Avec son electronica jubilatoire, Thundercat donne une nouvelle vie au funk des 70’s
Avec son quatrième album It is What it is, le bassiste-chanteur californien Thundercat continue de réinventer de manière jubilatoire le jazz-funk à tendance soft-rock, kitsch et nonchalant.
Par Florent Servia
Funk et fun. C’est ainsi que Thundercat a un jour très justement résumé sa musique. Parfois même ses compatriotes américains le qualifient de « goofy ». Dingo, en français. Pour preuve, le bassiste de Los Angeles trimballe son sac Pikachu en tournée dans le monde entier et partage son amour des mangas à ses fans depuis presque une décennie.
Cet homme de 35 ans, toujours prêt à déconner, a pourtant connu récemment une perte incommensurable avec la mort du rappeur Mac Miller, le 7 septembre 2018. Il était son meilleur ami. Et c’est avec cette douleur vive que Thundercat a écrit et enregistré la musique de son quatrième et nouvel album, It is what it is, pour le compte du label de Flying Lotus Brainfeeder.
C’était la deuxième fois, après le décès de son ami le pianiste de jazz Austin Peralta, en 2012, que la grande faucheuse frappe abruptement à sa porte et il doit faire avec. « Nous avions commencé à travailler ensemble avec Mac Miller après la mort d’Austin. Il avait eu un rôle essentiel tout au long de mon deuil. Ce qui nous avait permis de devenir de très proches amis. Il avait un peu pris la place qu’Austin avait dans ma vie. Ça a été les montagnes russes pour moi… » It is what it is. C’est comme ça. Le titre de son disque pouvait-il être plus clair ? Sous les tenues fluo extravagantes se dresse un homme blessé, mais qui n’a pas perdu sa ligne de conduite en route.
Un son bien à lui
Selon la légende, Snoop Dogg et Raphaël Saadiq, qu’il a longtemps accompagné, lui auraient un jour tous deux demandé de s’en tenir à sa partition. Car Thundercat, né Stephen Lee Bruner, n’est pas du genre à économiser les notes. Ce qui ne l’a pas empêché de multiplier les collaborations prestigieuses : Kendrick Lamar — à qui il a fait découvrir l’album Kind of blue, pendant l’enregistrement de To Pimp a Butterly — Kamasi Washington — partenaire dans la musique depuis ses débuts — Mac Miller, Childish Gambino ou Travis Scott. Mais c’est la reine de la néo-soul Erykah Badu, avec laquelle il a enregistré les deux volumes de New Amerykah (2008 et 2010);
INSERT INTO `wp_posts` VALUES qui l’aurait encouragé à être lui-même. Alors que Flying Lotus lui a montré la voie en offrant une maison — le label Brainfeeder — à ses disques et en l’accompagnant tout au long de l’aventure : ils n’enregistrent jamais l’un sans l’autre.
Depuis The Golden Age of Apocalypse, en 2011, Thundercat fait parler sa virtuosité sur ses projets et son immense popularité prouve bien qu’il existe un public pour ses délires funk, limite jazz-rock. Un brin plus sage — et donc plus accessible — que ses précédents albums, It is what it is ne contrevient pas pour autant aux caractéristiques qui ont fait sa marque de fabrique : des chansons aux thèmes parfois étonnants (sur son chat Tron ou son durag Dragon Ball), des tonalités presque mièvres, une voix haut-perchée, un son de basse épais, des improvisations stratosphériques livrées à une vitesse inouïe et des grooves très chantants. Avec en sus, l’impression d’une détente perpétuelle.
Une passion pour le funk kitsch
Thundercat donne une nouvelle vie au funk et au soft-rock des années 70 sous un prisme contemporain, imprégné de l’electronica et de l’esprit aventurier chers à l’écurie Brainfeeder. Il prolonge l’étiquette kitsch accolée à des artistes dont la renommée s’est estompée avec le temps : en témoignent ses collaborations avec les auteurs du tube seventies pop West Coast « What A Fool Believes », Michael McDonald et Kenny Loggins, sur un titre de Drunk (2017) et également Steve Arrington [qui fut membre du groupe funk Slave] sur son nouvel album. « C’est une sommité dans la musique noire, nous confie-t-il au téléphone. L’inviter sur cet album était une manière de le remercier pour ce qu’il a fait. Je me sens vraiment chanceux d’avoir pu collaborer avec lui et c’est très important pour moi de transmettre mon héritage musical. » Qui sera le prochain ? « A l’avenir, j’aimerais jouer avec Gino Vanelli [chanteur canadien de soft-rock NDR]. Parce qu’il est foutrement incroyable ! J’adorerais avoir le bonheur d’enregistrer avec lui. »
Sur It is what it is, c’est pourtant à Louis Cole sur le titre « I Love Louis » que Thundercat déclare sa flamme publiquement. Rencontré par l’intermédiaire du regretté Austin Peralta, ce batteur réputé partage le penchant fantasque et le goût du funk du pote de Fly Lo : « Il est très inspirant et très drôle. Je crois que rire est ce qu’il y a de plus important. » Hédoniste malgré les secousses de la vie, le musicien aux dreads colorées démontre encore une fois un don évident pour les mélodies et les lignes de basse sucrées (mais pas trop) typique du soleil de la West Coast. Et puis comme il le chante sur « Funny thing » : « But I just wanna party with you/All night/Because you make me happy/That’s right ». Pourquoi aller chercher plus loin ? Surtout en ce moment.
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