Récit : la free-party du nouvel an racontée par ceux qui l’ont vécue
Un mois et demi après l’exceptionnelle free-party tenue à Lieuron le soir du nouvel an, et alors que plusieurs jeunes, suspectés d’avoir participé à son organisation, risquent jusqu’à dix ans d’emprisonnement, Tsugi donne la parole aux grands absents des immenses débats tenus depuis lors : ses participants. Violemment contestée par Rachida Dati, et accusée par l’éditorialiste Élisabeth Levy de « vendre de la drogue » au micro de CNews, l’association de réduction des risques Techno+, acteur essentiel de la santé en milieu festif présent lors de l’événement, livre également son témoignage.
Rappelons-nous. Sous pression d’un dispositif (couvre-feu notamment) conçu pour endiguer la crise sanitaire, le réveillon 2021 était une expérience, à tout point de vue, inédite. Des tablées moins larges, des conversations moins réjouissantes, une fête qui peine à prendre, sans cesse obstruée par ce sentiment d’incertitude que l’on connaît trop. Dans cette ambiance morne et sans doute déprimante, un petit village de la région de Rennes aura accueilli, entre les 31 décembre et 2 janvier, quelques 2 000 teuffeurs déterminés à marquer le coup en enterrant 2020 sous les basses acides.
Née d’une envie irrépressible de célébrer et d’une révolte certaine face à l’indifférence gouvernementale à l’égard de la jeunesse et des secteurs culturels, la Maskarade (le nom de l’évènement) était le cri du cœur d’une communauté qui, comme elle nous l’explique dans cet article, avait jusqu’alors « joué le jeu » en se faisant presque oublier. Un caractère exceptionnel qui n’aura pas empêché la fête de se solder par l’arrestation d’un jeune de 21 ans, maintenu en détention jusqu’au 22 janvier dernier et suspecté avec cinq autres d’avoir participé à l’organisation de l’événement. Ils risquent aujourd’hui jusqu’à dix ans de prison. Une justice « expéditive » dénoncée par Me Sichan, l’avocat de l’un des mis en examens, qui évoque le « vide intersidéral » d’un dossier qui peine à différencier participants et organisateurs. « Avec ce raisonnement, on peut considérer qu’il y a 2 500 organisateurs », confirme Me Cassette — également impliqué dans le procès — au micro de Franceinfo.
Si le procès ne se tiendra que dans quelques mois, et que des soutiens massifs aux prévenus se sont déjà fait entendre, les critiques se sont montrées tout aussi virulentes. « Rave sauvage », « cluster géant »… Dès le 2 janvier, les adjectifs péjoratifs sont légion. Acteur historique de la réduction des risques en milieu festif, l’association Techno+ est la cible d’accusations alambiquées. D’abord de la part de la maire LR du 7e arrondissement de Paris, Rachida Dati, qui, dans une lettre adressée à la Maire de Paris, s’interroge sur les subventions accordées à l’association « qui disposait d’un stand lors de la rave party organisée illégalement ». Au micro de CNews, ensuite, l’éditorialiste Elisabeth Levy n’hésitera pas à décrire Techno+ comme une « association qui vend de la drogue ». Un comble. Dans cette pagaille médiatique, d’éternels absents : l’équipe de Techno+ et les fêtards qui foulaient les routes de Lieuron ce soir-là. Tsugi leur donne aujourd’hui la parole dans cet article qui, au-travers de témoignages croisés, tente de retracer l’histoire épique, polémique et touchante de cette fête qui aura fait trembler la République.
« Une belle histoire de résistance. »
Une teuf au nouvel an ?
Antoine*, 23 ans, technicien du spectacle avant la crise sanitaire, banlieue parisienne : Dans mon groupe d’amis, j’ai pris l’habitude d’être celui qui fait tourner les infos. Familier du collectif, je savais que ça allait être une belle teuf. J’étais parmi les premiers à avoir été prévenus — ça faisait un moment que je l’attendais. En temps normal, j’aurais pas forcément penser à partir en free-party le soir du nouvel an. Pour cette occasion, je suis plutôt du genre à me réunir avec des potes dans une maison. Cette année, pour le coup, c’était une des rares occasions de partir en free. Depuis l’arrivée du COVID en France, notre mouvement avait complètement joué le jeu, en respectant les restrictions et restant discret, voire complètement absent. Il y a évidemment eu une prise de conscience de la part de toute la communauté ; mais c’est aussi la répression grandissante qui a découragé les soundsystems. Ce soir-là, c’était l’occasion ou jamais.
