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Le disquaire Balades Sonores de Bruxelles
4 mars 2020

Profession ? Disquaire : rencontre avec ceux qui ont tout plaqué

par Manon Michel

Être disquaire a le vent en poupe. Aidés par le retour du vinyle, les shops fleurissent dans toute la France, avec des gérants issus de milieux professionnels aux antipodes de celui de la musique. Rencontre avec ceux qui ont tout plaqué pour devenir disquaires.

Article issu du Tsugi 130, toujours disponible à la commande en ligne.

Ils étaient coiffeurs, professeurs de physique, restaurateurs ou encore banquiers. Aujourd’hui, tous sont devenus disquaires. Si cette profession n’inspire à certains que la vision de vendeurs déambulant entre les bacs de disques, la réalité est toute autre. Pour certains, le rêve remonte loin. C’est le cas de Pierre, disquaire du récent Supersonic Records : “J’ai chopé le virus tout gamin. Je viens d’une famille de musiciens, notamment mon grand-père, qui était multi-instrumentiste et avait une énorme collection de vinyles, de Black Sabbath à David Bowie.” Un constat partagé par Domino, ancien coiffeur de 32 ans devenu gérant du disquaire Discover : “Ma vie a toujours été liée à la musique. Quand je terminais mes journées de travail, j’allais en écouter jusqu’à 4 h du matin, pour me lever à 7 h. Pour moi, c’était déjà 100 % de ma vie, même si dans les faits, ce n’était pas encore le cas.” Pour autant, leurs chemins auront d’abord dévié de celui des bacs de vinyles. Pierre sera banquier durant sept ans, endossant malgré lui le costume d’un manager. Domino, sous la pression familiale, sera coiffeur entre 14 et 26 ans. Et ils ne sont pas les seuls : Jacques, gérant de la boutique All Access, gravitera dans des professions liées à la musique sans réussir à réaliser pleinement son rêve, Jean-Baptiste (Balades Sonores) passera deux ans à enseigner la physique, tandis que Thomas (72 Records à Bruxelles) enchaînera les jobs dans la restauration.

Supersonic Records à Paris / ©Emilie MAUGER

Passer à côté de sa vie

Un jour, tous ont saturé. Domino raconte : “Après douze ans de coiffure, ça devenait compliqué de me lever et d’être souriant. J’avais l’impression de passer à côté de ma vie.” Même constat chez Jacques : “J’ai eu mon premier enfant il y a onze ans, j’ai voulu prendre une année sabbatique, et quand il a fallu retourner bosser dans la pub, je n’étais plus du tout motivé.” Arrive alors le déclic, souvent dû à un heureux hasard : Domino se voit proposer une boutique à Metz, Jacques s’empare d’All Access, Pierre profite de la fermeture de l’imprimerie proche du bar-club Supersonic à Bastille pour développer son rêve… Et tous sautent sur l’occasion sans aucune hésitation. “Au début, je me levais des heures avant d’aller travailler, j’arrivais même en avance tellement j’étais à fond, raconte Domino. Quand j’étais coiffeur, j’ai toujours eu le look du mec qui traîne en concert, personne ne s’est étonné de me voir ici.” Pour Jacques, ancien directeur artistique dans la publicité, le changement de quotidien s’est fait ressentir : “Dans un premier temps, j’ai vécu sur mes économies puis la boutique a pris le relais, mais je ne cache pas que je suis un petit smicard.” Un renoncement qui ne lui inspire néanmoins pas une once de regret : “Je suis le plus heureux dans mon job, ce qui n’était pas forcément le cas avant. J’assume tous mes succès, tous mes échecs, en défendant les artistes que j’aime.” Jean-Baptiste, disquaire depuis seulement six mois à Balades Sonores, après avoir abandonné ses éprouvettes et ses élèves, se dit agréablement surpris du quotidien du métier : “J’avais vraiment peur de m’ennuyer, je ne pensais pas qu’il y avait autant de monde qui achetait des disques. Il faut faire attention à beaucoup de choses, être disquaire demande d’être pointilleux.”

« Quand tu as une passion, il faut savoir faire des sacrifices. »

 

La passion avant tout

Lorsqu’on leur demande leur partie préférée du métier, la réponse est unanime : l’échange. Jacques adore lorsque ses clients viennent chercher un disque pour finalement rester deux heures à discuter : “Être disquaire pour avoir un site web, ça ne m’excite pas du tout. L’échange, oui. Quelque part, je suis un passeur : je n’ai pas la science infuse, j’apprends de mes clients et je transmets.” Un propos appuyé par Pierre du Supersonic : “J’ai un tout jeune client, de quatorze-quinze ans, et quand je lui fais découvrir un album qu’il ne connaît pas et que je vois le sourire sur son visage, ça vaut tous les zéros du monde sur une fiche de paye.” Jean-Baptiste, s’il est dans le métier depuis seulement six mois, parle d’un métier “humainement riche” : “Quand les clients sont passionnés, il se crée un vrai dialogue.” Tous le disent, être disquaire est avant tout une passion. Un ingrédient essentiel selon Domino lorsque l’on veut exercer ce métier loin d’être simple : “On doit gérer le rapport aux gens et à l’industrie du disque. On voit très vite les gens qui ne sont pas portés par leur passion.” Pierre, quant à lui, questionne la pertinence des jobs alimentaires : “Quand tu as une passion, il faut savoir faire des sacrifices. Est-ce que le bonheur est conditionné par ta paye à la fin du mois ou parce que tu te lèves en sachant que tu vas prendre du plaisir dans ton travail ?” Des profils particuliers existent néanmoins, tels que Ed, ingénieur pédagogique et fondateur de la plateforme en ligne Wax Buyer Club, permettant de recevoir un vinyle exclusif chaque mois. Le déclic a eu lieu il y a cinq ans, alors qu’Ed se rend compte qu’il est “trop vieux pour être rock-star” et que “le second plus beau métier du monde est disquaire”. Il reste malgré tout prudent. “Même si l’activité est viable, je ne veux absolument pas lâcher mon vrai job. Je me considère comme disquaire, ce n’est pas un hobby. J’ai juste deux emplois.”

« Quand je lui fais découvrir un album qu’il ne connaît pas et que je vois le sourire sur son visage, ça vaut tous les zéros du monde sur une fiche de paye. »

Une manière, peut-être, de se protéger face à l’avenir incertain du métier. Domino considère que deux points sont à garder en tête : réussir à suivre les différents rouages du marché du disque et éviter l’élitisme des disquaires. “Parfois, tu as l’impression d’avoir des personnes méprisantes gratuitement, ça donne une mauvaise image du métier. Tu as des clients qui se font engueuler parce qu’ils achètent un truc trop mainstream, c’est triste.” Joseph, de son côté, mise sur un retour pérenne : « J’ai confiance dans l’avenir. Quand j’ai ouvert il y a neuf ans, la tendance était plus à la fermeture qu’à l’ouverture, tout le monde m’a regardé comme si j’étais un kamikaze. En plus, je faisais du vinyle, ce qui était à l’époque une deuxième tare. Aujourd’hui, je suis content de voir qu’il revient au premier plan. À mon avis, ça va continuer à grimper sur les dix prochaines années.” On croise les doigts.

Article issu du Tsugi 130, toujours disponible à la commande en ligne.

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