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©Caroline Bonarde
19 mars 2020

Scratch Massive : 20 ans et toujours « inséparables »

par Patrice BARDOT

Le duo Scratch Massive, composé de Maud Geffray et Sébastien Chenut, fête ses 20 ans d’existence en sortant un live effervescent, cri du public compris. L’occasion de revenir sur la trajectoire d’un groupe original, entre techno et new wave, dont la popularité n’a jamais cessé de croître.

Si l’on compte bien, ce n’est pas vingt ans, mais vingt et un ans d’existence que peut afficher Scratch Massive au compteur, KABA Freestyle EP, son tout premier EP étant sorti dès 1999 sur le label Euterpe Music. Mais qu’importe. Au cours de ces deux décennies qui ont suivi, Sébastien Chenut, l’Angevin d’origine, et Maud Geffray, née à Saint-Nazaire, ont tracé une discographie singulière, qui prend ses racines sur le dancefloor du mythique Pulp où leur résidence Naked, un jeudi par mois, était l’un des moments les plus moites de “la boîte pour filles où les garçons aimaient bien venir aussi”. Leur musique électronique, hantée et puissante, aussi bien taillée pour le dancefloor que pour l’écoute domestique, n’appartient qu’à eux. Aujourd’hui, le duo sous influence new wave est éclaté entre Paris, où a été enregistré leur dernier album live à La Gaîté Lyrique, et Los Angeles où Sébastien, marié à la réalisatrice Zoé Cassavetes, réside depuis juillet 2015. On s’est retrouvés tous ensemble via Skype depuis les studios de Tsugi Radio pour retracer une histoire pas vraiment comme toutes les autres.

Vous souvenez-vous du jour où vous avez lancé Scratch Massive ?

Maud Geffray : Pas précisément, c’est venu petit à petit. Seb mixait depuis quelque temps dans les raves. On a acheté des machines quand on a déménagé à Paris, et je me rappelle qu’à un moment donné, on s’est dit qu’il fallait que l’on trouve un nom. On habitait à Paris rue Montorgueil où on avait comme voisines des Finlandaises. Chez elles, on est tombés sur un magazine anglais où on a vu un article avec la photo d’un mec dans une fête, en sueur, complètement à l’ouest. Comme légende, il y avait écrit “what a scratch massive crowd”. On a trouvé ça génial, mais bizarrement, depuis, je n’ai plus jamais revu cette expression.

Dès cette époque, vous pensiez en faire un métier ?

Maud : Non, c’était juste un hobby en parallèle de nos études à la fac.

Sébastien Chenut : Dans ces années-là, la musique techno n’était pas professionnelle. Des gens allaient en rave et puis, en rentrant chez eux, ils avaient juste envie de produire des morceaux. Nous, nous achetions beaucoup de vinyles, et logiquement la première machine que l’on a eue a été un sampler. Et puis le père de Maud possède une collection incroyable de disques de jazz, de musique contemporaine, de library music, toute une matière formidable à sampler. C’est comme cela que l’on a commencé. On allait en rave, puis les lundis et les mardis, on tripotait les machines, mais il n’y avait aucune volonté professionnelle. L’objectif était juste d’arriver à produire de la musique !

© Caroline Bonarde

Vous avez un souvenir de votre première rencontre ?

Maud : L’été 1994 dans un club, le Churchill à la Baule. C’était organisé par un mec génial qui programmait des soirées techno le lundi soir. Le public venait de partout, notamment de toute la Bretagne, et c’était complètement dingue. Moi je découvrais cette musique. Seb jouait justement dans cette soirée et je suis allé le voir en lui demandant : “Tu peux remettre le morceau avec la fille qui chante ?

Sébastien (en riant) : Oui, c’était DJ Joe T. Vannelli featuring Csilla, “Play With The Voice”, remixé par Paul Van Dyk ! C’était à fond la trance à l’époque.

Vous aviez les mêmes racines musicales ?

