Au carnaval des stars du rock, Post Malone a l’un des meilleurs déguisements
Cette semaine, Tsugi vous invite à lire ou relire cinq articles de la série consacrée aux pop stars, initialement publiée dans le zine bordelais Le Gospel (le #6 se chope ici). Aujourd’hui, Post Malone, jeune rappeur américain devenu en quelques années un des cadors de la musique populaire, au-delà des genres, des esthétiques et des classes sociales. Incarnant à la fois le meilleur et le pire de ce fameux « monde d’après »…
Par Adrien Durand
Post Limon
Les Américains entretiennent des rapports affectifs et fusionnels avec pas mal de choses. Parmi elles, il y a les armes à feu et les chips. Deux éléments qu’on retrouve dans le spot publicitaire pour Doritos diffusé en exclusivité pendant les derniers Grammy Awards (en janvier dernier) et qui met en avant une nouvelle égérie : Post Malone. Le jeune musicien américain, devenu mégastar en quelques années, y apparaît sous les traits de Post Limon, un alter ego “citronné” (ah ces pubards) qui joue de la guitare en forme de Doritos et se fait tatouer une chips triangulaire sur la joue. “Wow” c’est le nom du morceau de Post Malone qui accompagne le spot mais aussi ma réaction à la vision de cet objet à la fois dégoûtant et fascinant et que, soyons honnête, vous auriez probablement adoré si vous étiez un gamin de 12 ans fan de rap et consommateur de junk food.
Post Limon n’est pas le premier déguisement qu’a enfilé Post Malone depuis le début de sa carrière, lui qui, en représentant assez parfait de là où en est rendu le business de la musique actuel, a déjà opéré de nombreuses métamorphoses. Quand il apparaît dans le viseur public, Austin Post (de son vrai nom) est un jeune fan de jeux vidéos texan qui veut percer dans la musique. Ce sera chose faite avec « White Iverson », un titre efficace de rap planant et déprimé, posté sur Soundcloud, et assez catchy et compressé pour passer dans les SUV et les salles de gym du monde entier.
Dans le clip dédié (qui a assez mal vieilli, il faut bien le dire), Post Malone y apparaît un peu pataud, dansant mollement (en 2011, soit presque un siècle Internet avant les chorégraphies syncopées de l’ère Tik Tok) au milieu des palmiers, dans un décor vu mille fois de vidéo de hip-hop américain. Grillz doré sur les dents et tresses sur la tête (comme Allen Iverson, joueur de basket qui donne son nom au morceau), Malone s’y présente à l’image de millions de jeunes américains, “swaggin & ballin” sur le parking d’un mall un samedi où il n’y a rien d’autre à faire que se filmer en train de jouer les thugs, bourrelets et barbe irrégulière dehors. Une version humanisée des cyborgs de la pop, Justin Bieber en tête, son parrain officieux qui contribuera à sa mise en orbite comme plus grande pop star actuelle, quelque part entre Drake et Lady Gaga. Tout dans ce morceau (y compris cet étrange accent quelque part entre le mumble rap et la lenteur sudiste) respire l’imposture et pourtant. Bulldozer mélodique autant que morceau câlin et inoffensif, « White Iverson » est la première marche gravie par Post Malone vers le podium de la pop.
“Je suis un mec blanc donc je traverse plein d’émotions!”
En 2017, interrogé par Charlamagne Tha God, personnalité des médias US (principal et rare détracteur du musicien), sur sa possible appropriation culturelle de la culture afro-américaine, Post Malone répondait du tac au tac : “J’imagine que ce que je peux faire pour aider Black Lives Matter c’est continuer à faire de la musique, je ne sais pas…”. La même année, on le retrouvait, petite cervelle de moineau envoyée sur des terrains théoriques bien trop complexes pour elle, affirmer à un média polonais :
“Si tu cherches des paroles, si tu veux pleurer, penser à la vie, n’écoutes pas de hip-hop (…). Quand je veux pleurer, m’asseoir et chialer un bon coup, j’écoute Bob Dylan.”
Les médias du monde entier avaient beau brandir les headlines du type “Post Malone dénigre le hip-hop”, le scandale ressemblait à une baudruche dégonflée. Pire, sans le vouloir (attention les théoriciens du complot, ne me lancez pas), Austin Post (qui a dégoté son pseudo sur un générateur en ligne de noms de projets hip-hop) se sortait d’une case un peu contraignante, celle du rappeur blanc, pour rejoindre celle beaucoup plus confortable de la “rock star”, costard à paillettes, mocassins Louboutin à 17 000 dollars, bouteille de Four Roses et clope au bec. Laissant de côté au passage Machine Gun Kelly ou Eazy G, collègues pas très inspirés d’un rap blanc commercial qui n’a jamais brillé par sa pérennité (en dehors de tout commentaire critique et des premiers albums d’Eminem).
