50% tĂ©nĂšbres, 50% camping, DJ Varsovie est lâĂ©toile filante de l’underground Ă©lectronique française, le gourou des platines en peignoir en satin, un mec de Fontenay-sous-Bois Ă l’Ăąme en peine mais au cĆur bon. Rencontre avec le DJ tĂ©nĂ©breux et mĂ©lancolique qui se rĂȘve en animateur de bals de camping, le poĂšte maudit de la techno.Â
Il avait particuliĂšrement retenu notre attention en fĂ©vrier dernier, au festival Astropolis Hiver Ă Brest. Avec son univers sombre mais plein d’auto-dĂ©rision, DJ Varsovie ne laisse pas indiffĂ©rents celles et ceux qui tentent dâexorciser quelques dĂ©mons dans la fiĂšvre nocturne. AliĂ©nĂ© par les souvenirs dâune Ă©poque dĂ©finitivement rĂ©volue, âcelle oĂč lâintuition naĂŻve des premiĂšres fois accompagnait nos dĂ©couvertesâ, le producteur du 94 sâest donnĂ© pour mission de faire vibrer tous les campings et salles de fĂȘtes de France (et mĂȘme dâailleurs) au son de sa techno. Avec cinq EPs au compteur, dont le dernier Alien Love Songs prĂ©vu le 24 avril, DJ Varsovie est Ă©galement aux rĂȘnes du label Intervision et a dĂ©jĂ collaborĂ© avec Anetha, ABSL, ou encore I Hate Models. Si ses kicks saturĂ©s nâont pas encore rĂ©sonnĂ©s dans vos oreilles, il est grand temps de vous y mettre avant que celui qui aime se dĂ©finir comme âle prince du campingâ ne passe dans une nouvelle Ăšre. Peut-ĂȘtre un peu nostalgique, dĂ©finitivement mĂ©lancolique, DJ Varsovie nâen est pas moins visionnaire pour autant. HantĂ© par ses souvenirs brisĂ©s, lâartiste sâest confiĂ©. Attention, il nous avait prĂ©venus : cosmonaute Ă ses heures perdues, sa tĂȘte se perd parfois dans les Ă©toiles.
« Ma musique nâest pas ouf en vrai. Ce sont des morceaux un peu ratĂ©s, des tentatives⊠Mais par contre, je peux vous assurer que jây ai mis tout mon cĆur. »
Serait-ce chercher du sens oĂč il nây en a pas de te demander pourquoi « Varsovie » ?
Encore jeune â je parle ici de mon annĂ©e de 3Ăšme â je cherchais un nom pour un projet dâEDM que je menais aux cĂŽtĂ©s de mon ami BLNDR. Nous souhaitions rallier nos rĂȘves dâenfance, dâAmĂ©rique, de canyons brisĂ©s sous le soleil rauque, dâhorizons brĂ»lĂ©s par les cris des moteurs. Bref, nous rĂȘvions de voyages⊠Par ailleurs, mes origines de lâEst commençaient Ă rĂ©sonner au fond de moi, presque imperceptiblement. Alors que jâĂ©tais en classe, jâeu comme une rĂ©vĂ©lation : cette musique estivale que nous affectionnions devait avoir son revers, un aspect plus sombre afin que lâADN de notre monde y ait sa place. Un monde adolescent aux vibrations alĂ©atoires sur le cĆur encore nu. Un monde impitoyable de nouveautĂ©s. Pour contrebalancer le caractĂšre chaud et ensoleillĂ© de nos fantasmes, mon nom se devait dâĂ©voquer une rĂ©gion froide du globe. Et ainsi naquit DJ Varsovie.
Que faisais-tu avant de sortir ton premier EP, Vampire, en 2017 ?
Je faisais des ballades amoureuses pour lâISS, des romances stellaires, dans une Ă©ternelle rĂȘverie post-adolescente. Quand mes parents sâabsentaient, jâinvitais quelques amis chez moi et nous organisions des soirĂ©es science-fiction. Je leur faisais Ă©couter mes crĂ©ations maladroites, mes tentatives. Peut-ĂȘtre une des plus belles pĂ©riodes de ma vie, entre 17 et 19 ans… Puissante de tremblements intĂ©rieurs. La force de vie perçait la crasse lourde de nos Ă©motions. Une crasse que lâon retrouvait sur le duvet chaque matin au rĂ©veil, sur ces draps qui passaient la nuit Ă Ă©ponger nos rĂȘves, nos aspirations nocturnes dâhorizonsâŠ
Comment sâest passĂ©e ta premiĂšre rave party ?
