« Starlight » : l’histoire derrière le tube French Touch de Supermen Lovers, qui fête ses 20 ans
Le 14 mars dernier marquait les 20 ans de la sortie du tube planétaire « Starlight« , l’un des plus gros hits de la French Touch. Pour célébrer cet anniversaire, on a fait un petit retour dans le passé avec Guillaume Atlan, alias The Supermen Lovers, qui nous raconte l’histoire derrière le titre.
C’est un clip qui a marqué toute une génération, à l’époque où MTV passait encore de la musique. Basée sur un sample de « The Rock » du groupe disco East Coast, « Starlight » sort au court du règne suprême de la house filtrée : Discovery de Daft Punk était sorti la veille, « Music Sounds Better With You » retournait encore tous les dancefloors de la planète et la French Touch était à son zénith. Avec son clip d’étranges personnages ressemblant à des Monsieur Patate un peu pourris, « Starlight » a grimpé dans les charts du monde entier. Un succès inattendu pour The Supermen Lovers, qui est en réalité seul derrière le nom, et un inconnu complet à la sortie du single chanté par Mani Hoffman. De son vrai nom Guillaume Atlan, il nous raconte l’histoire de son plus grand succès.
« Je me pose devant mes machines et là, comme si Dieu m’avait touché l’épaule pendant une seconde, toute la mélodie apparaît d’un seul coup, et j’ai la chair de poule, et je commence à pleurer. »
« Starlight » est l’un des plus gros cartons de la French Touch des années 2000 et disque d’or en France. Mais juste avant de le sortir sur ton label puis ensuite sur BMG, c’était quoi l’ambiance sur la scène électronique en France, le contexte, tu te souviens ?
Je me souviens bien de cette époque. L’énergie était incroyable. J’ai découvert la house music avec les premières fêtes au Palace avec les « Gay tea dance » le dimanche après-midi. On s’échangeait les cassettes le lundi. Puis je découvre Motorbass, Superdiscount, Pépé Bradock puis Daft Punk ; en gros, la base de la french house. À ce moment-là, je jouais dans des groupes d’acid-jazz et de funk. Je décide alors de troquer mes collègues de groupe pour un sampler ASR10 et une MPC2000. Je commence à produire mes premiers disques de house sous le pseudonyme Stan de Mareuil et School sur le label que je venais de créer, Lafessé Records et sur le label Cyclo. C’était une vague musicale ultra puissante. On découvrait une nouvelle musique avec des nouvelles règles, nouveaux instruments, nouveaux réseaux, et tout ça nous était accessible via les labels et distributeurs indépendants qui s’étaient développés depuis plusieurs années. On sentait que tout était possible. J’ai sorti mes premiers disques de house en 1998 en m’inspirant fortement des premiers tracks de French Touch que j’écoutais en boucle. Je mélangeais samples et véritables instruments, et je prenais mon pied. Je comprenais cette musique. J’avais l’impression d’en faire partie, que j’avais trouvé ma place.
« On sentait que tout était possible. »
En 2000, quand j’ai fait « Starlight », je ne calculais pas du tout ce que je faisais. C’était naturel et spontané. Il n’y avait pas de stratégie. Je produisais ce qui me semblait évident avec des moyens rudimentaires : prise de voix dans la salle de bain et un unique DP4 Ensoniq pour le traitement compression, limiteur, effets. Je sortais un peu de nulle part pour la plupart des artistes de la French Touch. Tous se connaissaient depuis plusieurs années et nombre d’entre eux avaient fait leur scolarité ensemble. Ils avaient découvert la musique électronique avec les free parties, les raves, etc. Dans mon cas, c’est eux qui m’ont fait découvrir la musique électronique. J’étais jeune et très impressionné par les leaders de ce mouvement. Lorsque Boombass de Cassius me téléphone un matin, quelques mois après la sortie de « Starlight », pour me demander un remix pour son frère, j’étais en panique totale ! À tel point que j’ai refusé alors que j’en mourrais d’envie. J’ai sorti une excuse bidon du style « ah merde j’ai piscine » ou un truc du genre tellement sa requête me paraissait irréelle. Et le pire c’est qu’il m’a rappelé le 11 septembre 2001 à 9h du mat. J’allais finalement lui annoncer que j’avais changé d’avis, quand deux avions se sont écrasés sur le World Trade Center ; on s’est dit qu’on se rappellerait.
Comment tombes-tu sur « The Rock » d’East Coast et comment te vient l’idée de sampler le début ? Savais-tu à ce moment-là que tu tenais quelque chose qui avait le potentiel d’être énorme ?