Post Malone, idole des gamins blancs de la génération GTA qui se dépatouillent comme ils le peuvent des fantasmes masculinistes dont la culture digitale les abreuvent, filmé en 2015 en train d’appeler ses potes “Nigger” en jouant à Minecraft, n’a pas grand chose à faire de l’approbation du rap et de son public. En six ans, il est passé de ses envies de “balling & “swagging” (un langage de rue qui lui va si mal) à « Rockstar », titre chanté avec le chef de file du rap narcotique 21 Savage, comme une lointaine réminiscence de « Walk This Way » de Run DMC et Aerosmith qui n’aurait gardé du rock’n roll que le statut social et quelques oripeaux. Car si du rap, Posty (son petit surnom) a conservé les rythmiques et l’emballage (la pochette de Beerbongs & Bentleys, réminiscence de celle de Yeezus de Kanye West, déjà soupçonnée de plagiat), il a absorbé du rock’n roll l’apologie d’un mode de vie mythifié par Keith Richards et Motley Crue, revisitée à la sauce white trash 2020. Les destructions de chambres d’hôtels ont laissé leur place aux parties de beer pong et les bottes en peau de crocodile aux Crocs (dont Post Malone réalise un modèle signature). Le confort avant tout, pour la quête de sens ou la subversion on repassera. Ce nouveau personnage sous ses accessoires de vague rébellion rock’n roll et de coolness rap réalise un hold up impressionnant : il plaît à tout le monde. Et c’est un étonnant argument qui balaie ses détracteurs : il sait jouer de la guitare.
Carnaval
Alors qu’il affine son personnage médiatique hybride de Young Thug (sans l’androgynie), Tony Montana (sans la coke) et Hulk Hogan (sans le guidon de moustache), Post Malone porte le mauvais goût en bandoulière, comme une revendication de son identité profondément américaine. Et se place en descendance directe de tous les parasites devenus rock stars (un twitto notait avec clairvoyance que “Post Malone ressemble un peu au Coronavirus”), infernaux party boys à la Tommy Lee (à la batterie sur « Over Now »), Axl Rose (jamais loin du drapeau sudiste) ou Ozzy Osbourne, invité de marque de Hollywood’s Bleeding, troisième album raz de marée sorti en 2019 (et qui a battu le record du nombre de streams en une semaine). Auquel il accole un autre père spirituel pour le moins étonnant : Kurt Cobain.
Le 24 avril dernier, Post Malone remporte une médaille en chocolat pour le moins savoureuse, celle du live stream de “confinement” (burps) le plus réussi, dégommant au passage le slip de Bob Sinclar et l’infernal cover des tâcherons Puddle of Mudd d' »About A Girl ». En proposant un set entièrement composé de reprises de Nirvana, accompagné par Travis Barker (dont les opinions politiques pro-républicaines auraient probablement fait vomir dans son âme l’ami Kurt), dénué de toutes évocations “urbaines” ou hip-hop, la punaise de lit de la pop mondiale impressionne. Bon guitariste, vocaliste crédible et frontman humble (“tout le monde a une bière ?”), il laisse le monde d’avant dans des effluves de pets de Bud light et de rosé à 1K dollars la bouteille. Et votre serviteur avec une légère gueule de bois : l’héritage du punk serait-il réduit à Post Malone en robe qui joue « In Bloom » devant une webcam ?
Kurt Cobain aurait-il aimé Post Malone ? Voilà une autre foutue bonne question à laquelle je ne saurais répondre. Mais je doute clairement qu’il aurait apprécié de voir ses anciens acolytes s’adonner à un exercice pathétique d‘adult rock pataud, en place des morceaux qu’il avait pensé comme des coups de boule dans la culture mainstream. Là n’est plus la question. Les râleurs sont morts et les détracteurs renvoyés à leurs devoirs par ce gamin gentil mais un peu bébête, fans de théories du complot, qui dort avec un Colt sous son oreiller et qui se fait peu à peu recouvrir le visage de tatouages parce qu’il se trouve “fucking ugly” (info portée par les médias américains comme l’étendard d’un nihilisme générationnel). Peut-on encore remettre en cause Post Malone ? Pas vraiment car ce serait questionner à cette occasion toute une culture de l’hybridation, de la viralité et (soyons francs) de la mocheté qu’on a contribué à mettre en place et entretenir (que celui qui ne s’est pas roulé dans la fange de Tiger King me jette la première Bud).
Dans son article, Post Malone White rapper’s blues, le journaliste Hua Hsu du New Yorker comparait la liberté prise par le musicien à celle de Kanye West (créative mais aussi sociale dans sa façon de se permettre toutes les prises de positions et excès). Dans le monde d’après, une chose ne change pas : l’industrie et le public américain se ligueront toujours plus naturellement pour protéger un gamin blanc, la guitare en bandoulière qu’un rappeur noir provocateur. Au carnaval des stars du rock, Post Malone a actuellement un des meilleurs déguisements. Et quelques chansons pas dégueulasses, il faut bien l’avouer.
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L’article original a été publié sur Le Gospel ici. Le zine #6 est disponible par là.
À lire dans cette série :
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