Du duo Paradis au mini-album solo : l’interview vérité de Pierre Rousseau
Il y a donc une vie après le paradis. Pierre Rousseau, moitié de… Paradis le prouve avec son EP six titres Musique Sans Paroles. En rupture (provisoire) depuis 2017 du duo qu’il forme avec le chanteur Simon Mény, il a retrouvé le langage de la production. En solo. Car on l’avait déjà vu sortir du bois au début de l’année, en composant un nouveau tandem.
Ce coup-ci avec Nicolas Godin (Air) en tant que co-réalisateur du très bel album Concrete and Glass. Rousseau signe aujourd’hui six titres subtils, éloignés par le format de la house-chanson qui a fait le succès des inusables “Recto-Verso”, “Garde le pour toi” ou “De Semaine en Semaine”.
Même si l’esprit de ses compositions reste toujours habité par un imparable climat mélancolique et mélodique. Mais on se rassure le dancefloor n’est jamais très loin, comme sur l’irrésistible “Ivresse” puissant et rêveur à la fois. On s’est donc posé lundi dernier avec le producteur de trente-ans par liaison Skype interposée pour qu’il nous raconte son parcours depuis la fin de Paradis jusqu’à ce très réussi Musique Sans Paroles.
Dans quel état d’esprit étais-tu à la fin de la tournée de Paradis ?
Vers le milieu de la tournée, d’un commun accord, Simon et moi avions pris la décision qu’on ferait une pause à durée indéterminée. On ne s’entendait plus bien. Pourtant, on s’aime beaucoup, mais c’est une relation difficile. Nous sommes deux personnes avec des tempéraments et des points de vue très différents. Mais nous avions l’avantage d’être très complémentaires lorsque nous étions synchros. Nos désaccords nous donnaient la force d’être très puissants artistiquement. Donc la conclusion de la tournée, je l’ai vécu à la fois comme la fin d’un cycle, et le début d’un autre.
Vous étiez amis avec Simon, avant Paradis ?
Pas du tout. Je suis arrivé à Paris en 2010 pour faire des études et c’est à ce moment-là que je l’ai rencontré. On a tout de suite fait de la musique ensemble. C’est allé très vite au début. La démo que l’on a envoyée à Tim Sweeney (fondateur du label et show radio Beats In Space qui a sorti les premiers maxis de Paradis, ndr) à peine quelques mois après notre rencontre, c’était notre premier morceau. Cette rencontre avec Simon a été très forte pour moi qui n’avais pas grandi à Paris. J’ai été heureux de le connaître quand je suis arrivé. Il connaissait des gens, on allait dans les bons bars, les bons concerts, il y a vraiment eu un coup de foudre amical. Mais l’amitié c’est quelque chose qui s’établit sur le temps long et nos relations se sont dégradées au fur et à mesure. Je ne peux pas mettre tout sur le compte de nos rapports amicaux, j’ai aussi des travers dans ma manière d’interagir avec les gens. Je ne sais jamais où me positionner : m’attacher complètement ou me tenir à distance ? Cela a longtemps été la même chose pour l’artistique : quand je produisais de la musique avec quelqu’un, j’avais envie d’être seul et quand j’étais seul, j’avais envie de travailler avec quelqu’un. J’ai enfin compris comment procéder. C’est d’ailleurs l’objet de ce nouveau disque.
Quels sont tes rapports avec Simon aujourd’hui ?
Nos échanges sont assez cordiaux. J’ai l’impression que c’est notre confrontation à la réalité, c’est-à-dire les tournées, la promo qui a été difficile pour l’équilibre fragile qu’on avait réussi à construire. Je le regrette parce que Paradis était, au moins pour nous, quelque chose de fort et qui avait le mérite d’être assez unique. Mais je ne me considère pas comme un ex-Paradis, mais plutôt comme quelqu’un qui est membre d’un groupe qui ne fait pas grand-chose en ce moment.
Quand est-ce que tu as commencé à travailler sur tes projets perso ?
Jusqu’en 2017, j’étais complètement dédié à Paradis. On a démarré en 2010, on a sorti les maxis en 2011, 2012. L’album est paru en 2016. On a mis deux ans et demi à le faire. Les gens de l’économie de la musique trouvaient qu’on prenait un temps fou ! Mais tout s’est encore accéléré depuis. Pourtant les artistes que j’aime le plus ce sont ceux qui ont un désintérêt total pour le rythme du monde. C’est vers la fin de la tournée en 2017 que j’ai commencé à travailler sur d’autres choses, comme démarrer des sessions avec Nicolas Godin.
« J’avais besoin d’exprimer mes différences. »
Comment les propositions sont venues à toi ?
Je n’avais pas une idée très claire de ce que je voulais faire. Des frustrations sont nées pendant Paradis. C’est un peu ma faiblesse. J’ai toujours un réflexe “indépendantiste”. J’avais du mal à ne parler qu’en “on”. Je trouvais que cela pouvait être castrateur et réducteur. J’avais besoin d’exprimer mes différences. Après cette période, j’ai eu la chance d’avoir des amis qui m’ont fait bosser. Comme Xavier Veilhan avec qui je collabore régulièrement. J’ai travaillé aussi avec le styliste Issey Miyake, le designer Pierre Marie Agin, ou la troupe de danse (La) Horde, et bien sûr Nicolas. Tous ces gens ont bien voulu m’accueillir avec ma nouvelle dynamique qui était : je me mets au service des autres et je gagne ma vie comme cela. Cela m’allait très bien. Je ne tenais pas à être à nouveau en avant. J’ai été marqué par la période de représentation avec Paradis où je ne me sentais pas bien. Je n’aimais pas regarder des photos de moi. Je n’avais pas envie de relancer la machine.