Francesco*, la quarantaine, ancien du mouvement free-party, région de Nantes : Cela fait un peu plus de vingt ans que je fréquente les free-parties. C’est une passion que j’ai transmis à ma fille, avec qui je me rends encore à quelques événements de temps en temps. Pour moi, la teuf est un des derniers terrains d’émancipation sociale. C’est un espace de liberté où les jeunes peuvent expérimenter, se construire sans être écrasés par tout un tas de normes, de règles, de codes…. C’est pour cette raison que je suis heureux pour elle. Pour nuancer, et être très franc : si je suis heureux qu’elle aille en teuf, c’est avant tout parce qu’elle n’a pas de comportement addictif. Je serais évidemment inquiet de la voir partir en free, ou n’importe quel lieu de ce type où circulent les produits, si elle était alcoolique ou poly-toxicomane. Cela faisait des mois qu’on n’avait pas pu faire la fête et l’événement promettait d’être beau.
« Il y a évidemment eu une prise de conscience de la part de toute la communauté ; mais c’est aussi la répression grandissante qui a découragé les soundsystems. Ce soir-là, c’était l’occasion ou jamais. »
Techno+ : Le réveillon du nouvel an est un moment de fête inconditionnel, y compris pour le mouvement « tekno ». L’organisation d’une free-party ce soir-là était inévitable, et pour comprendre pourquoi, il faut revenir au début de l’épidémie. Durant le premier confinement, quand toutes les activités ont été arrêtées pour lutter contre la COVID-19, la free-party a joué le jeu en renonçant à son mythique Teknival du 1er mai — une première depuis la création de l’événement en 1994. Ce n’est qu’à la deuxième phase de déconfinement, au mois de juin, alors que le gouvernement affirmait que les activités festives et culturelles n’étaient pas essentielles, tout en laissant les Français s’entasser dans les transports en commun, magasins, et cantines scolaires, que les free-parties ont timidement repris. Ces fêtes sont un mode de vie pour la plupart de ceux qui y participent, et donc essentielles à leurs yeux. Le déconfinement estival qui suivi, à l’automne, avec ses aménagements dans certains secteurs et pas dans d’autres, tout cela ne pouvait que mener à l’explosion de fêtes clandestines en tout genre que l’on connaît depuis novembre dernier. Il était donc évident que quelque chose allait se tenir pour le réveillon.
Francesco : Au moment du premier confinement, il y a eu un consensus très fort au sein du milieu de la free-party. La majorité des acteurs et du public se sont entendus pour dire que l’on n’était pas à même de juger le risque sanitaire, et qu’un principe de précaution s’appliquait au-delà de la loi — qui n’est que rarement un critère pour nous. C’est au fil de la mauvaise gestion de cette crise, et des discours stigmatisants à l’encontre de la jeunesse, que les gens ont commencé à se mettre en colère. Mais après la répression des événements dans la Nièvre et en Lozère cet été, tout le monde a compris que seul un événement d’envergure, fruit d’une collaboration sérieuse entre différents collectifs, pourrait peut-être voir le jour.
« Tout le monde a compris que seul un événement d’envergure, fruit d’une collaboration sérieuse entre différents collectifs, pourrait peut-être voir le jour. »
La bataille de Lieuron
Antoine : On est arrivés assez tôt dans la soirée. À 300m du spot, le convoi s’est arrêté une première fois. Je suis sorti de ma voiture et me suis aperçu que le spot était blindé de CRS. Ce n’était pas une teuf ; plutôt une manif ! On a très vite compris qu’ils comptaient nous effrayer quand les équipes nous ont chargé en bombardant de gaz lacrymogènes. À ce moment, on s’est dit qu’il allait falloir faire front : il y avait le risque de laisser 2 000 personnes en pleine campagne. Personne n’avait l’intention d’employer la violence, mais l’affrontement était inévitable. Témoins de notre détermination, les policiers ont finalement reculé, permettant l’entrée sur le site.
