Au Québec, le rap est aussi roi
Comme en France, le rap est depuis trois ou quatre années devenu un des genres musicaux les plus importants de la province canadienne. Illustration au festival FME (Festival des Musiques Émergentes) qui se tenait cet été au Québec.
Rarement la ville de Rouyn Noranda n’aura eu autant de rappeurs dans ses rues : à la fin de l’été, la petite ville de l’ouest du Québec accueillait, chaque soir sur son affiche, les rappeurs les plus en vue de la province canadienne, avec en point d’orgue un concert de Loud, star locale de la musique québécoise au sens large, sur la grande scène du Festival des Musiques Emergentes, aussi appellé FME. Comment expliquer cette présence accrue de rappeurs dans la programmation de ce festival dédié aux jeunes talents de la musique francophone, en place depuis 17 ans maintenant ? Sans doute parce que le genre a réussi à s’imposer dans tout le Canada francophone.
Steve Jolin reçoit entre deux concert dans un bar de la ville : casquette vissée sur la tête, le patron de 7eme Ciel Records affiche un grand sourire. Il peut : depuis plusieurs années maintenant, son label est devenu une référence en matière de rap québécois. Et les affaires marchent extrêmement bien. “Je peux vous garantir qu’on est dans une bonne époque. Je n’ai jamais eu autant de sorties, autant de concerts, et on n’est plus marginalisés. Mais on ne l’a pas volé non plus !”. Millions de vues sur YouTubes, salles complètes, et têtes d’affiches de festival… le rap de la province canadienne vit actuellement un boom comparable à celui que le genre vit en France depuis quatre années maintenant. Et 7eme Ciel Records peut se targuer d’avoir joué son rôle là dedans.
Fondé au début des années 2000, 7eme Ciel Records partait d’une envie : défendre le rap québécois. Les débuts dans l’ombre ne sont pas simples pour Jolin, mais son fondateur (qui fait encore aujourd’hui régulièrement des aller-retours entre Rouyn Noranda et Montréal en avion) va s’accrocher avant de connaître, au début des années 2010, un premier succès, qui va avoir une influence sur toute la scène québécoise : “Jusque là, le rap au Québec était axé sur la revendication, le côté engagé, sous l’influence des années 90. Et c’est en fait un groupe, Alaclair Ensemble, qui a un peu renversé tout ça”.
Complètement barré, le groupe constitué de six membres va transformer l’image que le Québec se fait du rap, en concert, comme en disque, et commencer à attirer l’attention des médias. “Ils n’ont pas été suivis par les puristes, mais ils ont touché un public bien plus grand, qui n’était de base pas forcément touché par le rap. Les festivals ont commencé à intégrer quelques rappeurs dans leurs programmations, et les médias généralistes ont peu à peu commencé à parler de nous, se rappelle Jolin. Ca a ensuite ouvert la porte à toute une génération de jeunes rappeurs québécois”. Programmé sur la Grande Scène du FME, Alaclair Ensemble partage justement la grande scène avec deux artistes plus jeunes qu’eux durant le festival : Fouki et Loud, deux rappeurs aux succès actuellement comparable à celui d’un Roméo Elvis en France. Leur musique sonne trap, les paroles sont légères, parfois chantées, tout en alternant entre français et anglais d’une phrase à l’autre – une spécialité du rap québécois. Dans le public, beaucoup de jeunes, et aussi des parents, la preuve que le rap au Québec commence à véritablement se démocratiser.
C’est un peu ce que raconte le rappeur Loud dans son morceau “Salles Combles”. Extrait de son second album “Tout ça pour ça” sorti en juin dernier, le titre souligne sur une rythmique trap sous influence électronique le récent succès dingue de ce jeune artiste de Montréal, devenu le premier rappeur québécois à remplir deux fois d’affilées le Centre Bell, équivalent de l’Accor Hotel Arena pour la capitale franco-canadienne, avec cockpit d’avion géant reconstitué sur scène en guise de symbole de ses incessants allez-retours entre la France et le Canada. Sur la grande scène du FME, le Montréalais débarque en tant que star : smartphones levé en l’air, tout le public récite ses paroles, tandis qu’il enchaîne les morceaux entre rap pur et dur, et moments plus pop ou chantés comme son tube “Toutes les femmes savent danser”, qui est resté en haut des charts durant plus d’un an là-bas.
Loud fait partie de la seconde génération du rap québécois du début des années 2010, celle qui a suivi l’exemple de Alaclair Ensemble pour renforcer le poids qu’était en train de prendre la scéne au Québec. S’il n’est pas signé sur son label 7eme Ciel Records, Steve Jolin a – comme toute la scène locale – bien suivi l’ascension du jeune musicien : “Loud Larry Ajust, le groupe original de Loud, a effectivement été un autre marqueur fort pour le rap à Montréal et dans le reste du Québec. Ils ont amené quelque chose d’un peu plus ouvert, qui parlait à la jeunesse, tout en étant très rap. Et lorsque Loud est parti en solo, ça a été l’explosion”. Avec son morceau “56k” et son clip en plan séquence dans un hangar d’avion, le garçon va même réussir à percer en France. Son premier album va alors être sorti dans nos contrées par Sony Music, tandis qu’il va commencer à remplir des salles à travers l’hexagone. Un phénomène que l’on commence aussi à voir avec d’autres artistes québécois de sa génération, comme Fouki, jeune artiste du label de Steve Jolin qui enchaîne les tubes au Canada, et dont le morceau “Positif” est rentré en playlist chez nous sur France Inter cet été. “Le Québec est petit en population, les marchés sont vites saturés” constate Jolin. “Forcément, on a aussi envie d’aller s’imposer en France. Si les Belges ont réussi, il doit bien y avoir moyen qu’on arrive à se faire une place”.>
S’imposer en France, le nouveau challenge du rap au Québec ? Oui, mais pas que. Si une poignée d’artistes remplit les salles de la province, la situation reste plus difficile pour les artistes moins connus. Car pour l’instant, le rap québécois se concentre énormément sur quelques têtes d’affiches, comme l’explique Jolin. “Si je prend l’exemple de mon label, des rappeurs comme Fouki ou Koriass vont maintenant avoir facilement accès à des radios ou des télévisions et c’est super. C’est moins le cas d’artistes plus petits, et on aimerait aussi arriver à leur trouver une place”. Cette place, elle pourrait bien se créer par une plus forte présence de médias orientés rap dans la sphére grand public du Québec : “Médiatiquement, on a maintenant des émissions spécialisées sur le rap québécois qui existent, c’est un vrai progrès. Mais je pense que pour que le genre franchisse un nouveau palier en terme de notoriété, il faudrait qu’on arrive à avoir une grande radio rap dans le pays, comme Skyrock, Mouv ou Génération en France. C’est ça pour moi l’un des prochains challenges”. En attendant, le rap québ’ fait parler de lui au Canada et en France sur la meilleure des plateformes qui soit : celle de la scène. Durant les trois jours de concerts au festival du FME, deux soirs de suite la grande scène du festival aura été réservée à des rappeurs locaux, qui rempliront sans grand mal l’artère principale de la ville. Un des meilleurs signe de l’avenir radieux du rap franco-ricain sans doute.