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Crédit photo : Frédérique Veysset
25 novembre 2019

Edith Nylon, les années 80 (re)commencent

par Patrice BARDOT

Légende de la scène rock française du tout début des années 80, Edith Nylon a pourtant eu une trajectoire éphémère. Le groupe se reforme le temps d’un concert en janvier à Petit Bain à Paris et ses membres racontent ces temps héroïques où le rock en France en était encore à sa préhistoire.

90 000 exemplaires, un chiffre de ventes qui aujourd’hui ferait grimper aux rideaux n’importe quel groupe de rock français. C’est la performance, pourtant pas exceptionnelle pour l’époque, réussie par les Parisiens d’Edith Nylon à l’occasion de la sortie en 1979 de leur premier album homonyme. Ces gamins alors âgés d’à peine 18 ans, fans de punk-rock, étaient emmenés par Mylène Khaski, chanteuse à la coiffure de feu inspirée par celle de la fiancée de Frankenstein, dont les paroles “sociétales” et visionnaires évoquent aussi bien les manipulations génétiques, le féminisme que le transhumanisme. Sa scansion tranchante, inspirée par les reines britanniques Siouxsie Sioux, Ari Up (The Slits) ou Poly Styrene (X Ray Spex), participe tout autant de l’originalité du groupe. Si leur musique est dominée par les guitares, les claviers inventifs balancent des flèches synthétiques en raccord avec leur époque et qui, rétrofuturisme oblige, n’ont pas pris une ride aujourd’hui. Tout comme les Nylon ? Nous n’irons pas jusque-là, mais force de reconnaître que 40 ans après leurs débuts, la foi qui les anime est intacte. Ils se sont jetés dans ce concert de reformation avec la même fougue et le même sérieux qu’à l’aube des années 80. C’est d’ailleurs dans leur studio de répétition que nous les avons rencontrés. Plus tout à fait des jeunes gens, mais toujours modernes en tout cas. 

 Qu’est-ce qui vous a motivé pour remonter sur scène ? 

Mylène Khaski (chanteuse) : Il y a un an et demi, nous avons réédité tout notre catalogue en digital en collaboration avec Sony. Ce gros boulot a été le point de départ de cette reformation. 

Aram Kevorkian (claviers) : Il a fallu récupérer les droits. CBS, notre label de l’époque, est devenu Sony. Ils nous ont demandé si on avait gardé notre contrat qu’ils avaient perdu. Heureusement Mylène en avait une copie. Ils avaient ressorti notre premier album en 2001 avec le single “Femmes sous cellophane”, mais pas le second Johnny Johnny, parce qu’ils avaient perdu les bandes ! Echo Bravo, le troisième, est lui paru sur un label qui n’existe plus. Il a fallu retrouver à qui avaient été vendus les droits. Ces recherches nous ont réveillés. De toute manière, nous étions tous restés en contact. C’est un groupe familial. Zako (le bassiste, ndr) est le frère de Mylène, Albert (le batteur, ndr) leur cousin… Yann (Le Ker, ancien Modern Guy, guitariste, ndr) et moi sommes quasiment de la famille. Il y avait une envie, et puis Mylène était remontée sur scène avec des camarades de boulot aux USA.

M : On a joué “Edith Nylon” et “Johnny Johnny”. J’ai eu l’impression que le temps n’était pas passé. Dès le lendemain, j’ai appelé les autres et je leur ai dit : “OK les gars, je peux le faire.” Et du coup, on répète depuis un an. Bon, j’habite aux États-Unis alors ce n’est pas non plus tous les jours. (rires)

Quel était votre background musical avant Edith Nylon ?

M : J’avais 16 ans quand on a commencé. Zako avait une formation de guitariste, moi zéro pointé à part la chorale de Noël.

A : C’était les années 70, on écoutait Bowie, Lou Reed.

M : On était allé à Londres voir tous les groupes de punk et on s’est dit qu’on pouvait nous aussi le faire. Siouxsie sur scène m’a énormément inspirée.

Zako Khaski : On a commencé, Albert et moi, sans Mylène, qui nous a rejoints un peu plus tard avec Christophe, le guitariste. On jouait sur des barils de lessive et naturellement, on s’est intéressés aux morceaux à deux accords. Genesis, qu’on écoutait comme tout le monde à l’époque, c’était inatteignable comme niveau. Lou Reed et le Velvet nous semblaient possibles.

M : On essayait de faire des reprises, mais ça ne collait pas et on s’est mis à composer. Pareil avec l’anglais. Nous avions essayé pour imiter les groupes qu’on aimait, mais cela n’avait pas d’intérêt et on est vite parti sur le français, avec des textes qui signifiaient quelque chose. Puis c’est allé très vite. On a donné quelques petits concerts, CBS nous a vus à l’occasion d’un tremplin organisé par Hollywood Chewing-gum et nous a signés.

Edith Nylon en 1982

Crédit photo : DR

Très rapide pour un jeune groupe français en 1979, ça veut dire quoi ?