Est-ce qu’il y a eu un déclic ?
Il a fallu du temps. À la fin de l’album de Nicolas, j’ai eu trois mois d’une sorte de “baby blues” où je n’arrivais à rien faire. C’est grâce à lui que j’ai remis le pied à l’étrier, il a construit un nouveau studio au sein duquel j’ai un petit espace. C’est un cadre de travail fantastique. J’habite à la frontière entre le XIeme et le XXeme arrondissement de Paris et le studio est situé vers Montparnasse. Tous les jours, je m’y rends et j’en reviens à pied. Cela me fait deux heures de marche par jour pendant lesquelles, je passe mes coups de téléphone. Donc lorsque je suis au studio, je suis concentré sur mes projets perso ou sur des commandes. Tout est imbriqué, je fais tout en même temps. Si une musique ne va pas pour la mode par exemple, je peux en utiliser une partie sur un de mes tracks et inversement.
Tu travailles en permanence ?
J’aime bien ça. Je dois éprouver une sorte de culpabilité d’avoir la chance de faire ce métier donc j’ai une peur énorme que ça s’arrête. Et puis j’adore m’acheter du beau matériel. Pour ça, j’ai besoin de bien gagner ma vie. Tout en conservant un point d’équilibre. Ce qui me permet d’accepter des commandes que je trouve d’abord pertinentes, et qui me rapportent de l’argent pour sortir des disques qui ne sont pas commerciaux. C’est comme ça que je peux réaliser Musique Sans Paroles. C’est la première fois de ma vie, à 30 ans, où j’ai fait quelque chose tout seul et où j’ai été ravi de l’envoyer aux gens. C’est une série de mini albums, des sortes de petites expositions, sans vouloir être trop pompeux. Le second sortira fin juin et le dernier à l’automne.
Pourquoi ce titre Musique Sans Paroles ?
C’est une manière d’annoncer la couleur à ceux qui m’ont suivi depuis Paradis : “Ne soyez pas déçu par ce geste.” Je ne veux pas que ce projet puisse être comparable. Et « Musique Sans Paroles » c’est également l’état dans lequel je me suis retrouvé pendant cette pause sans Simon. Le fait d’imposer ainsi le mot “musique”, c’était aussi se débarrasser des possibles analyses de style autour de ce que je fais. Au quotidien, je manipule des registres qui peuvent être très différents, une partie de moi s’intéresse à la pop music et une autre à l’expérimentation sonore. Ce titre c’est ce qui résume le mieux ce que je fais.
« Mon style fétiche, c’est la synth pop des années 80 basée sur le même principe (…) des mélodies sublimes déconnectées de la brutalité des rythmiques. »
Sur ces tracks, j’ai quand même l’impression que l’on retrouve tes trois fondamentaux : “mélancolie, mélodie, dancefloor”….
Je vais me permettre beaucoup plus de liberté pour les sorties suivantes, mais je reviens toujours à ce triptyque. Même quand je manipule la musique des autres, je ne peux pas m’en empêcher. Mon style fétiche, c’est la synth pop des années 80 basée sur le même principe : la batterie assez carrée électronique, des séquences et des mélodies. On retrouve aussi une idée assez centrale de Paradis, c’est la notion de contraste. Faire cohabiter ensemble des choses douces et d’autres plus dures pour que cela forme quelque chose de particulier. Le concept poussé à l’extrême c’est Aphex Twin : du noise et des batteries avec des rythmiques insupportables et en même temps des pads avec des mélodies toutes douces. Kraftwerk, Underground Resistance, Basic Channel, Dopplereffekt….il y a toujours ce même principe : des mélodies sublimes, déconnectées de la brutalité des rythmiques.
Qu’est-ce qui a nourri ton inspiration ?
Un ensemble de choses. D’abord cela vient d’un côté que je ne contrôle pas : la manière dont je vis le monde. Ma deuxième inspiration est issue vraiment des machines et des sons. Je suis bouleversé par la technique, l’innovation, la science derrière cela. Je suis autant intéressé par de vieux synthés des années 70 que par les mises à jour de Max For Live d’Ableton. Je suis ému à la pensée que des gens aient le réflexe de créer ce genre d’outils. Je suis également très attaché à l’esthétisme des machines. On peut juger cela très superficiel, mais par exemple il y a certains synthés que je trouve excellents pour leur son, mais je n’arrive pas à m’y attacher parce que je ne les trouve pas spécialement beaux. Si je n’aime pas les potards d’une machine, je vais les changer. Je fais aussi très attention à la couleur des câbles que j’achète. Et je peux mettre des années avant d’acquérir une machine dont j’ai pourtant vraiment besoin parce que je n’en ai pas trouvé une de belle. Je suis légèrement fétichiste. (rires)
Quand le monde ira mieux est ce que tu envisages des live ?
J’ai envie d’un format qui est un peu sous exploité c’est-à-dire la cohabitation en live entre mes morceaux et ceux d’autres producteurs. Je crois que ce serait la proposition la plus honnête, car la musique électronique est tellement une affaire de partage et de transmission.