C’est un ami, connaisseur notoire de disco en Belgique, qui m’a offert une dizaine de vinyles et dedans il y avait East Coast. D’abord, je les écoute tous tranquillement puis les pose avec les autres vinyles dans la petite chambre de bonne que j’habitais. C’était tellement petit que la moitié de mon lit passait sous ma console de mix Mackie. Quatre mois passent et je galère avec des idées de tracks un peu bidons. Mon regard se pose alors sur cette pile de disques que j’avais oubliée. Je mets « The Rock » et je me dis : « Wow attends attends attends, c’est quoi cette loop magique ?! » Je le passe dans l’EMU 6400, un beat maison. Je lui ajoute une ligne de basse bien graisseuse et des petits strings un peu cheesy d’un Proteus 2000. J’ai mon instru. L’évidence veut que ce soit un titre vocal. J’écoute mon instru en boucle pendant des jours dans le Walkman (et oui 1999/2000). Je chantonne en permanence des mélodies sur l’instru mais je ne me surprends pas. Puis un matin, caleçon, café, clopes, je me pose devant mes machines et là, comme si Dieu m’avait touché l’épaule pendant une seconde, toute la mélodie apparaît d’un seul coup, et j’ai la chair de poule, et je commence à pleurer (vraiment). Une vague de bonheur d’une intensité gigantesque m’envahit. Mais un bonheur dingue, complètement dingue. C’était quelques secondes de pure joie, de bien-être, comme si tout devenait évident, facile. Et après avoir chialé, je suis pris d’un fou rire qui dure près de deux heures. C’est la drogue la plus puissante que j’ai jamais connue. Donc pour répondre à ta question : oui, je savais que j’avais un truc un peu balèze.
« C’est la drogue la plus puissante que j’ai jamais connue. »
Après avoir fait perfectionner le chant par un ami de longue date Mani Hoffman, je presse 2000 vinyles, part voir mon pote Arnaud l’Aquarium du label indépendant Cyber. Il me rappelle huit heures après : « Gui, faut qu’tu represses« . On a tout vendu. Mais non, je ne represse pas. Pendant sept mois, « Starlight » n’existe que sur 2000 vinyles. À l’époque, pas d’Internet ou très peu, ni Shazam, ni mp3… Les gens devenaient dingues. Puis je signe chez BMG en avril 2001.
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« Starlight » c’est aussi un drôle de clip en animation. J’avais 11 ans en 2001, et je me souviens que j’en avais peur mais que le track était tellement bien que je me forçais à le regarder ! C’est quoi l’histoire de ce clip ?
D’abord, une anecdote marrante, c’est qu’il y a eu un premier clip que personne n’a jamais vu ! Une sorte de trip de défoncé avec deux vaisseaux intergalactiques en papier mâché qui font la course dans les tunnels de Paris. La maison de disque à l’époque n’a pas vraiment bien réagi et a demandé de refaire le clip d’une façon peut-être plus pro. Je rencontre alors David et Laurent Nicolas (alias Numéro 6) qui officiaient de façon glorieuse dans le graffiti sauvage. Je leur ai raconté mon histoire puis celle de « Starlight », et ils s’en sont inspirés et ont présenté le synopsis. On a squatté un mois dans un bureau de post-production. Ce que les frères Nicolas ont fait est incroyable. Si tu vas faire un tour sur YouTube, tu verras que mes clips sont tous très décalés…
« Free your mind and your ass will follow. »
Tu vas sortir vers la fin de l’année ton quatrième album Body Double. Tu as déjà sorti le clip de « Pigeon » et en avril arrivera un second extrait, le track « Requiem For A Bitch » en collaboration avec le mec de Modjo, Yann Destal. Avec du recul, qu’est-ce qui a changé dans ta manière de produire entre « Starlight » et cet album ?
Tout dans la production. Rien dans la création. On sait tous qu’il y a 20 ans, il n’y avait pas de MacBook Pro, d’USB, de Firewire, de plug-ins, etc. Il y a 20 ans, on produisait de la musique électronique avec des boîtes en métal qui pesaient un âne mort ! Un ASR10, c’était 40 kilos. J’ai des souvenirs de live où je me coltinais tout à porter. C’était marrant d’avoir l’équivalent de la NASA sur scène, mais une vraie galère à monter et a démonter. Et en studio aujourd’hui, on a l’impression d’arriver dans une maison témoin tellement que c’est propre ! Mais peu importe les moyens, à un moment, il faut rentrer dans le dur, il faut créer. Dans mon cas, je suis toujours cette bonne devise de Mr. George Clinton : « Free your mind and your ass will follow. » Et ça, ça ne changera jamais.