Z : Le premier album s’est vendu à 90 000 exemplaires, c’est énorme aujourd’hui, mais pour l’époque, ce n’était pas extraordinaire. Dans ces années-là, CBS avait plein d’argent grâce au succès d’Annie Cordy. Patrice Fabien (disparu en 2008, ndr) était l’un des directeurs artistiques et il nous a pris sous son aile. C’est lui qui nous a signés, managés. Il avait produit de la variété française, mais était très attiré par le rock. Il nous a rencontrés dans un concours en Normandie pendant ses vacances. On s’y était inscrit, pensant qu’on aurait moins de concurrence qu’à Paris. Il nous a demandé notre numéro de téléphone, mais il n’a pas appelé tout de suite. Loin de là.

M : Et puis un jour, alors qu’on était en plein déménagement et qu’il ne restait que le téléphone dans l’appartement, notre mère, qui avait oublié quelque chose, est remontée et c’est là qu’il a sonné !

Vous étiez encore lycéens ?

M : Oui, et c’était compliqué ! Pour le premier album, on ne pouvait enregistrer que pendant les vacances scolaires. J’ai raté mon bac une première fois. J’étais en C, c’était costaud.

Comment réagissaient vos familles ?

Z : Nous sommes issus d’une famille d’immigrés. Pour eux, on devait s’intégrer de la manière la plus traditionnelle possible.

M : Mais en fait, on s’est beaucoup mieux intégré comme ça.

1979-1980, c’est un peu la préhistoire du rock en France, il y avait encore peu d’infrastructures, c’était handicapant ?

M : Chez CBS, notre label, le seul autre groupe de rock était Trust. Les autres artistes maison étaient Julio Iglesias et Mireille Mathieu. En Angleterre et aux USA, un jeune groupe pouvait envisager de faire une carrière dans le rock, mais en France, c’était difficilement imaginable. Les choses ne se sont structurées que dans les années 90.

A : Téléphone et Trust ont marché rapidement, mais les autres groupes ne rencontraient qu’un succès critique. C’était avant Les Rita, Indochine ou Niagara qui ont connu, eux, un véritable succès public. L’industrie du disque ne savait pas encore développer un groupe comme nous sur le marché français.

Est-ce que vous vous définissiez comme punk ?

M : Rock, plutôt.

Z : Un peu punk quand même dans la mentalité. On pouvait être très destructeur à l’époque. On était clean côté drogues, mais pas au niveau de l’attitude. Quand on allait chez CBS, on les traitait de connards, on allait loin dans la surenchère pour s’amuser.

M : Bizarrement, on nous reprochait parfois d’être trop clean, car on ne se droguait pas. On était plus jeune que les autres groupes.

Yann Le Ker (guitariste) : Comme tous les groupes qui ont duré, les Nylon étaient avant tout des musiciens qui bossaient dur, avec comme modèle les Anglais de Magazine (le groupe d’Howard Devoto, qui lui aussi utilisait beaucoup les claviers, ndr).

A : Grosses guitares et synthés mélodiques, c’est ce qui a rendu notre son intemporel. Sans oublier la modernité des textes de Mylène.

Justement Mylène, les thèmes de tes chansons, comme le transhumanisme, les manipulations génétiques, la conquête spatiale, sonnent toujours très actuels. 

M : J’écrivais beaucoup sur la condition des femmes, je parlais aussi des questions d’immigrations, des guerres. Il se passait plein de choses, c’était la fin de la guerre froide. On n’imaginait pas faire du rock sans vouloir chercher à dire quelque chose. The Clash et leur conscience citoyenne ont été une grosse influence. Les chansons étaient en quelque sorte une tribune. Dans notre répertoire, il n’y a qu’une chanson d’amour, “Le meilleur des amours”, et elle parle des sentiments dans un monde futur.

Y : L’écriture des Nylon était plus mature que beaucoup d’autres groupes de l’époque. Ils avaient du style, mais surtout des chansons.

Vous avez enregistré votre deuxième album Johnny Johnny à Londres chez vos idoles de The Clash.

M : On enregistrait en même temps qu’ils faisaient Sandinista. Mick Jones (chanteur, guitariste de The Clash, ndr) a chanté sur “Johnny Johnny”, on les a aidés à traduire une chanson pour Ellen Foley (chanteuse, actrice et petite amie de Mick Jones à l’époque, ndr). Topper (Headon, batteur de Clash, ndr) est venu faire des percussions.

Z : Ils avaient tous leurs instruments dans le grand studio et un soir en cachette, on les a pris pour jouer. Ce qui sortait c’était le son de London Calling. On a été The Clash quelques minutes !

Aviez-vous réfléchi longuement à votre identité visuelle, qui était très forte ? 

Z : Les looks, les pochettes, le graphisme, c’était super important. Pour certains d’entre nous, c’était même 80 % de leur temps, debout devant la glace, comme des gravures de mode. On voulait le contrôle total de notre image. La seule fois qu’on a laissé CBS faire un truc, c’était horrible : “Edith Nylon un pied d’acier dans un bas nylon.” On leur a dit de ne rien sortir sans notre accord. Christophe, notre guitariste, était graphiste. Il a beaucoup contribué à créer notre image.

