Disparition du chanteur Christophe : son dernier blindest
Figure culte de la chanson française, Christophe nous a quitté le 16 avril 2020 à 74 ans des suites d’une maladie pulmonaire, à Brest. Le chanteur des « Mots bleus » aimait autant le blues que la musique électronique, et ça s’entendait sur son dernier album Les Vestiges du Chaos. À cette occasion, nous rencontrions l’artiste pour un blindtest qui faisait le grand écart. Un peu comme Tsugi d’ailleurs.
Article publié dans le numéro 91 de Tsugi (avril 2016)
John Lee Hooker
“Decoration Day”
Extrait de l’album The Essential : John Lee Hooker
(au bout de trois secondes) Ça va, c’est trop facile, c’est Hooker. C’est le professeur. Ce sont mes racines musicales. C’est le blues qui m’a donné envie de faire ce métier avec des artistes comme Big Bill Bronzy, Sonny Boy Williamson, Sonny Terry. C’est comme ça que j’ai pratiqué l’harmonica et la guitare. Même si celui qui m’a vraiment donné envie de jouer de la guitare, c’est Georges Brassens. D’ailleurs, je l’appelle toujours le bluesman français. En ce moment, je commence à monter un groupe pour les concerts que je vais faire à la rentrée et pour la première fois de ma vie, je vais jouer un morceau de blues. Je m’y étais toujours refusé jusqu’à présent. J’ai toujours tel- lement aimé tous ces gars que je ne me sentais pas toujours à la hauteur. Même si quand j’avais quatorze, quinze ans, je chantais le blues dans des bars à Golfe Juan comme La Vache Enragée où venaient des soldats américains. Les mecs demandaient: “Le petit Français il vient chanter ce soir?” Ils adoraient alors que je chantais en “yop” (comprendre en yaourt, ndr). J’avais le don du “yop”, je ne chantais que comme ça à l’époque. Depuis que je chante en français, je suis plus coincé pour chanter en “yop”. C’est marrant.
Nino Rota
“La Dolce Vita (from La Dolce Vita)”
Extrait de l’album Fellini e Rota
Ah, ça doit le champion des Italiens, Ennio Morricone ! (le thème principal arrive) Ah non, perdu c’est Nino Rota. Tous les jours, je regarde un film et après l’avoir regardé, je peux me remettre à faire de la musique parce que le film m’aura donné une idée. En ce moment, je compose une musique de film pour une réalisatrice, mais elle ne veut pas que je dise son nom. Je crois que j’aurais été meilleur réalisateur qu’acteur. J’ai beaucoup filmé. Quand on se balade avec des caméras et que l’on a dans ses tiroirs des tas de rushes, ça veut dire qu’on aime ça. Ma première passion quand j’avais neuf ans, c’était la pellicule 9,5 mm. J’étais totalement obsédé. Plus tard, j’ai eu aussi une caméra Beaulieu 16 mm. À quatorze ans, j’ai eu un rendez-vous manqué chez Cardin. Si j’avais rencontré Monsieur Cardin, j’aurai été dans la mode. Finalement, je suis dans la musique, mais pas dans la chanson. Je n’aime pas dire ce mot. Ce n’est pas le côté péjoratif, mais ce n’est pas mon truc. Je suis chineur, écouteur de sons, et à partir de là, je compose des plateformes sonores sur lesquels je m’amuse à poser ma voix. Ces plateformes sont plus ou moins mélodiques parce que je suis assez bon en gimmicks. Et tous les mecs de gimmicks sont des mélodistes.
Lou Reed
“Berlin”
Extrait de l’album Berlin
Lou Reed est partout ici (il montre autour de lui son appartement où on repère l’album Berlin posé sur un synthé, ndr). J’ai eu l’occasion de traîner par mal avec lui vers 2010. Comme tout le monde, j’ai eu des hauts et des bas avec lui. Quand il venait en concert à Paris, il disait: “J’espère que le petit Christophe va être là.” Pourtant, lors de son dernier Olympia, il ne m’a pas calculé du tout. J’étais avec trois copines assis sur les escaliers dans les backstages et Lou Reed faisait l’aller-retour devant moi. Mes copines me disaient : “Tu devrais aller lui dire bonjour.” Mais non, je le connais- sais, il fallait qu’il soit bien luné et là, je le sentais mal luné. C’est pour ça d’ailleurs que j’ai écrit “Lou” sur mon album avec Muriel Teodori qui est la meilleure amie de Laurie Anderson (la femme de Lou Reed, ndr). Elle raconte dans la chanson ce qu’elle a vécu avec eux, leurs derniers instants sur la plage avec lui. Je suis très content de ce texte que j’ai supervisé. C’est très cinématographique.