Francesco : Arrivés sur le spot, il y a eu une première tentative de la part de la police de nous faire reculer. Les teuffeurs se sont défendus, ce à quoi la police a répondu à coups de flashballs et de lacrymogènes. À ce moment-là, les choses étaient hors de contrôle. Les gens, révoltés à l’idée de se faire gazer pour la simple raison qu’ils voulaient faire la fête, ont riposté. Le convoi a pu percer la barrière pour découvrir un autre barrage 200m plus loin. Un escadron entier d’une centaine d’hommes nous attendaient. Ils avaient ces nouvelles armes capables de tirer six flashballs en automatique, des grenades lacrymogènes… Ils ont déployé la fameuse formation d’encerclement qu’on retrouve en manif. La violence est encore montée d’un cran, jusqu’à ce qu’un groupe de teuffeurs parvienne à ouvrir un passage pour que les gens passent à pied. Débordés, avec des jeunes qui courraient dans tous les sens, les flics ont fait le choix intelligent de reculer. Le risque de blessés graves était trop grand.
Festivités émouvantes sous crise sanitaire
Antoine : L’apéro commence, on retrouve des gens qu’on n’avait pas vus depuis longtemps et l’euphorie est à son comble. L’efficacité des organisateurs m’a bluffé : en quelques minutes, la scène était sur pied, armée d’une sono en béton, prête à balancer les premières vibrations. Tu regardes autour de toi et tu vois des yeux plissés de bonheur… Les mouvements de foule ont tendance à m’émouvoir, pour le coup, j’en avais presque les larmes aux yeux. Côté prévention, il y avait un stand de réduction des risques et tout un dispositif sanitaire pour lutter contre le coronavirus. Il y avait de l’espace, les gens en profitaient pour respecter la distanciation sociale autant que possible.
Francesco : On venait tous de vivre une scène d’une rare violence. Certains jeunes étaient clairement en état de choc. Quand ce chaos s’est dissipé, seul restait le plaisir de se retrouver, en plein air, après presque un an d’isolement dans des appartements. Là, c’est la pression d’une année horrible qui saute ; tout le monde déconnecte. On nous a distribué des masques : Techno+ assurait un gros travail de sensibilisation aux mesures sanitaires. La première nuit, j’ai vu un respect presque absolu de ces mesures. Ça s’est naturellement un peu dégradé au fil de la fête — certains ont enlevé leurs masques, il faut être honnête — mais les consignes étaient on-ne-peut-plus claires : « Si vous prenez des risques, faîtes vous tester ensuite, et ne rencontrez personne avant d’avoir reçu vos résultats ». Il y a un vrai souci de la responsabilité individuelle dans la fête libre, alors les gens ont joué le jeu.
« Il y a un vrai souci de la responsabilité individuelle dans la fête libre, alors les gens ont joué le jeu. »
Techno+ : La fête aurait eu lieu, que nous soyons présents ou non. Il nous a donc semblé important de nous y rendre pour proposer les services sanitaires de base. Au-delà de la COVID, il est important de pouvoir porter assistance aux personnes qui se blessent ou se sentent mal à la suite d’une prise de substance psychoactive. Nous avons installé notre stand de prévention, notre chill-out et organisé notre premier briefing dès notre arrivée avec les premiers participants. Nous avions 31 volontaires, tous inscrits sur des créneaux d’activité de quatre heures, veillant à leur aménager des temps de repos. Il faut anticiper car nous connaissons le moment auquel notre intervention commence, mais rarement celui auquel elle se terminera. Comme à notre habitude, nous sommes partis à la rencontre des autorités afin de signaler notre présence, et ainsi faciliter la coordination des secours en cas d’incident. Les gendarmes présents au début de l’événement avaient totalement déserté les lieux. Les seuls interlocuteurs aux abords du site étaient les organisateurs, qui distribuaient des masques et proposaient du gel hydroalcoolique aux nouveaux arrivants. Nous parvenons tout de même à nous coordonner avec l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Bretagne, et à collaborer avec les équipes de la protection civile et des pompiers. Les heures passent et la fête bat son plein, sans incident sanitaire majeur. Si ce n’est ce contexte très particulier de l’épidémie qui, à chaque instant, se rappelle à tous lorsqu’il faut deviner les sourires derrière les masques, ou se désinfecter les mains après chaque manipulation ; cette fête se passe comme bon nombre d’entre elles : simplement.