M : Mais il ne faut pas oublier l’apport de Jean-Baptiste Mondino, qui a réalisé toutes nos photos et nos pochettes. Le rock, c’est aussi avoir un look fort.

Aviez-vous beaucoup de relations avec les autres groupes de l’époque ? 

M : Pas vraiment, nous étions concentrés sur notre groupe et notre public. Pas sur ce que les autres faisaient.

Albert Tauby (batteur) : Nous n’étions pas des fêtards. On n’allait pas aux Bains ou au Rose Bonbon tous les soirs, et du coup, on s’est retrouvé en périphérie du reste de la scène. Bien sûr j’aimais faire la fête, mais je voulais surtout faire notre musique. On était des bosseurs, on répétait tous les jours, ce qui n’était pas le cas de tous les groupes.

Mylène, est-ce que tu étais le leader d’Edith Nylon ? 

M : Pas vraiment, il y avait une certaine forme d’identification, il arrivait qu’on m’appelle Edith, mais le travail était collectif.

A : Les gens reconnaissaient le groupe grâce à Mylène. C’est elle qui l’incarnait, comme tout chanteur à vrai dire, même si son aisance sur scène ou sa coiffure faisaient qu’elle attirait les regards.


Quand votre deuxième album est sorti, cela s’est-il aussi bien passé que pour le premier ? 

Z : Non, nous avons commencé à avoir des frictions avec CBS. Patrice Fabien, qui nous avait signés, était sur le départ. Johnny, Johnny (1980) est sorti sans un gros investissement marketing, d’autant plus que nous avions fait l’erreur de sortir le single “Femmes sous cellophane” et l’EP Quatre Essais Philosophiques avant cet album. CBS avait du mal à nous suivre. Cela a dispersé le budget de promotion sur plusieurs sorties plutôt que tout concentrer sur la plus importante, le deuxième album.

Z : Après cette sortie plantée, nous avons décidé d’un commun accord de quitter CBS. Au même moment, Albert et moi avons quitté le groupe. Des disputes comme il en arrive tout le temps dans un groupe. Il y a prescription.

A : C’est comme ça que je suis entré dans Edith Nylon pour le troisième album Echo Bravo, mais en étant un peu triste de ne pas rejoindre la formation d’origine que j’avais tellement aimée.

M : Il n’y avait pas un bon environnement pour le rock en France à l’époque. On débutait un groupe par passion, mais, même si cela marchait un peu, on se rendait vite compte qu’il n’y avait pas beaucoup d’avenir. Les groupes de rock s’arrêtaient aussi vite qu’ils avaient commencé. Edith Nylon a encore continué le temps d’un album, mais sans grand espoir d’aller plus loin.

A : On s’est éclaté, mais quand on analyse rétrospectivement c’était un sacerdoce de faire du rock en France. D’autant que le tribut à payer à cette musique est terrible, quand on voit ce qui est arrivé aux membres de Taxi Girl et à tant d’autres groupes de l’époque.

Yan : Philippe Pascal (chanteur de Marquis de Sade, récemment disparu, ndr) a dit une chose très vraie : les groupes de rock de cette époque sont tous des échecs. Artistiquement, ils sont très créatifs, mais commercialement, ils ne marchaient pas du tout.

Avant l’année dernière, vous n’aviez jamais eu envie de revenir ? 

Z : Albert, Laurent (guitariste, ndr) et moi avons toujours plus ou moins joué ensemble.

M : Moi, je me suis vraiment arrêtée en revanche. J’ai repris mes études (Sciences Po Paris dans la même promotion que François Hollande, ndr) et je suis partie vivre à l’étranger. Je suis restée onze ans en Asie entre Hong Kong et Singapour. Puis, je suis allée à New York où je travaille encore aujourd’hui dans l’aviation.

Comment expliquez-vous la nostalgie actuelle pour les groupes des années 80 ? 

Y : Ce sont des cycles. Dans les années 80, on était nostalgique des années 60. Aujourd’hui, on se souvient que les années 80 étaient une époque charnière qui explosait de créativité dans la musique, le cinéma, le graphisme, la mode…

A : Quand on entend les synthétiseurs de Metronomy, de Tame Impala, de Temples, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas très éloignés de ce qu’on faisait à l’époque.

M : Mais on ne revient pas à cause de ça.

A : Le concert a été complet rapidement. On reçoit des témoignages émus de gens qui nous écoutaient, mais n’avaient pas pu nous voir à l’époque. On a de nouveaux titres, on va sans doute en jouer quelques-uns et on verra bien où cela nous mènera.

Edith Nylon sera en concert à Petit Bain le 17 janvier 2020.

Edith Nylon

Crédit photo : Frédérique Veysset

Par Patrice Bardot et Alexis Bernier

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