Alan Vega
“Bye bye bayou”
Extrait de l’album Untitled
Vous m’avez mis du facile. C’est mon cas particulier. Je l’aime depuis le premier album de Suicide que j’écoute toujours aujourd’hui comme s’il venait de sortir. On s’est rencontrés en 1994 à Paris. Un mec me dit: “Alan Vega est à Paris et il aimerait bien te rencontrer. Depuis New York, il a entendu dire qui tu parlais de lui comme d’un dieu à Paris.” Par la suite il a participé à l’album Bevilacqua. On a fait des petits concerts ensemble. Et là on refait un morceau ensemble “Tangerine”, où il a créé sa partie. À l’époque de la sortie de Suicide, si ce n’était pas évident de connaître des groupes, je prenais des renseignements. Il existait des passeurs aussi, qui faisaient découvrir des groupes. Aujourd’hui, je passe des nuits entières à chiner des trucs sur internet. Ça me permet de voir où en est l’évolution du rap ou de l’électro. Ma dernière découverte, c’est Canada. C’est super.
Orties
“Plus pute que toutes les putes (Lecter remix)”
Extrait du maxi “Nightmare Juke Squad”
J’adore ces filles. Je les ai découvertes grâce au journaliste Benoît Sabatier, qui est quelqu’un que j’aime beaucoup. Il m’avait invité à la projection de son premier film. Et je vois ces deux filles dedans. Je lui ai demandé qui elles étaient, et je me suis dit qu’il fallait que je fasse un truc avec elle. C’est moi qui ai voulu qu’elles chantent plus qu’elles ne rappent. Elles sont mignonnes, mais on en a vécu des trucs… des hauts et des bas. J’espère bien les avoir avec moi sur scène.
Tadeo
“An unresolved question”
Extrait de l’album Chronicles Of The Future
Je ne connaissais pas même si je n’ai pas la mémoire des noms. En techno, j’écoute des trucs beaucoup plus durs que ça. Comme Nicolas Jaar, Murcof. J’adore aussi Black Atlass, mais ce n’est pas vraiment de la techno. Ce n’est pas la danse qui m’attire dans la musique élec- tronique, ce n’est pas mon truc, j’aime voir comment les mecs tra- vaillent. Dans le rap, j’adore par exemple comme ils traitent la matière sonore. J’écoute aussi beaucoup Nine Inch Nails. Trent Reznor, c’est un technicien de haut niveau. Mais les musiciens que j’aime, je n’ai pas tellement envie de les rencontrer.
Jean Michel Jarre
“Magnetic fields, Pt. 2”
Extrait de l’album Les Chants magnétiques
C’est “Jarre-naque” ! Je l’appelle toujours comme ça, il le sait, il n’aime pas ! Mais j’aime bien ses sons. Il est très “gimmick” aussi. Quand je l’ai rencontré (Jean-Michel Jarre a écrit les paroles des “Mots Bleus” et de “Senorita”, ndr), c’était quatre ans avant qu’il ne soit vraiment très connu. Il aimait bien venir chez moi. Il m’a demandé de faire une mélo- die sur son dernier album, j’ai fait des petits synthés que je trouve pas mal. Le seul truc qui m’a fait chier, c’est d’avoir été obligé de chanter avec une coach anglaise. Je lui avais dit : “Attends, je le fais en yop, je vais m’éclater. C’est pareil, les gens ne vont rien comprendre de toute façon.” Je crois que le morceau serait encore mieux s’il avait suivi mon idée. Quand il m’a apporté le texte des “Vestiges du chaos”, c’est tombé à pic parce que je n’avais pas de titre pour l’album. Et ça correspondait parfaitement. C’est le premier album où j’ai souffert, j’ai failli tout arrêter parce que j’étais un peu incompris par les gens de mon équipe. La musique sort de ce chaos, alors que jusqu’à présent, tous les albums que j’ai faits venaient du plaisir. C’est une belle dif- férence. Je le protégeais et je l’ai porté jusqu’au bout. Puis tout s’est remis à briller. Tout est parti comme une fusée. Maxime Le Guil, qui l’a mixé, a été pour moi une lumière.
Pour en revenir à “Jarnaque”, la dernière fois qu’il est venu à la maison, il a commencé par m’acheter deux sièges de Starck. Parce que ce qui nous unit, c’est la brocante ! Et qui dit brocante, dit musique, car nous sommes des brocanteurs de la musique, où nous allons chiner de la matière sonore et des machines. Très vite, il a eu les moyens d’acheter du matériel et aussi la place pour les stocker. Moi j’ai toujours vécu dans des gourbis (il exagère un peu son appartement est très bien, même si très encombré, ndr). Moi, j’ai testé beaucoup de machines, mais si elles ne me plaisaient pas, je les jetais. Je travaille toujours sur les mêmes sept ou huit machines, et puis je me suis mis au piano, qui est une grosse machine.
Christophe
“E Justo”
Extrait de l’album Les Vestiges du chaos
Ces derniers jours, pendant les interviews, j’ai rencontré des jeunes journalistes qui me disaient qu’ils se passaient l’album en boucle. Ça me touche beaucoup que des jeunes aiment ce disque. Je me serais mis une balle si je n’étais plus considéré que comme quelqu’un du passé. Depuis 1975, je fais de la musique tous les jours et de temps en temps, il en sort un album. Dans Les Vestiges du chaos, chaque morceau est comme un film différent. Tout est imbriqué et il ne faut pas enlever une chanson. J’ai décidé aujourd’hui d’abandonner l’idée d’écrire mon autobiographie. Je pensais que j’en avais envie, mais finalement, non. Je vais appeler l’éditeur parce que je règle toujours mes problèmes en direct.