Le prochain coup de… Brice Coudert, DA de Dehors Brut
Dans cette nouvelle série de tribunes, nous voulons donner la parole à ceux qui contribuent à façonner l’avenir de la scène musicale. Et pour le ton, ce sera celui qui a fait leur succès : le leur. On commence avec Brice Coudert, directeur artistique/programmateur de Dehors Brut.
Il faut se dire une chose : la vie nocturne parisienne, la scène électronique française et ses différentes modes ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui sans Concrete. C’est établi, il y a eu un avant et un après 2011, l’année qui a accueilli les premiers clubbeurs sur la célèbre barge du quai de la Rapée et peut-être l’année zéro du fracassant retour de la techno en France. Brice Coudert, directeur artistique/programmateur de Surprize (feu Concrete, Weather Festival, Dehors Brut), y est pour beaucoup.
En neuf ans, ses choix de programmation ont été scrupuleusement observés, souvent imités, et tant mieux car c’est précisément cela qui a permis la cristallisation d’une scène électronique française renouvelée et fière face aux bons élèves allemands et anglais. Paris redevenait un lieu de danse mondial. Concrete participa également à cette tendance – toujours puissante de nos jours – des lieux atypiques pour y pratiquer une fête libre et décomplexée. Et l’histoire n’est pas encore terminée. Pour toutes ces raisons et celles à venir, on a donc cherché à savoir ce que beaucoup devraient se demander lorsqu’il s’agit du futur de la musique électronique : mais qu’en pense Brice Coudert ? Qu’écoute-t-il, qu’est-ce qui l’a marqué dernièrement et quel sera son prochain coup ?
Alors Brice Coudert, t’es sur quoi en ce moment ?
Eva808 et le retour du dubstep
Maintenant qu’on a fait le tour de tous les revivals des sonorités 80’s/90’s, j’attends le couteau entre les dents qu’on passe aux années 2000 et qu’on déterre le dubstep du bourbier où il est enterré. Après s’être fait gober par la pop au début des années 2010 et s’être fait recracher dans l’EDM sous forme de musique de fête foraine bruyante et destinée principalement au 15-18 ans en demande de sensations fortes, le terme était un peu damné. Le style a pourtant continué de mijoter dans l’ombre pendant toutes ces années et maintenant qu’une bonne partie de ces mêmes kids qui headbangaient sur des « wompwompwompwomp » dans les festivals d’EDM sont passés à la techno indus, on va peut-être pouvoir reprendre le genre là où on l’avait laissé, fin des années 2000. Dans les artistes dubstep qui risquent de casser le game à tout moment, je citerai la Suédoise Eva808, qui sort banger sur banger depuis quelque temps et démontre que le genre est loin d’être à court de balles. L’EP vient de sortir sur l’excellent label Innamind et les copies vinyles se sont arrachées en une poignée d’heures. Rythme de croisière 70/140 bpm, vocals pleins de soul, petit coté pop/easy et vibe parfaite pour marcher lentement sous la pluie, capuche sur la tête, dans les rues grises de Londres.
Gabber Modus Operandi et le gabber du futur
J’étais posté tranquille sur la terrasse au-dessus du DJ booth du Panorama Bar en train de siroter un Club-Mate et écouter Henry Wu de Kamaal Williams en DJ set, quand Cyrus (de l’excellent label français Collapsing Market – que j’avais croisé 30 minutes plus tôt sur le dancefloor – m’envoie un message sur Instagram : « Descends ! C’est la folie furieuse ! » Je suis donc descendu au Berghain, salle full jusqu’au grand escalier principal, et là, je me suis pris en pleine gueule un live du duo indonésien Gabber Modus Operandi en collaboration avec la troupe de musique traditionnelle Wahono x Nakibembe Xylophone (artistes habitués du festival Nyege Nyege en Ouganda) qui se partageaient une grande scène installée pour l’occasion devant le DJ booth du temple de la techno pour cet événement proposé par le CTM Festival. Grands beats gabber sophistiqués, mélodies hypnotiques au xylophone, chants africains… et le leader de Gabber Modus Operandi au micro, criant, dansant, un laser dans chaque main, avec un style tout droit sorti de Mad Max ! Le turfu comme on l’imagine aujourd’hui : apocalyptique. Pendant qu’en Occident on tourne en rond en recyclant sans cesse la house, la techno et ses genres associés à travers des revival et une fascination pour le vintage, de nombreux artistes africains, asiatiques et sud-américains, réinventent la musique électronique sur de nouvelles bases avec une totale liberté, puisant aussi bien dans l’underground, la pop, que leurs musiques traditionnelles. Si vous cherchez du neuf, c’est dans ces coins là qu’il faut aller digger. Voici un morceau bien tordu des Indonésiens, sorti sur le révolutionnaire label Shanghaïen SVBKVLT, et posté sur la très conseillée chaîne YouTube du jeune artiste parisien Aeon Shaker du crew Illegal Tapes.
Roho et la nouvelle scène qui désosse la dnb
Ce bon vieux Robert Hood racontait dans une interview qu’il avait « crée » la techno minimale dans les années 90 en réponse aux excès de la culture rave et à l’explosion du son gabber. Il voulait revenir à une forme plus épurée de la techno, moins spectaculaire, basée d’avantage sur la soul et le groove, et se rapprocher ainsi des origines de cette musique. Vu les dérives de la « minimal » quelques années plus tard, je ne militerai pas pour un retour du genre tel qu’on l’a connu. Par contre, je suis assez chaud pour parier sur un come back rapide d’un son plus épuré, plus mental et un peu plus enraciné dans la culture noire. Culture qu’on a un peu tendance à oublier ces jours-ci, au profit d’une mode dark/punk/colliers de chien un peu préfabriquée et qui en fait ressembler certains à des fans de Tokio Hotel. Puisant davantage dans la black culture anglaise que dans celle de Detroit ou Chicago, la drum and bass est un genre qui a su se réinventer dans les années 2010 grâce à des artistes comme Dbridge (non mais ce morceau « Dead Peak« …) ou des labels comme Samurai Music, qui ont justement su épurer le genre en le rendant beaucoup plus minimaliste, mental et futuriste. Je ne sais pas vraiment qui est Roho, mais il vient juste de sortir un EP vraiment sérieux sur Weaponry, le label de l’artiste Homemade Weapons, figure clé de cette nouvelle scène qui désosse la dnb et la fait sonner un peu plus 9h que 3h du matin.