Jây suis allĂ© en VĂ©lib⊠Une maison Ă CrĂ©teil entre le restaurant portugais et le concessionnaire Renault. Elle Ă©tait habitĂ©e par des Roumains qui jouaient de la psytrance, galaxie rouillĂ©e oĂč sâalignaient les astres fluorescents comme des regrets figĂ©s sous la lumiĂšre noire. Câest lĂ que jâai rencontrĂ© ma premiĂšre copine. Ce soir-lĂ , nous nâĂ©tions pas encore ensemble et elle avait embrassĂ© un des occupants. Je suis rentrĂ© chez moi et jâai pleurĂ©.
Ta premiÚre référence musicale est-elle aussi triste que le souvenir de ta premiÚre rave ?
Non, car le monde venait de commencer et avec en B.O. âUn jour je mâen iraiâ de Marcel Mouloudji.
Pour quelle raison tiens-tu autant Ă ĂȘtre « le Prince du camping » ?
Pour accompagner les couples qui se dĂ©font Ă la fin de lâĂ©tĂ©, pour jouer lâultime morceau du bal, le slow sur lequel l’amour se brise. Et pour rester dans les mĂ©moires le long de lâautoroute, quand le ScĂ©nic arrive au port du quotidien⊠à des annĂ©es lumiĂšres du soleil.

Astropolis Hiver 2020 / ©Evan Lunven
Un souvenir d’une expĂ©rience camping ?
Ă 18 ans, avec quelques amis, nous Ă©tions partis dans les Landes Ă Moliets Plage. La journĂ©e avait Ă©tĂ© belle. Nous avions montrĂ© nos talents de bodyboarders toute lâaprĂšs-midi, effectuĂ© quelques figures qui avaient fait de nous de fiers sportifs et nous Ă©tions sortis de lâeau en vainqueurs⊠à lâheure de se dĂ©tendre, le rosĂ© coulait Ă flots et nous nous racontions nos anecdotes les plus comiques. Le soleil avait du mal Ă sâĂ©teindre, nous le gardions en vie. La nuit tombĂ©e, les vampires qui sommeillaient en nous se sont rĂ©veillĂ©s. AssoiffĂ©s de sang jaune, Ă©galement appelĂ© âRicardâ, et prĂȘts pour une fĂȘte dâanthologie, nous voilĂ sur le Strip, foulant le bĂ©ton sous le sable de lâallĂ©e principale, symbolisant la frontiĂšre entre les deux campings, ennemis de toujours⊠AprĂšs avoir essayĂ© plusieurs bars, nous avons dĂ©cidĂ© de suivre un groupe de Hollandais qui se dirigeait vers une autre partie de la citĂ© balnĂ©aire. Nous nous sommes retrouvĂ©s dans un bar Ă lâambiance Ă©lectrique ! Une horde hollandaise en feu (cĂ©lĂ©brant, je crus comprendre, lâanniversaire d’un des leurs, un certain Koenraad). Sur la piste de danse, les tubes sâenchaĂźnaient jusquâau moment fatidique oĂč le DJ, un cinquantenaire, gourou dâune Hollande dĂ©chainĂ©e, se dĂ©cida Ă sortir son arme fatale, son sĂ©same pour libĂ©rer cette foule encore prisonniĂšre dâelle-mĂȘme : « Gasolina« . Ă ce moment-lĂ , mon ami Florian nous proposa un terrible pari : sâil dansait le twerk avec l’une des Hollandaises, nous devions lui payer la tournĂ©e pour le reste de la soirĂ©e⊠Ivre et inconscient nous acceptĂąmes. Quelques minutes plus tard, il se trĂ©moussait faisant crier tous les fantĂŽmes de son corps ! La dĂ©esse de Maastricht rĂ©pondit avec ferveur. Le coq Florian Ă©tait sorti de la cage et ce nâĂ©tait pas lâaurore⊠Mais dans lâexĂ©cution de lâun de ses diaboliques pas de danse, il glissa sur le sol suintant de Red Bull et dans sa chute se cogna sur le bord dâune table. Ayant perdu connaissance, nous avons dĂ» l’emmener Ă lâhĂŽpital. Il ne se rĂ©veilla pas. Ce fut sa derniĂšre danse.

Sa description SoundCloud
Terrible histoire. Depuis, tu prĂ©fĂšres les salles des fĂȘtes ?
Jâentretiens un lien spirituel avec ces lieux. Une salle des fĂȘtes, câest le temple du village, une gare ou lâon part en rĂȘve en fermant les yeux, oĂč lâon peut laisser la lumiĂšre de nos dĂ©sirs nous Ă©clairer. Câest un lieu oĂč lâon pleure, oĂč lâon crie en silence, oĂč lâon se sĂ©pare⊠Une salle des fĂȘtes, câest un bras de fer avec les Ă©toiles.
