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©DIANE ALEXANDER WHITE
17 juillet 2020

La Disco Demolition Night : la nuit où l’Amérique a voulu la peau du disco

par Violaine Schütz

Avec l’arrivée du sida, la Disco Demolition Night est l’un des événements qui ont précipité la mort du disco des années 70. Retour une nuit tragique où se sont mêlés le sport, la musique et les pires pulsions de la nature humaine.

Article issu du Tsugi 132, toujours disponible à la commande en ligne.

 

Si le festival d’Altamont organisé par les Rolling Stones le 6 décembre 1969 sur un circuit automobile de Californie du Nord signa en partie la mort du mouvement hippie (avec l’assassinat de Sharon Tate), la Disco Demolition Night participa à l’exécution du disco. À Altamont, des Hells Angels assuraient – mal – la sécurité, des actes de violence assombrirent l’atmosphère et quatre morts furent à déplorer. Lors de la Disco Demolition Night, les choses furent moins sanglantes, mais hautement symboliques dans leur violence. Nous sommes dix ans plus tard, le 12 juillet 1979 au stade de Comiskey Park à Chicago. Les fans de sport viennent assister à un double match de baseball entre les White Sox, l’équipe locale, et les Tigers de Detroit.

https://www.youtube.com/watch?v=I1CP1751wJA

Du pain et des jeux (idiots)

Steve Dahl

Les chaussettes blanches, qui connaissent une saison difficile, ont eu l’idée de suivre le leitmotiv “du pain et des jeux” pour faire venir du monde. Ils ont donc embauché un DJ rock, Steve Dahl, chargé d’assurer la promo du match. Les semaines précédant l’événement, ce dernier a chauffé les auditeurs de la radio qui l’embauche en leur proposant de venir avec un album disco pour pouvoir entrer au stade pour seulement 98 cents. Il s’agira de faire détruire le fameux disque emporté. Les anti-disco débarquent en masse, munis de pancartes d’insultes envers le genre qui a transformé Donna Summer en star. La scène est surréaliste. Au lieu des 20 000 personnes prévues, ce sont 50 000 fous furieux qui débarquent. Surexcités par l’alcool, les drogues et l’effet de meute, des spectateurs sans billet escaladent les clôtures. Dans les gradins, certains jettent des vinyles sur le terrain imprégné d’une odeur de cannabis, comme s’il s’agissait de frisbees, mais aussi des pétards et des bouteilles. Les joueurs enfilent au plus vite leurs casques et doivent interrompre le jeu plusieurs fois.

Dans cette atmosphère sauvage arrive le clou du spectacle, à l’entracte. Une benne contenant les vinyles disco est détruite avec des explosifs au milieu du terrain par Dahl et quelques amis, à 20h40. Le public scande “disco sucks” tandis que beaucoup de fans de sport, effrayés, tentent de quitter les lieux. L’explosion laisse un trou dans la pelouse et le terrain est envahi par plus de 5 000 spectateurs en délire pendant que les White Sox se barricadent. La police débarque moins d’une heure plus tard pour disperser les troupes. Une trentaine de blessés est recensée et le deuxième match est reporté. Une question se pose alors devant tant de haine : comment a-t-on pu en arriver là alors que le disco ne se voulait qu’amour et hédonisme ?

©Hank DeGeorge

La fin du monopole disco

En 1979, la démocratisation du disco, qui commence au mitan des années 70 après des débuts underground, est à son comble. Blondie, les Rolling Stones et Rod Stewart s’y convertissent. Le cinéma a surfé sur la vague avec La Fièvre du samedi soir (1977). Mais le genre a ses détracteurs et ils sont féroces. Il y a ceux que les sonorités rendent hystériques, jugeant le côté synthétique inauthentique et l’aspect commercial trop lisse. D’autres qui trouvent les fans de disco trop obsédés par les étoffes scintillantes qu’ils portent.

Belkacem Meziane, auteur de Night Fever, Les 100 hits qui ont fait le disco (éd. Le Mot et le Reste), résume ainsi ce qui pouvait agacer tant de monde : “La première raison est économique. Une grande majorité des émissions de radio ont axé leur prog autour du disco. Les labels ont investi des millions dedans. Les génériques télé, les pubs, les jingles de toutes sortes utilisent cette musique. C’est donc un monopole mal vécu par le reste de l’industrie musicale et surtout par le rock qui est depuis le début des années 1960 la musique emblématique de l’Amérique blanche. Il y a aussi la morale et la religion, qui occupent une grande place dans ces reproches. Longtemps on a critiqué la musique, quelle qu’elle soit, pour son caractère subversif. Les jazzmen et les rockeurs étaient vus comme des buveurs d’alcool, des fumeurs de marijuana, des coureurs de filles… Le disco est de la même manière attaqué pour son côté glamour, faisant l’apologie du sexe et des drogues…”

©DR

Homophobie et racisme latents

Au début des années 1970, quand il apparaît dans les boîtes de nuit de New York, le disco est un genre de niche, ancré dans la culture gay, noire et latino. De quoi faire fuir une horde de puritains. Mais ce soir de 1979, au stade, ce sont surtout des hommes blancs âgés de 18 à 34 ans qui sont réunis pour mettre le feu aux poudres. Peter Shapiro, auteur du livre culte sur le disco Turn The Beat Around (éd. Allia) nous explique l’importance du contexte : “La soirée de démolition du disco s’est produite dans le Midwest, qui s’appelait alors la ‘ceinture de la rouille’ parce qu’elle était le cœur industriel de l’Amérique. Mais les usines étaient en train de mourir. Le disco, issu de l’underground gay et noir, représentait un défi face à l’image que l’Amérique de John Wayne avait d’elle-même. Quand le pouvoir américain a connu la crise, les hommes blancs mécontents licenciés des emplois manufacturiers se sont sentis aliénés par le disco. L’Amérique des 70s a aussi vu l’arrivée des guerres culturelles (que nous vivons toujours) et les militants anti-gays comme la chanteuse de country Anita Bryant se sont concentrés sur le disco. Cette musique a également amené les charts pop à arborer une présence noire significative, ce qui a bousculé les fans de rock, en majorité blancs.”

Cette lecture de la Disco Demolition Night ne convainc pourtant pas tout le monde. Gloria Gaynor pense par exemple que son démiurge secret est surtout le Dieu dollar. Des personnes dont les intérêts financiers étaient menacés par le disco auraient détourné le public de son attrait. Quelles que soient leurs motivations, les agitateurs de cette nuit-là n’auront pas eu gain de cause. L’explosion s’est transformée d’année en année en immenses feux de joie techno, hip-hop, house et électronique, tous irrigués par la flamme disco.

Article issu du Tsugi 132, toujours disponible à la commande en ligne.

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