Sébastien : Pas du tout. Maud vient d’une famille qui a une grosse culture musicale. Son père, dont je viens de parler, a été un déclic pour moi. C’est cet alliage qui donne des choses intéressantes. De mon côté, mes parents étaient plutôt du genre Top 50, Compagnie Créole. Mais je savais que ce que j’aimais dans ces trucs nazes comme Partenaire Particulier, ce n’était pas les chansons, mais l’esthétique sonore, super 80s avec des boîtes à rythmes, des synthétiseurs, des arpèges dans tous les sens.

Maud : Tu parles de mes parents, mais je n’avais pas forcément leurs goûts. Tu dis ça parce que vous êtes potes ! (rires) Moi j’aimais aussi des choses commerciales. Notre différence ne vient pas de là. C’était juste que toi tu étais plus house et moi plus trancecore. Tu jouais des choses garage à une époque où moi je découvrais la techno.

Comment définiriez-vous les liens qui vous unissent ?

Sébastien : Inséparables ?

Maud : On a des rapports fraternels. On peut s’engueuler, mais il y a quelque chose entre nous qui reste toujours là. Mais le départ de Seb à Los Angeles a été dur pour moi. J’ai eu l’impression qu’il me laissait tomber comme une vieille chaussette.

Sébastien : C’est bien de le reconnaître. (rires) C’est vrai que c’était bizarre, mais cela a certainement brisé une routine. J’en avais marre de faire de la musique toujours au même endroit. À un moment donné, j’avais besoin de changer d’atmosphère pour produire. À Paris, on bossait toujours dans une cave. Aujourd’hui Maud a un studio chez elle avec une super vue, et moi c’est pareil ici en Californie. Ça change le rapport à la composition. Il faut parfois des stimulations extérieures, ce que procure rarement une cave. (rires)

« Si on avait dû se séparer, cela aurait eu lieu peu de temps après nos débuts. Aujourd’hui, je ne vois pas comment cela serait possible. »

Comment travaillez-vous à distance ?

Sébastien : Quand j’habitais Paris, nous étions sans arrêt ensemble et pas seulement pour créer. Aujourd’hui, on se voit sur des périodes plus courtes, essentiellement consacrées à la production. On prépare beaucoup de choses en amont parce que nous savons que nous avons peu de temps pour concrétiser tout ça. Cela peut faire peur, mais c’est un super boost au final.

Maud : J’ai conçu chez moi un studio qui correspond plus à mes besoins, avec essentiellement des plug-ins. Un système qui me convient très bien. À Los Angeles, on a construit un très beau studio où nous avons mis toutes les machines analogiques, c’est vraiment là-bas que l’on travaille le son Scratch Massive.

Ce son Scratch Massive, c’est finalement autant de la techno que de la new wave…

Maud : Oui, tous les deux on se rejoint beaucoup sur toutes ces sonorités new wave. Si on devait définir notre son, je dirais : basses rampantes, mélodies dreamy. (rires)

Sébastien : Dans notre son, il y a beaucoup de choses des années 80, parce que tous les deux on écoute beaucoup d’albums de cette période. C’est un style qu’on adore. Les arpèges et les ambiances sonores que l’on retrouve chez nous viennent de là, c’est clair. Mais je ne crois pas non plus que l’on peut nous limiter à cela : notre musique, ce n’est pas de l’electroclash.

© Paul-Henri Pesquet

Vous avez aussi chacun une grosse activité en solo, en plus de Scratch Massive. Comment arrivez-vous à trouver un équilibre ?

Maud : C’est vrai qu’en ce moment par exemple Seb travaille sur la B.O. d’un documentaire Netflix et moi je suis sur mes tracks. Donc on sait que pendant quelque mois, chacun va avancer sur ses projets perso, puis on fera une sorte de résidence en commun à Los Angeles. Ces escapades en solo nourrissent Scratch Massive.

Sébastien : Et puis, on travaille toujours sur des bribes de morceaux. Donc quand on se retrouve, nous ne sommes pas devant une page blanche. On ne passe pas une semaine à chercher dans le vide.

« À Los Angeles, on a construit un très beau studio où nous avons mis toutes les machines analogiques, c’est vraiment là-bas que l’on travaille le son Scratch Massive. »

Pourquoi sortir un live pour marquer vos vingt ans ?