« Une salle des fĂȘtes, câest un bras de fer avec les Ă©toiles. »
La premiĂšre fois que nous nous sommes vus, au festival Astropolis Ă Brest, jâignore si lâair du Grand-Ouest a quelque chose Ă voir lĂ -dedans, tu mâas parlĂ© d’autoroutes, de raves et de Gilets jaunes…
Jâai effectivement un rĂȘve. Je souhaiterais organiser un festival sauvage sur le dernier pĂ©age de lâAutoroute du Soleil. Lâoccuper de maniĂšre permanente et y rĂ©aliser un Woodstock Ă la française. Nous ferions barrage jusquâĂ lâobtention du retrait de la concession autoroutiĂšre donnĂ©e Ă Vinci qui se goinfre pour ses actionnaires aux dĂ©pens des estivants, et qui applique des tarifs plus quâinsultants, en perpĂ©tuelle augmentation. Personne nâa le droit de bloquer ainsi lâaccĂšs Ă la cĂŽte et au repos ! Pour ce festival, jâai pensĂ© Ă un line up trĂšs spĂ©cial. Des artistes qui, jâen suis sĂ»r, se feront un plaisir de dĂ©fendre le droit aux vacances en rĂ©pondant prĂ©sents sous la tempĂȘte des cocotiers en pleurs. Il y aurait Michel Fugain, Benny Benassi, GaĂ«tan Roussel, Benjamin Biolay, Pendulum et bien dâautres⊠Je suis dĂ©jĂ en contact avec certains agents qui mâont rĂ©pondu : « Varsovie, en voilĂ une idĂ©e excellente, ça nous changera du Festival de la grande Fourche ! »
En attendant de rĂ©aliser ce festival engagĂ©, tu avais imaginĂ© un festival avec un public en pleurs. Ce festival des Souvenirs BrisĂ©s aurait dĂ» se tenir le 20 mars dernier, au Petit Bain…

Artwork du festival annulé des Souvenirs Brisés au Petit Bain
Attention, un festival gothique ! Jâavais, avant quâil ne soit annulĂ© par les autoritĂ©s, prĂ©parĂ© une dĂ©co digne des plus grandes cryptes avec posters de Buffy, Carrie au bal du diable, etc. Jâavais Ă©galement fait lâachat dâune cinquantaines de fausses bougies Ă LED qui auraient Ă©clairĂ© les Ă©bats sanglants de nos vampires dâun soir, cette sombre partouze qui sâannonçait. La plupart des festivals vendent un moment agrĂ©able, des sourires, la fĂȘte, de la joie⊠Je voulais proposer un festival qui rende hommage Ă toutes ces fois oĂč nous nous sommes sentis seuls, dĂ©laissĂ©s, face Ă nous-mĂȘmes, oĂč nous avons voulu rejoindre notre reflet dans la Seine, sinistre fleuve oĂč sâaccumulent les dĂ©sirs broyĂ©s, les carcasses de R5 qui nous amenaient enfants sur la cĂŽte Atlantique.
Tu es du genre Ă dĂ©primer dans des endroits conçus pour ĂȘtre festifs et âjoyeuxâ ?
Je ne sais plus trĂšs bien ce qui est festif et joyeux, alors je ne saurais vous dire. Je me souviens juste du bois oĂč nous allions, lorsque nous Ă©tions en classes de PremiĂšre et Terminale. Sous des rideaux de lumiĂšres, nous rĂȘvions Ă lâarrivĂ©e du printemps. Le printemps a disparu et le bois a Ă©tĂ© rasĂ©. Depuis, ils ont construit un aĂ©roport.
Tu en as dâautres, des rĂ©cits de souvenirs brisĂ©s ?
La premiĂšre fois oĂč je me suis fais larguer. CâĂ©tait sur un balcon dâappartement Ă CrĂ©teil, la cigarette la plus longue de ma vie. Le soleil sâest couchĂ© et je suis rentrĂ© chez moi Ă pied, dĂ©sincarnĂ©. Le diable mâattendait pour une partie de crapette. Cette partie Ă durĂ©e de longs mois et jâai fini par la perdre. Faut dire que cet enculĂ© nâarrĂȘtait pas de me faire boireâŠ
On imagine que tu as essayĂ© dâexorciser tout ça en composant. Quelle est la meilleure raison pour taper du pied sur ta musique ?
Ma musique nâest pas ouf en vrai. Ce sont des morceaux un peu ratĂ©s, des tentatives⊠Mais par contre, je peux vous assurer que jây ai mis tout mon cĆur et que, malgrĂ© la maladresse de lâexercice, jâai pour chaque track fait transpirer mon Ăąme comme le front dâun Ă©vadĂ©. Ces morceaux sont pour moi de vĂ©ritables Horcrux sponsorisĂ©s par Poliakov et la douleur. Je me rĂ©veillais de ces sĂ©ances avec de nouvelles rides. Ils reprĂ©sentent une partie de ma jeunesse.
