L’histoire derrière Plantasia, ce curieux disque de 1976 qui fait pousser les plantes
Début novembre, Sacred Bones Records rééditait les trois albums Didn’t You Hear, Black Mass, The Unexplained et la compilation Patch Cord Productions de Mort Garson, pionnier du synthétiseur Moog décédé en 2008. Ce n’est pas la première fois que le label new-yorkais réédite l’artiste : en 2019, la dernière création de sa carrière, Mother Earth’s Plantasia ou simplement Plantasia, était reproduite pour le plus grand bonheur des diggers, puisque cet album de 1976 était jusque là une perle rare. Difficile en effet de retrouver un exemplaire d’un disque qui n’a jamais été commercialisé. Pourtant, Mother Earth’s Plantasia est un chef-d’œuvre électronique. Mais son histoire n’est pas celle d’un album ordinaire.
Milieu des années 70 aux États-Unis : les grands icônes de la révolution hippie Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison et Brian Jones des Rolling Stones sont décédés, et la guerre du Viêt Nam est terminée. La génération hippie peut alors ranger ses pancartes et se concentrer davantage sur soi que sur la politique étrangère du pays : en Californie, une nouvelle ère post-hippie s’ouvre, plaçant l’écologie et l’épanouissement personnel au cœur de ses valeurs, et continuant de rejeter les religions traditionnelles pour préférer les croyances en les forces de la nature. Un livre rencontre d’ailleurs un succès auprès de ces premiers bobos : La vie secrète des plantes, publié en 1973 et écrit par Peter Tompkins et Christopher Bird, qui assurent que les plantes sont dotées de sens insoupçonnés, et qu’elles sont même sensibles à la musique…
« Musique chaleureuse pour les plantes… et les gens qui les aiment. »
Trois ans après la publication du livre, si vous achetez une plante d’intérieur dans la boutique Mother Earth Plant sur Melrose Place à Los Angeles, on vous offre un petit livret d’horticulture et un vinyle, dont l’écoute serait vertueuse pour la croissance et la santé de vos plantes vertes. Ce disque, c’est Mother Earth’s Plantasia de Mort Garson. Âgé de 52 ans, ce musicien a déjà neuf albums à son actif sous des alias différents comme Lucifer (avec Black mass en 1971), Z (avec Music For Sensuous Lovers la même année) ou Ataraxia (avec The Unexplained en 1975). Il a également composé pour quelques films, une série, des publicités, et pour les images des premiers pas sur la lune de la mission Apollo 11, après que CBS lui a commandé une bande-son de 6 minutes 30. L’artiste ne jure que par le synthétiseur modulaire Moog, que Robert Moog en personne lui a présenté en 1967 au congrès de l’Audio Engineering Society. Il gagne sa vie grâce à ses créations commerciales, mais la musique expérimentale à laquelle il s’essaie, comme cet album pour plantes, demeure impopulaire et non lucrative.
Avec Plantasia en 1976, Mort Garson signe son dernier album qui ne sera tiré qu’à très peu d’exemplaires car uniquement destiné à être offert et non pas véritablement commercialisé. Le disque est sous-titré : « Musique chaleureuse pour les plantes… et les gens qui les aiment ». Avec ses dix tracks aux douces sonorités atmosphériques voire magiques, odes aux bégonias ou à la violette africaine, Plantasia se trouve être un des premiers chefs-d’œuvre de la musique ambient.
D’ailleurs, toujours en 1976 à Los Angeles, le disque est également offert aux personnes qui achètent un matelas Simmons dans l’enseigne de grande distribution Sears : le message semble clair, c’est un album conçu pour se reposer sur son nouveau matelas, méditer, et regarder ses plantes pousser. La musique se veut thérapeutique.
Et YouTube découvrit Plantasia
C’est à partir des années 2000 que Plantasia sort de l’ombre et devient une œuvre star auprès des amateurs de musiques électroniques. Grâce aux chineurs et à YouTube et son algorithme. Les morceaux catégorisés comme musique de détente sont mis en avant dans les recommandations, ce qui favorise la visibilité des tracks de Plantasia. Les premiers remix voient le jour, mais aussi les bootlegs ou disques pirates, qui tentent de spéculer sur le succès de l’album dont le prix de la copie originale atteint les 600 dollars.
« Il serait fasciné de voir que les gens comprennent et apprécient enfin cette partie de sa carrière musicale, qui ne suscitait aucune admiration à l’époque. »
En 2008, Mort Garson décède. Quelques années plus tard, quand sa fille Day Darmet découvre le culte autour de l’œuvre de son père et accepte de collaborer avec Sacred Bones Records, elle déclare que Garson aurait été « fasciné de voir que les gens comprennent et apprécient enfin cette partie de sa carrière musicale, qui ne suscitait aucune admiration à l’époque ».
43 ans après sa création, en 2019, Plantasia fut pour la première fois commercialisé avec une réédition en vinyle et CD par Sacred Bones. Mort Garson est aujourd’hui considéré comme un pionnier de la musique électronique et particulièrement du synthé Moog qu’il fut l’un des premiers à posséder.
Cet été, le jardin botanique de Brooklyn lui rendait hommage le temps d’une soirée :
Les récentes rééditions ont cette fois-ci redonné vie à trois autres albums et à des morceaux et extraits publicitaires inédits regroupés dans une compilation :
- Didn’t You Hear (1970) qui a servi de bande-son au film du même nom par Skip Sherwood. Uniquement disponible à la vente lors des séances de projections du film à Seattle, le vinyle de la bande originale était épuisé depuis lors.
- Black Mass (1971) sorti sous l’alias Lucifer, à l’ambiance obscure et inspirée de messes noires, d’exorcisme et de sorcellerie.
- The Unexplained, Electronical Musical Impressions of the Occult (1975) sorti sous l’alias Ataraxia, également inspiré de phénomènes surnaturels et de magie.
- La compilation Patch Cord Productions qui rassemble des créations des années 1960 et 70 retrouvées dans les archives du compositeur.