Sébastien : En réalité, ce n’était pas vraiment pour marquer les 20 ans. Comme on fait des concerts dans la foulée de la sortie de nos albums, on a l’habitude de sortir des live. Ce n’est pas une pâle copie des versions studio. Il y a un gros travail de fusion, de mash-up.

Maud : Quand on prépare un album, on ne réfléchit jamais à ce que cela va donner en live. Généralement, on produit des tracks assez lents, pas formatés pour être efficaces. Donc on se demande toujours ce que l’on va pouvoir faire avec eux. On remanie alors les titres comme des remixes plus taillés pour la scène.

Le live est un domaine dans lequel vous avez été tout de suite à l’aise ?

Maud : À nos débuts, nous partagions un studio avec d’autres personnes. C’était la fête tous les soirs, et on leur proposait : “Et si tu venais jouer avec nous ?” Parce que l’on trouvait que sur scène, la musique électronique était un peu chiante à regarder, il fallait que l’on compense avec des invités. Mais ça devenait un peu délirant et un jour, il y a eu un retour de bâton où on s’est dit qu’on ne pouvait pas inviter tous nos potes sur scène. Il fallait qu’on prenne le risque d’être juste tous les deux. Aujourd’hui, on s’est complètement recentrés sur Seb et moi, on fait les voix s’il y en a, ou on travaille avec des bandes.

Sébastien : Il a fallu qu’on trouve la bonne formule, mais on adore le live maintenant.

© Jakob Khrist

On a l’impression que vous êtes plus populaires aujourd’hui qu’il y a dix ans, comment l’expliquez-vous ?

Maud : Oui c’est très étrange. J’ai l’impression par exemple que notre album Nuit de rêve (2011) est devenu culte alors qu’au moment de sa sortie, je n’avais pas ce sentiment. Mais c’est peut-être parce qu’il y a eu ensuite ce revival 80’s dans les séries, comme Stranger Things par exemple. Quand on a ressorti le disque en vinyle, c’est parti comme des petits pains. Grâce aux réseaux sociaux, les gens avaient fait circuler cet album un peu partout, jusqu’au Mexique par exemple.

Sébastien : Entre cet album et Garden Of Love (2018), il s’est passé huit ans et beaucoup de gens nous demandaient quand nous allions refaire des live. Donc quand nous sommes revenus, il y avait beaucoup d’attente.

On a l’impression aussi que vous avez toujours été à part sur la scène électronique…

Maud : On n’est pas des mecs Boiler Room ! (rires) On est plus difficile à catégoriser, c’est peut-être ce qui fait notre force. On compose des choses assez pop, mais avec une sonorité électronique, on a notre patte.

Sébastien (en train de rouler un produit non identifié de l’autre côté de l’écran, mais légal en Californie, ndr) : Je suis d’accord. (rires)

© Jakob Khrist

Depuis 2016, vous avez votre label, bORDEL, c’est compliqué à gérer ?

Sébastien : C’est plus simple qu’avant. On a réduit beaucoup de choses qui étaient de l’ordre du très compliqué comme les stocks, les pressages. Avec un distributeur digital, une ou deux personnes qui s’occupent de la promo, sortir un disque n’est plus aussi imposant qu’avant.

Mais sans Scratch Massive, bORDEL pourrait-il exister ?

Sébastien : Sans doute pas, mais c’est le cas pour tous les labels indépendants, non ? Sans Jennifer Cardini, je ne pense pas que Correspondant pourrait exister.

Maud : C’est différent Seb, je ne suis pas d’accord. Jennifer n’est pas la vache à lait du label. Elle a développé une identité sonore particulière avec des artistes qui ont tous à peu près le même son. Nous, on a des artistes très différents comme Mathilde Fernandez (interviewée dans le Tsugi 129, ndr) ou Lëster, mais ce qui vend, et fait rentrer l’argent, c’est Scratch Massive. Car on a beaucoup de synchros à l’image, des morceaux pris dans des films, dans des pubs. C’est ce qui nous permet d’investir dans le label.

Une artiste comme Mathilde Fernandez justement, vous aimeriez la développer ?