« Ces morceaux sont pour moi de véritables Horcrux sponsorisés par Poliakov et la douleur. »
Contre quoi pourrais-tu troquer tes beats techno ?
Jâai toujours rĂȘvĂ© dâĂȘtre producteur de zouk, sur une Ăźle avec une Roland MV 8800 et de produire pour les fĂȘtes du village le week-end en buvant mon punch sous le ciel percĂ© dâĂ©toiles. Mis Ă part ce rĂȘve qui, jâen suis sĂ»r, ne se rĂ©alisera jamais, je commence avec Tony Turbo un groupe de variĂ©tĂ© française futuriste : ça s’appelle Vol 2045. Imaginez Balavoine qui serait mort Ă lâinstar de nos hĂ©ros de lâaĂ©rospatial au dĂ©collage dâune fusĂ©e. Nos tubes « ZoĂ© dans lâocĂ©an » et « Au bout du monde » nous emmĂšneront je lâespĂšre, au top des charts. En tout cas, nous travaillons avec lâobjectif quâils deviennent les derniers slows de cosmonautes en croisiĂšreâŠ
Quelle est la pire destination pour faire la fĂȘte selon toi ?
Berlin, câest une ville de pĂ©tomanes dĂ©pressifs. Peut-ĂȘtre Poitiers aussiâŠ
Il paraĂźt que te voir en live est une chance rareâŠ
Effectivement, je deviens sourd Ă cause dâune maladie gĂ©nĂ©tique et je ne pourrai bientĂŽt plus animer de bals comme avant. Mes apparitions se feront de plus en plus rares au bĂ©nĂ©fice de tous mes concurrents, ces terribles vautours qui nâattendent quâune chose, instaurer lâelectro-swing au sein des discothĂšques. Je profite de cette interview pour leur adresser un message clair : je ne vous laisserai pas faire ! MĂȘme au fond dâun trou je trouverai un moyen de vous en empĂȘcher. Je vous mets en garde, il faudra percer mon corps et mon fantĂŽme pour quâune telle infamie puisse ĂȘtre commise. Je ferai un livestream depuis lâau-delĂ sâil le faut !
« Je commence avec Tony Turbo un groupe de variĂ©tĂ© française futuriste […] avec lâobjectif que nos morceaux deviennent les derniers slows de cosmonautes en croisiĂšre. »
Ă dĂ©faut d’avoir pu te voir en live au Petit Bain, y a-t-il des projets en cours que lâon peut attendre ?
Oui, plusieurs Ćuvres qui sâannoncent terribles sont en prĂ©paration :
- Her Clone, un slow avec lâamour et la mort, une quĂȘte fantomatique et macabre entre Cuba et Taiwan, je nâen dis pas plusâŠ
- Death Angel, ou lâapparition de lâange de la mort dans un club de Torcy. Une double compile Ă©lectro-house avec des remixes de Lag, Paul Seul, Influx, Imperial Black Unit et End Of Mortal Life.
- Nostalgia 2032, rĂȘverie futuriste sur A.R.T.S avec un remix de I Hate Models, grand prince des tĂ©nĂšbres.
- Elle Venait de Saint-Nazaire, un autre slow â marin celui lĂ â qui sortira sur Because Music. Il sâagit dâune dĂ©dicace Ă HervĂ©, le pĂšre dâune amie dont le cĆur fut brisĂ© sur le port de la petite Californie bretonne.
Plusieurs autres EPs sont en confection mais afin de ne pas vous gùcher la surprise, je préfÚre remettre leur annonce à plus tard !
Sur lesquels de tes titres tu nous conseilles de danser en attendant la fin du confinement ?
« Shadows On A Dancefloor » [vĂ©ritable ode Ă Benny Benassi, l’un de ses hĂ©ros, ndr], « September » et « Darkest Ballroom« .
Puisque tes récits sont effrayamment captivants, je vais finir cette interview en te demandant de nous raconter un cauchemar que tu aimerais oublier.
En CM2, câĂ©tait aprĂšs avoir vu GoldenEye, jâavais rĂȘvĂ© que toutes les filles de ma classe sâĂ©taient mises Ă nous buter en nous sautant dessus comme Xenia Onatopp. En nous baisant quoi ! CâĂ©tait horrible mais excitant Ă la fois. Au petit dĂ©jeuner, je nâai pu en parler Ă personne, encore moins Ă ma mĂšre, vous imaginez bien. Cette terrible sensation dâexcitation et dâeffroi est restĂ©e dans le grenier de ma mĂ©moire⊠Vous ĂȘtes Ă ce jour mes premiers confidents.
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