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17 juillet 2020

On découvre ensemble : le nouvel album surprise de Nicolas Jaar

par Tsugi

Troisième album en seulement un an, le second sous son véritable nom, Nicolas Jaar n’est pas du genre à se prélasser. Deux jours après l’avoir dévoilé sous sa « forme liquide« , l’Americano-Chilien sort Telas, (« tissus » en espagnol), projet de déstructuration des textures d’une heure, découpé en quatre parties d’environ 15 minutes chacune. Ensemble, et au fur et à mesure du disque, nous allons découvrir cette œuvre et vous livrer toutes nos impressions et réflexions, à chaud.

Par Alix Odorico et Sylvain Di Cristo

 

Track 1 : Telahora

Adieu au brouillard organique (et un peu soporifique, disons-le) de son précédent disque Cenizas en ces toutes premières minutes. Les instruments, ou peut-être seulement des objets qui sonnent, combattent sur une nappe ambient progressive à la dimension épique… Puis, le tout s’adoucit en ne laissant que l’effet épileptique provoqué par les sonorités IDM. Un petit coup sur le temps, on est à 7:43 et ce n’est pas encore la moitié du track. C’est ce qu’on appelle une intro ! Un track à plusieurs tiroirs donc, résolument progressif où les cordes pincées prennent le relais des percussions, avant de se faire lentement dévorer par une série de glitchs anxiogènes. « Telahora » finira comme elle a commencé, angoissante et mystérieuse à souhait. Aphex Twin devrait apprécier.

 

Track 2 : Telencima

Nicolas Jaar comme un savant fou sur « Telencima ». Habité par ses machines, les textures, couleurs et émotions se mêlent comme les cellules d’organismes vivants s’entrechoquent, si bien qu’on a l’impression d’être devant un documentaire sur le microcosme et le macrocosme de l’univers, à la naissance et à la mort lente des noyaux. Au début, on se dit que 15:09 minutes comme ça, ça va être long, et le fantôme barbant de Cenizas revient un peu nous hanter. Puis on commence à écouter ça de cette même oreille qui écoute du free jazz, où le solo de saxophone vient se faire perturber par des glitchs numériques, et une histoire commence peu à peu à prendre forme dans notre esprit, mettant en scène ces bactéries organiques qui livreraient une féroce bataille contre des virus informatiques. On comprend également que le découpage des tracks est volontairement macronomique et que Jaar aurait bien pu aller davantage dans le détail. À sa guise.

 

Track 3 : Telahumo

Ici, changement d’ambiance. Nous voilà dans un musée d’art contemporain ou au beau milieu de la salle principale d’un aquarium, où l’artiste aurait pu faire un live de 14 minutes au rythme de la danse d’une multitude de requins, s’accordant aux notes de piano. La seconde partie du titre, lancée par une poussée d’electronica, reste encore dans la lignée de Cenizas, de la volonté de mettre une nouvelle fois les bruits de la nature en avant. Soudain, la nostalgie nous mord quand on doit définitivement faire une croix sur le Nicolas Jaar de Space Is Only Noise, quand le rythmé épousait le bruitiste. Aujourd’hui, il faudra se contenter de son projet Against All Logic pour tout ce qui est beat et avoir les mélodies et les bruits sous son vrai patronyme. Ça n’enlève rien à la beauté de Telas mais peut-être que des images pour l’habiller auraient été plus… utiles, comme son projet Pomegranates ?

 

Track 4 : Telallàs

Peu de nouveauté pour la conclusion de Telas sur ce dernier track. Passé les sept premières minutes de quasi vide, Jaar propose à présent un son mélancolique et sérieux, une boucle de percussions aux ornements harmoniques qui ne trouvent malheureusement pas l’apothéose sentimentale qu’elle laissait présager, laissant l’album se terminer en queue de poisson.

Conclusion

Depuis le génial Sirens (2016), Nicolas Jaar n’avait publié que des projets sous son alias Against All Logic. Cenizas, sorti il y a quelques mois aura marqué cette rupture. Dans ce disque, paru en plein confinement, l’artiste expliquait s’être volontairement confiné pendant quatre mois pour sa réalisation. Un album minimaliste qui tente un clin d’œil au rythme de la nature. Peut-être une manière pour le musicien de revenir à des choses essentielles et primaires en ces temps sombres. Le rapprochement entre Cenizas et Telas, s’il n’est pas évident à première vue, est notoire. De par son ambiance et ses sonorités tout d’abord, légèrement en marge de Sirens et se rapprochant davantage de Pomegranates, mais aussi par son nom. « Cenizas », « cendres » en espagnol, et « telas », « tissus », renvoient tous deux à la matière créatrice. Première pour Cenizas, et transformée pour Telas. Peut-être peut-on y voir une continuité dans le rapport qu’a Nicolas Jaar à son processus créatif. Ces tissus dont l’Americano-Chilien s’amuse sur ses quatre titre semblent renvoyer aux différentes textures et couches dont sa musique est composée. Il les découpe, les rattache et les superposent pour livrer son propre « vêtement », authentique. Néanmoins, la comparaison prend fin à l’évocation de la durée des quatre titres : entre 13 et 16 minutes chacun. Si Cenizas est composé de 13 tracks plus courts, ici, ils planent sur la durée et se consomment comme un court-métrage cinématographique sur les bienfaits de la nature, occasion de rappeler que Nicolas Jaar est le fils du réalisateur chilien Alfredo Jaar. Lors d’une interview accordée aux Inrocks en 2011, il disait à l’occasion de la sortie de Space Is Only Noise : « Il y a d’abord le fait que tout a déjà été écrit et composé : la seule chose qui nous reste, c’est la texture, le vêtement, la production. » Neuf ans après, il continue toujours inlassablement sa recherche.

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