« Cette fête se passe comme bon nombre d’entre elles : simplement. »
Police : le retour
Techno+ : Après 24 heures de présence sur le site, une rumeur s’est répandue : « Le ministre de l’Intérieur aurait annoncé, lors d’un direct télévisé, la mobilisation des forces de l’ordre sur le site de Lieuron ». Une grande partie des fêtards ont quitté les lieux au cours de la nuit. Vers cinq heures du matin, il n’y a plus décoration, ni de jeux de lumières, pas même un DJ. Seules deux malheureuses enceintes reliées à un téléphone portable continuent de distiller la musique à deux centaines de teuffeurs. On démonte notre installation, la batterie du téléphone coupe : il est temps de prévenir l’ARS, mettre fin à notre intervention et charger nos véhicules. Neuf heures : les conducteurs sont réveillés, nous sommes prêts au départ quand vingt, quarante puis cinquante gendarmes mobiles surcaféinés font irruption avec fracas, et à grand cris, dans le hangar vide. Des individus, en armure et bouclier, encerclent nos intervenants sidérés, fatigués et hagards.
Antoine : Après deux nuits d’une fête incroyable, je suis parti me coucher avant de reprendre la route. Au matin, c’est une armée de gendarmes qui nous a réveillés. Ils avaient entouré le site pour contrôler tout le monde avec dédain et violence. Au moment de partir, ils m’ont demandé si mon véhicule m’appartenait bien, ont tout mis sens dessus-dessous à l’intérieur. Je suis passé par plusieurs tests d’alcoolémie au cours desquels j’ai senti une envie de nuire de la part des officiers. Tous négatifs, j’ai pu quitter les lieux, reprendre la route et déposer les copains chez eux. Cinq jours plus tard, je suis parti faire un test PCR — ma grand-mère arrive demain, la famille voulait être rassurée. J’ai reçu les résultats : je suis toujours négatif.
« Des images de cette extraordinaire démonstration de force passent en direct à la télé, alors que la fête est déjà finie depuis cinq heures. »
Techno+ : Quelques teuffeurs, endormis dans un coin du hangar, sont soulevés manu militari et regroupés dans la nasse, sous l’objectif avide de quelques médias sensationnalistes. Des images de cette extraordinaire démonstration de force passent en direct à la télé, alors que la fête est déjà finie depuis cinq heures. Notre équipe passe par l’interrogatoire, la prise d’identité, une fouille des véhicules. Malgré nos ordres de mission, nos documents associatifs, la confirmation de l’ARS et de la directrice de cabinet du préfet, les gendarmes ont le plus grand mal à nous laisser partir. Nous remontons l’impressionnante file de véhicules de gendarmes et, à chaque barrage, les mêmes identifications, vérifications, fouilles et explications : « Non, nous ne sommes pas des organisateurs de free-party, nous sommes des acteurs de santé communautaire réalisant des missions inscrites au code de la Santé Publique ».
Antoine : Toute la répression contre cet événement montre qu’il y a une vraie intention de nuire à la free-party. Nous n’avons besoin ni de l’Etat, ni de son SAMU, ni des boîtes de presta ou de techniciens car nous sommes débrouillards. Pas besoin d’agents de sécurité non plus parce que nous sommes tous acteurs de ce mouvement et que l’on se gère nous-mêmes. L’État ne veut pas montrer cette vérité. C’est pour cela que, lorsqu’il s’agit de parler de free-party, on coupe, on détourne ou bien l’on choisit l’élément faible pour décrédibiliser le mouvement, à l’image de cette fameuse séquence chez Hanouna. Je pense que la répression gouvernementale va de pair avec tous ces bordels médiatiques.
Bordels médiatiques
Francesco : Pendant la soirée, je suis parti me balader dans le village. J’ai rencontré quelques riverains, la plupart étaient amusés et l’ambiance très sympathique. À ce moment-là, j’étais loin de m’imaginer que la teuf était l’objet de tous les regards à l’extérieur. En rentrant chez moi, j’ai été surpris de voir qu’elle avait suscité tant de débats. Puis, je me suis dit que ce n’était pas si étonnant : en France, on n’a pas hésité à accuser les jeunes, et les banlieues, d’être parmi les responsables de l’épidémie. Dès le départ, le discours a été de dire que la fête était dangereuse, contrairement au métro ou aux grands magasins.
