Surf et techno : la folle histoire derrière le dernier album de Molécule
Vendredi 17 janvier avait lieu au Rex l’avant-première de Sound Of Surfing, documentant l’aventure qu’a été la conception du dernier album du Français Molécule, Nazaré (Ed Banger). Habitué des albums thématiques, l’artiste a choisi le surf comme nouveau terrain d’expérimentations sonores. Nous étions à cette avant-première, et l’été dernier, nous croisions le producteur à Hossegor, en compagnie de Pedro Winter et du réalisateur du film-documentaire, Vincent Kardasik. Ils nous ont raconté les dessous de cet ambitieux projet.
Par Kawika
Photos par Goledzinowski
Un jour, Romain Delahaye, alias Molécule, est resté scotché en tombant sur le ride époustouflant de l’Hawaiien Garrett McNamara à Nazaré, la vague géante au Portugal. Le DJ-producteur a été impressionné par ces images surréalistes, par ce surfeur fou défiant ce mur d’eau qui peut atteindre jusqu’à plus de trente mètres, par cette furie. « Ces images m’ont profondément marqué », avoue Molécule. « Je n’entendais pas le son mais je me suis dit que c’était un événement sonore. »
De là est parti son nouveau projet artistique. Pendant deux ans, Molécule a souvent repensé aux vagues de Nazaré, et à ses surfeurs intrépides. Après avoir affronté pour ses précédents disques la vie sur un chalutier (60°43′ Nord) et le Groenland (-22.7°C), il s’est dit qu’il allait s’emparer de Nazaré, qu’il irait capter des sons sur ce spot apocalyptique. Il a tenu parole. Un intense EP cinq titres est sorti vendredi en même temps qu’un documentaire marquant de 45 minutes, Sound of Surfing. « Je cherche à chaque fois des environnements où la nature est dominante, où je peux l’entendre, l’écouter, l’enregistrer et vivre des émotions fortes. » À Nazaré, il n’a pas été déçu.
« Ces images m’ont profondément marqué. »
La captation des sons et les images du documentaire ont été mis en boîte tant bien que mal pendant seulement deux jours, en février 2019. Pour le son, Molécule s’est pointé sur le désormais mythique spot Praia do Norte – également symbolisé par son petit phare rouge accroché en haut de la falaise – avec des micros qu’il a installés sur trois surfeurs expérimentés qui connaissent bien cette vague : le Français frappadingue Benjamin Sanchis, lequel a dévalé une vague de 33 mètres à Nazaré en décembre 2014, le doux et toujours souriant Marocain Othmane Choufani, ainsi que le magnétique Portugais et local du spot Alex Bothelo. Molécule a aussi bravé le danger en passant lui-même – pas toujours très sereinement – les deux jours à naviguer entre les vagues monstrueuses, sur un jet-ski piloté d’une main de maître par le waterman Yann Benetrix. Equipé d’un gros micro, notre DJ spécialiste des disques aussi expérimentaux que conceptuels a scotché des capteurs sur des bouées ballotées dans la tempête. « On a utilisé différents types de procédés [captation de son en mode binaural, ndlr] et de micros, et on a tenté des choses, certaines ont marché, d’autres pas. Mais on a perdu beaucoup de matos. »
« On a perdu beaucoup de matos. »
Pour la partie production, Molécule a été épaulé par Pedro Winter, l’incontournable boss du label Ed Banger Records. « J’avoue que j’ai toujours été excité par ses projets d’expérimentations sonores. Pour Nazaré, il est venu me présenter le projet. Je n’ai pas réfléchi très longtemps. J’ai eu envie de l’accompagner, de participer, parce que c’est une culture qui me passionne. » Grand fan de skate depuis toujours, la figure tutélaire de l’électronique française est un surfeur plus modeste (il en fait une fois par an), mais il se dit « fasciné par l’océan et transcendé par les surfeurs et notamment ceux de grosses vagues ». C’est donc tout naturellement qu’il s’est investi dans le projet fou de Molécule. « Ce qui m’a plu et convaincu, c’est l’idée de combiner ça à la musique électronique, avec ce côté expérimental et un peu aventurier de sa part. Moi, je n’aurais pas le courage de faire ce qu’il a fait, que ce soit le chalutier, le Groenland et Nazaré. »
Réalisé par l’un des plus grands spécialistes du documentaire de surf, Vincent Kardasik, Sound of Surfing a été projeté vendredi soir au Grand Rex de Paris. Un triomphe alors que rien n’était gagné d’avance. « Au départ, sur le papier, tout le monde était super emballé, mais quand on a commencé à mettre les coûts sur la table, la logistique, les risques… plus grand monde n’était partant », nous a confié Kardasik, qui a finalement produit ce documentaire événement. « J’ai foncé dans le projet, et je voulais voir si cette alchimie allait prendre. »
Le film de 45 minutes ne s’attarde pas sur les deux jours de gros à Nazaré, mais plutôt sur « comment un tel projet a pu arriver à son terme ». « Ce qui m’a intéressé, c’était de suivre sa démarche. C’était ma priorité », explique Kardasik. « Je voulais voir s’il pouvait y arriver, et voir si cela valait le coup d’investir autant d’argent dans ce projet. Il y a un choc des cultures, il fallait donc arriver à mélanger deux mondes – celui des musiques électroniques, qui est un peu à l’opposé du monde du surf, et ce monde de surf de grosses vagues – et voir comment on pouvait trouver une similitude là-dedans. On raconte une aventure humaine, la relation qui se crée entre les surfeurs et Romain. »
« Nazaré, quand tu ne connais pas, c’est traumatisant. »
Avec une esthétique toujours aussi remarquable, des images à couper le souffle et un humour décapant malgré la tension très palpable, le docu reste focalisé sur le travail de Molécule. Ce dernier déboule dans un monde qu’il ne connaît pas, avec ses préjugés ; il doit établir une connexion avec les surfeurs et leur entourage, se confronter à la folie de cette vague de Nazaré et à la transe des sessions… « Heureusement, Romain est un mec intelligent », avoue Kardasik. « Il a une très grosse faculté d’adaptation, comme rarement j’ai vu. C’est d’autant plus important que, Nazaré, quand tu ne connais pas, c’est traumatisant. »
Trois mois plus tard, et après avoir fait le tri dans tous les sons récupérés, Molécule s’est posé à Guéthary, sur la côte basque, pour créer son EP techno, saupoudré de sons d’ambiance de cet océan déchaîné et de dialogues des surfeurs sur le pied de guerre. Le documentaire, lui, est un « bel ovni », aux dires de Kardasik, ravi. « Les gens vont assister à quelque chose de totalement inattendue », confirme le réalisateur. « L’idée est d’avoir envie d’en voir plus, pour que cela nous amène à une suite. » La suite pour Molécule, justement, elle est programmée à Peahi avec le radical mur de Jaws (Maui, Hawaii), à Teahupoo (Tahiti) pour notamment son tube orgasmique, et pourquoi pas Mavericks en Californie, avec sa lèvre tranchante comme du verre. Quel programme, vivement la suite !