Maud : On a écouté son maxi “Live à Las Vegas” (paru en 2015, ndr), c’était super, mais ça ne sonnait pas très bien et Seb l’a retravaillé. C’est une sortie coup de cœur. Mais ce genre d’artistes demande beaucoup de temps et d’énergie. Est-ce le travail de bORDEL ? Je ne sais pas. Seb est plus présent que moi sur le label.

Sébastien : Je crois que l’on construit une famille d’artistes peu connus que l’on essaie de développer jusqu’à un certain point. Car j’imagine bien que certains iront plus tard sur une major pour avoir plus de soutien. Les trajectoires dépendent aussi souvent d’une synchro dans une pub. Ça peut changer la dynamique d’un label. Mais nous, on ne calcule pas ça au départ.

Quels souvenirs gardez-vous de votre résidence Naked au Pulp ?

Maud : Flous ! (rires) C’est là où j’ai appris et commencé à mixer. C’était très festif. C’était une époque assez dorée, le renouveau d’un son qui nous parlait énormément après la french touch. Ça a été le début de tout pour mal de gens, comme Ivan Smagghe.

Sébastien : C’était incroyable. Une grande famille. Michèle (Cassaro, l’âme du Pulp, ndr) a été la témoin de mon mariage. D’ailleurs, c’était un peu comme si chacune de nos résidences était une fête de mariage. Il y avait des liens musicaux et amicaux très fort.

Vous comprenez la nostalgie qu’il peut y avoir autour de ce club ?

Maud : Oui, aujourd’hui tout s’est tellement professionnalisé, avec ce truc tellement fort avec l’image où tout est filmé. Il y avait une liberté qui n’existe plus beaucoup. Sans faire les gros nostalgiques, on pouvait faire beaucoup plus de bêtises.

Sébastien : C’était décadent, mais responsable. C’est ce qui faisait l’esprit du Pulp. Ne pas avoir un staff de sécu nous poussait à être tous responsabilisés. On pouvait faire des conneries, mais pas trop non plus, parce que sinon on savait qu’on ne pourrait plus jamais les refaire. Finalement, il ne s’est jamais rien passé de grave dans cette boîte, avec une personne pour la sécu et 600 personnes dedans.

© Jakob Khrist

Y a-t-il eu au cours de ces 20 ans de gros moments de doutes ?

Maud : Quand Seb est parti en Californie. On travaillait ensemble au quotidien. Il fallait retrouver mes marques, me refaire un studio. Pendant plusieurs jours, je me suis levée en ne sachant pas ce que j’allais faire de mon temps. Je me suis dit qu’il allait falloir penser à un plan B. J’ai eu un déclic grâce à Arthur Peschaud (fondateur de Pan European Recording, ndr). On faisait pas mal de fêtes ensemble chez moi. Et il me disait sans arrêt qu’il aimerait que je fasse un maxi ou un remix. Il m’a complètement remis le pied à l’étrier. Ça m’a redonné envie. Tout s’est enchaîné à nouveau. Mais au départ, je ne sentais pas le truc, c’était une vraie remise en question.

Sébastien : Ce départ était risqué pour Scratch Massive, mais le résultat final est positif. C’est bien d’avoir eu un genre de cassure pour redonner du dynamisme à la création. Ça a permis à chacun de nous de progresser de manière plus rapide que si nous étions restés tous les deux dans une espèce de zone de confort avec un rôle préétabli.

Maud : Je me suis rendu compte un peu tard que j’avais laissé Seb prendre les rênes techniques, d’autant plus qu’il a un petit côté control freak. C’était un peu compliqué de trouver ma place. Heureusement, après son départ, des amis m’ont aidée dans ce domaine et je suis devenue autonome.

Qu’est-ce qui pourrait vous séparer ?

Sébastien : Un virus ? (rires) (l’interview a été réalisée le 12 mars, ndr) Si on avait dû se séparer, cela aurait eu lieu peu de temps après nos débuts. Aujourd’hui, je ne vois pas comment cela serait possible.

Maud : Ça risque d’être reparti pour vingt ans !

Le dernier disque de Scratch Massive, Live In Paris (bORDEL), est disponible sur toutes les plateformes

© Jakob Khrist

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