« Nous n’avons besoin ni de l’Etat, ni de son SAMU, ni des boîtes de presta ou de techniciens car nous sommes débrouillards. Pas besoin d’agents de sécurité non plus parce que nous sommes tous acteurs de ce mouvement et que l’on se gère nous-mêmes. L’État ne veut pas montrer cette vérité. »
Techno+ : Nous avons été la cible des critiques dès lors que nous avons rendu publique notre présence sur place, le vendredi matin. On a commencé par nous reprocher de « cautionner l’événement », puis, le samedi matin, CNews nous a présenté comme les organisateurs de la fête, ce qui nous a valu une nouvelle série d’insultes. Enfin, des opposants à la fois à la politique de réduction des risques pour les usagers de drogues, mais aussi, d’une façon plus générale, à la politique d’Anne Hidalgo, ont pointé du doigt le financement public de Techno+ pour attaquer la Mairie. Dans le but de choquer l’opinion, ces opposants ont dénoncé un financement parisien exceptionnel de 80 000€, qui correspond à l’achat, en 2019, d’un dispositif mobile d’analyse de produits : le DrugTruck. On a voulu pointer une prétendue connivence entre l’association et les élus parisiens ; or, cette subvention est le fruit d’un vote démocratique exercé par les Parisiens eux-mêmes, dans le cadre du budget participatif 2018 de la Ville de Paris. Mme Dati déclare vouloir nous entendre au Conseil de Paris lorsque nous demanderons le renouvellement de nos subventions en 2021. Mais où étaient donc Mme Dati et ses questions pendant les précédents Conseils de Paris ? Elle qui est élue, et participe depuis douze ans au vote de l’attribution des subventions que nous recevons…
10 ans de prison
Francesco : Ce qui m’a choqué, c’est d’apprendre qu’un gamin de 21 ans avait été emprisonné pour être suspecté d’avoir participé à l’organisation de l’événement… Je suis tombé des nues. Moi-même papa, j’ai pensé à ma fille, elle aussi âgée de 21 ans. Il est hors de question qu’elle puisse finir en prison pour avoir voulu faire la fête avec ses potes ! Elle vit à Nantes, et était à la fête de la musique le soir où Steve est mort noyé face à la répression policière. Ça aurait pu être ma fille ce soir-là. On peut dire que je suis plutôt en colère depuis.
« Pour des petites familles, tranquilles chez eux, ce n’est pas compliqué de s’enfermer, mais pour des jeunes comme nous qui voient leur vie partir en fumée, c’est crucial. »
Techno+ : Sur les 16 chefs d’inculpation retenus contre l’organisateur présumé de la fête, nous remarquons que celui qui porte la peine jusqu’à dix ans de prison est celui pour « facilitation de l’usage de stupéfiant ». Le même chef d’inculpation dont avait été accusé Techno+ en 2003 pour avoir diffusé des flyers d’informations sur les risques de la consommation de drogues. Nous nous sentons donc solidaires face à l’instrumentalisation de cette loi qui, au prétexte de lutter contre les drogues, permettrait de condamner lourdement un jeune sans casier. En quoi cette condamnation apporterait quoi que ce soit en termes de santé publique ?
Une année volée
Antoine : Le plus triste, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de la free, mais de tout le monde de la culture que l’on voit s’effondrer. Pour des petites familles, tranquilles chez eux, ce n’est pas compliqué de s’enfermer, mais pour des jeunes comme nous qui voient leur vie partir en fumée, c’est crucial. La plupart d’entre nous subissent les conséquences économiques et sociales de cette crise qui nous affecte aussi mentalement. S’il ne nous reste même plus la vie sociale à côté, les musées, théâtres et cinémas, que nous reste-t-il finalement ? Le métro ? La FNAC ? On a parfois l’impression que l’on se fout complètement de nous…
Francesco : J’ai de la peine pour elle lorsque je pense à cette année volée, à tous les procès faits à la jeunesse et au déni de l’importance du contact humain. Quand j’entends Jean Castex affirmer qu’une vie sociale existe au bureau et qu’il faudra s’en contenter, je suis en colère pour une génération entière. Voir cet événement, c’était un vrai soulagement, et je suis heureux qu’il ai pu exister pour tous ces jeunes. C’est une belle histoire de résistance.
*les prénoms ont été modifiés