuisines pour redistribuer de bons plats chauds aux plus nécessiteux… Et si c’était bien sous cette solidarité, que le vrai visage de la fête se cachait ?
« Que tu fasses de l’associatif ou de la nuit c’est pareil quelque part, tu fais du social. »
Nuit et entraide, même combat
Gypsy, manager du Consulat, revient sur les débuts de l’initiative solidaire dont le bar fait preuve. « Au départ, on s’est juste chargé pendant le premier confinement d’aider les cuisines des restaurants du quartier à vider leurs stocks pour redistribuer des vivres dans les hôpitaux. C’est venu assez naturellement. Mais entre le premier et le deuxième confinement, on a récupéré les locaux de l’actuel Consulat qui se situent avenue Parmentier ». Ce nouveau Consulat, lieu immense qui n’aura ouvert ses portes que de fin septembre à mi octobre, est doté d’une scène, d’un bar, d’un balcon intérieur, d’un sous sol (qui ne deviendra jamais rien d’autre) et de cuisines vides…
« On s’est retrouvés là, forcés à fermer, avec de grandes cuisines qui ne nous servent à rien… On a donc d’abord eu envie de se rendre utiles et d’aider entre copains, puis s’est devenu un vrai projet. Aujourd’hui on collabore avec le collectif citoyen « G Besoin 2 » avec qui on récolte de la nourriture pour en faire des plats chauds à distribuer tous les soirs en maraude à La Chapelle ou autour de nous, entre Voltaire et République ». Un projet qui a donc démarré « entre copains » tous issus de la prod, de l’évènementiel, du DJing… Bref, de la nuit.
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Gypsy voit dans cette nouvelle activité une continuité à ces métiers « je pense foncièrement qu’il y a un lien entre la nuit et l’entraide. En fait c’est l’essence même de nos métiers: donner de l’énergie aux gens. Avant, les Djs en offraient en faisant du son, ceux qui organisaient des soirées en créant des cadres propices à l’épanouissement de chacun, et les barmans en distribuant du kiff…. Que tu fasses de l’associatif ou de la nuit c’est pareil quelque part, tu fais du social ». Bien entendu, un tas de choses sont quotidiennement mises en œuvres dans le milieu associatif. Le Consulat ou Le Dépôt ne sont pas plus héroïques que d’autres acteurs engagés, mais cela montre selon Frédéric Hocquard « Que ces gens pourtant dans des situations précaires se mobilisent de leur plein gré sans n’avoir été sollicités ni par la mairie ni par personne. Ils le font naturellement par simple et bonne raison qu’ils sont confrontés via leurs métiers à la réalité de la société, ces gens sont insérés dans la normalité du fonctionnement de la société actuelle, la vivent et la comprennent mieux que personne. » atteste l’adjoint à la mairie de Paris.
« On pourrait franchement se demander pourquoi je continue à faire mon métier, mais c’est justement pour ça. Pour faire bouger les lignes. »
Continuer à bouger les lignes
Pour la DJ Marseillaise Gonthier, « le gros problème est que les corps de métiers mis à l’arrêt sont ceux qui contribuent à changer les mœurs, ou du moins les faire évoluer au sein de la société (…) Je veux dire, que serait par exemple la cause queer sans les soirées du studio 54 à Broadway dans les années 80 ? » s’interroge la DJ. « Être altruiste et progressiste sont des valeurs intrinsèques à la fête. Elle doivent le rester, et pour ça on doit continuer à les véhiculer. » Le 24 février dernier, Gonthier organisait un live de 45 minutes sur sa chaîne Twitch à l’issue duquel elle invitait ses streamers à verser une donation à l’association Urgence Homophobie qui lutte quotidiennement pour la cause LGBTQI+.
« Ce set avec Urgence Homophobie, c’est un outil de communication pour mon projet I Don’t Fit In qui a été stoppé par toutes les annulations de dates l’an dernier. Mais c’est surtout une manière de l’insérer dans une démarche solidaire, dont on a tous cruellement besoin en ce moment. Avec les conditions actuelles, on pourrait franchement se demander pourquoi je continue à faire mon métier qui ne m’assure aujourd’hui ni une vie stable ni un porte monnaie rempli, mais les confinements m’ont rappelé ce pourquoi je le faisais. C’est justement pour ça. Pour pouvoir aborder des thématiques sociales qui me sont sensibles, élever des voix, et faire bouger les lignes. » Pour bouger les lignes, tous les moyens sont bons, et peu importe les conditions. « Plutôt que de nous pointer du doigt, j’aimerais beaucoup souligner que nous autres, fêtards parfois un peu délurés, sommes les premiers à nous mobiliser, et ce même sans attendre de retour » renchérit Gypsy, manager du Consulat.
« Plutôt que de nous pointer du doigt, j’aimerais beaucoup souligner que nous autres, fêtards parfois un peu délurés, sommes les premiers à nous mobiliser, et ce même sans attendre de retour. »
L’enjeu pour Frédéric Hocquard est clair : « En mettant en avant les initiatives solidaires qui émergent du monde de la nuit, c’est rappeler que la fête est essentielle à la vie, et surtout à l’être humain. Même celle un peu sauvage, et celle qui écoute de la musique trop fort. Toutes ces fêtes font partie de notre quotidien et vivent la même situation que nous. Les marginaliser en punks à chien ou en zombies drogués qui ne vivent que la nuit reviendrait à nier une importante partie de la société. Ces gens-là sont nos voisins, nos enfants, nos amis. C’est dire que la fête, c’est la communauté ; dire que la fête, c’est la réalité. »