L’album du mois : Arandel
Chronique de InBach de Arandel par Estelle Morphin, publiée dans le Tsugi 129 (février 2020).
Il n’est pas chose aisée de s’attaquer à un monument de la musique occidentale. Qui plus est à un compositeur dont le génie a traversé le temps ! Alors quand le producteur et multi-instrumentiste Arandel annonce qu’il va réinterpréter Jean-Sébastien Bach, l’universel “père de la musique”, dans un album de quatorze pistes, nous voici pétris d’une curiosité fébrile. Comment se faire côtoyer harmonieusement les XVIIIe et XXIe siècles, et rendre plus accessible une musique savante ? Dans un coin de notre esprit, on garde le souvenir rassurant de Switched-On Bach, l’album de 1968 de Wendy Carlos aux trois Grammy Awards et 1 million d’exemplaires vendus, qui reprenait des morceaux emblématiques de Bach au synthétiseur modulaire Moog. C’est d’ailleurs cet album qu’Arandel avait interprété à la Philharmonie de Paris lors du Bach Marathon de 2018.
Dans InBach cependant, la réinterprétation adhère à la vision d’Arandel, dont on connaît depuis la sortie d’In D en 2010 son amour des tonalités, de Terry Riley, de l’album-concept, et d’un instrumentarium varié entre instruments électroniques et acoustiques peu courants. Grand dépoussiérage donc qu’opère Sylvain (Arandel) – enfin sorti de l’anonymat – et que l’on suit piste après piste dans un mélange de techniques et de réorchestration, avec une formidable équipe de chanteurs, chanteuses et instrumentistes, le tout sous l’égide du Musée de la musique qui voulait mettre en valeur sa collection et donner un second souffle à ses instruments historiques, rares.
Évidemment, plusieurs niveaux de lecture sont possibles : on pourra y voir là un bel objet musical à tendance électronique, admirablement pensé et fini, quand les connaisseurs s’amuseront à voir transformées au moyen d’arrangements improbables les œuvres baroques du grand cantor de Leipzig et ses contrepoints. Le choral “Alle Menschen müssen sterben” devient ainsi “All Men Must Die”, morceau inaugural d’ambient ponctué de voix artificielles. Le “Prelude N°2 in C Minor” est sublimé par la précision du chant de Petra Haden en écho au synthétiseur, alors que Ben Shemie (Suuns) transmet l’émotion de “Bodyline”. Emmanuelle Parrenin devient un instant la Anna Magdalena d’Arandel sur “Aux Vaisseaux”, Areski pose sa voix parlée sur “Ces mains-là”, un adagio profond renforcé d’une batterie. La “Passacaglia” et son ostinato (une boucle comme une autre après tout) conservent leur vocation à faire danser, mais plutôt sur un dancefloor, tout comme “Hysope”, d’après La Passion selon saint Matthieu. Tout cela enveloppé par la maîtrise de Sébastien Roué successivement au clavecin, piano carré ou orgue Hammond, Vanessa Wagner & Wilhem Latchoumia au piano à quatre mains, Gaspar Claus au violoncelle ou à la viole de gambe, Thomas Bloch au Cristal Baschet…
Ce qui marque quand même, c’est le soin qu’a eu Arandel de gommer toutes les références à Dieu, indissociable de Bach, pour créer un InBach profane, dans une époque où la musique est une religion en elle-même. Pourtant, “Invention 2” et “Invention 4”, signées Arandel, ont été enregistrées dans des églises ou chapelles, tout comme le dernier morceau, “Conclusio” qui se développe par-dessus un field recording dans la cathédrale de Strasbourg : “Mesdames, Messieurs, chuuuut, merci.” Cadence parfaite, voilà, la messe est dite.
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Artiste : Arandel
Album : InBach
Label : InFiné/Bigwax
Date de sortie : 24/01/2020
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