Positive Éducation 2019 : la positive réputation
Il est des festivals dont la réputation n’est plus à faire. Oui, on sait qu’aux Vieilles Charrues il y a du monde partout et des milliers de bénévoles, on sait qu’à feu Baleapop c’est une petite famille de potes qui met à l’honneur la culture basque, on sait qu’à Château Perché on fait la fête jusqu’à ce qu’il fasse grand jour, accompagnés par des fées voletant dans la cour d’un manoir. Mais le soucis quand un festival a une réputation qui lui colle aux baskets, c’est qu’il faut qu’il s’y tienne. Et il y avait pas mal d’attentes pour Positive Éducation. Entre nos confrères qui n’en disent que du bien depuis la première édition il y a quatre ans et les DJs comme Manu le Malin ou Iueke qui reviennent chaque année, le ton était donné : Positive Éducation est, avec Astropolis sûrement, l’un des meilleurs festivals de musique électronique de France. Pas de pression.
C’est donc avec un poil d’appréhension qu’on a fait notre sac pour filer à Saint-Etienne. Déjà parce qu’une image pareille, il faut pouvoir la tenir. Et puis parce que Saint-Etienne, « Sainté » pour les intimes, sur le papier, ça ne fait pas trop rêver. Difficile d’y trouver une terrasse où se poser avant la fête, difficile de choper un resto qui accueillerait facilement un samedi soir la tablée de quinze journalistes venus en découdre avec ces quelques jours de fête. Mais c’est peut-être paradoxalement pour ça que « Positive Éduc » n’a pas volé sa réputation : le festival a Saint-Etienne chevillé au corps. Au détour d’une pause bar ou d’un écroulement dans un coin pour se reposer les guibolles, on est étonné de la gentillesse des gens, du staff au bar au public en passant par les agents de sécu. Et la réponse est toujours la même : « C’est Sainté ça ! ». Tout le monde est sympa à Saint-Etienne ? On dirait bien. Enfin en tout cas dans les courants d’air de la Cité du Design, qui frisait les 0 degré ce week-end-là. « Ah bah c’est sûr que c’est pas Paris ici », souffle un bénévole, clope roulée fusionnée aux doigts. « Il y a des petites soirées un peu partout, pas grand-chose à faire d’autre, et Positive Éducation est vraiment arrivé au bon moment, avec une prog’ qu’on ne voit pas dans les autres festivals ». Pas mieux.
Au-delà de son ambiance, un peu shlag bien sûr passé une certaine heure, mais toujours bon enfant, la réputation du festival est en effet due à son essence même : sa programmation. A savoir proposer des soirées typées techno certes, mais exigeantes sans être élitistes, loin des line-ups au kilomètre que l’on croise partout depuis quelques années. Pas d’enchaînement Marcel Dettmann-Nina Kraviz ici. Par contre, au détour d’une des trois salles, un concert live de dub (African Head Charge, magique). La musique de fête est ici dépeinte dans ses couleurs les plus industrielles, les plus en marge, quitte à tutoyer la drum, le dub, le hardcore. Ce qui change et fait du bien. Des moments inoubliables ? Manu le Malin d’abord, qui fêtait sa troisième édition et était de retour cette fois sous son alias The Driver, plus techno, et avec la besace pleine de morceaux chinés pour l’occasion, tendance mentale (pas la peine de lui demander les IDs, il n’en a aucune idée – on aura tout de même retenu « Hell For Leather » que vient tout juste de sortir Ansome et qui aura achevé nos rotules dès le premier soir de notre passage au festival). Mais aussi Loner, qui ouvrait devant une foule très clairsemée la soirée du dimanche, trois platines vinyles pour un set technique, breaké, courageux, passionnant. Aux 88, duo de Detroit en live, pour un exposé imparable de techno made in Motor City, classique mais indispensable si on veut parler boum-boum correctement. Karenn en live également, qui tabasse fort et a dégourdi les tapeurs de pieds du festival – et ils étaient nombreux, la tendance du coin étant plus à la hardtechno qu’à la deep-house (tant mieux!). En live toujours (l’un des points forts de ce line-up) avec A.N.I, l’alliance du Vénézuélien installé à Bruxelles Bear Bones, Lay Low, de l’Allemand coutumier du Salon des Amateurs Don’t DJ et du Français Black Zone Myth Chant (alias High Wolf). Le genre de proposition qu’on ne peut pas voir dans n’importe quel festival : psychédélique et barré, qui n’oublie pas pour autant d’être dancefloor de temps en temps. Helena Hauff bien sûr, pour un set de techno robuste, tendant vers le tunnel 4/4 parfois, mais toujours efficace. Les afters, incontournables de l’esprit Positive Éducation, cours des miracles du smile, avec Theo Muller en grand maître de cérémonie pour la toute dernière, conclue en beauté par les patrons Fils de Jacob. Mais le coup de cœur est assurément allé vers Simo Cell & Judaah, qui pendant deux heures ont joué aux équilibristes entre dub, dub-techno, bass music, drum. On s’est même surpris à shazamer un des titres entre deux roulements de hanche (Glyn Hendry – « Escape Club 99 », une bombe percussive), avant de définitivement planquer le téléphone au fond du sac – un réflexe adopté par l’immense majorité des danseurs, tout le week-end, ce qui fait un bien fou évidemment.
On l’aura tous compris, Positive Éducation a une réputation. Et elle est fondée : en dépit de l’annulation au dernier moment de Jeff Mills (bouh!), des températures arctiques (ouch!) et des petits couacs liés à l’arrivée du cashless (oups!), on est face à l’un des meilleurs festivals de musique électronique de France. Point barre.