La Route du Rock 2019 : la piraterie n’est jamais finie
Les Bretons semblent cultiver l’insoumission. Oubliez toute pancarte politique, nous parlons ici d’un état d’esprit, d’un étendard. Une langue qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, une marque de cola parvenue à se faufiler entre quelque géant américain, un drapeau omniprésent qu’importent le contexte ou la météo. Et une certaine vision de la fête ; si les gargantuesques Vieilles Charrues ne peuvent pas toujours se vanter d’une proposition artistique très forte, les pirates sont toujours bien là, aiguisant leurs lames depuis des tours de pierre. St-Malo était un nid de corsaires ; il est désormais le repaire estival (et même hivernal) de flibustiers du rock indé, ceux qui ne font pas de compromis, laissent rugir la saturation en bravant les bourrasques. Cap vers La Route du Rock pour trois jours de liberté brute, entre fortifications et grands espaces.
Le calme entre les tempêtes
Nous entamons le carnet de bord à notre entrée au Fort St Père. 15 août 2019, fin d’après-midi, quelques éclaircies qui ne dureront pas vraiment. Pas de démarrage en douceur, la soirée s’annonce des plus chargées. Le fait d’avoir commencé le festival un jeudi a en effet permis de recruter de grandes figures de la scène indé, toutes inratables. Avec deux scènes, les moments de répit se font plutôt rares.
Les amarres sont larguées avec Pond : la bande australienne plante un joli décor psychédélique, que son grand frère Tame Impala ne manquera pas d’amplifier (et c’est peu dire) une fois la nuit tombée. À minuit, le groupe honore son statut de tête d’affiche : magnifique scénographie remplie de confettis et d’effets psychotropiques, qualité sonore impeccable. Tout est mis au service de tubes déclamés par un Kevin Parker au top, zigzaguant entre les couches de sons et de lumière comme un serpent Arc-en-Ciel. Mais l’atmosphère bariolée des Australiens, également préparée par les inclassables Stereolab et leurs ambitieuses instrumentations, ne fut qu’un instant de grâce entre deux tempêtes.
La première s’est pointée dès le départ de Pond : place à Fontaines D.C., plein d’arrogance, de nonchalance et d’élégance. Les guitares sont baveuses, et il ne faudra pas compter sur Idles pour les policer. Les nouveaux fleurons de la scène punk britanniques gueulent, se déshabillent, sautent dans la foule et déclenchent pogos sur pogos. C’est après le départ de ces cinq démons que les choses s’apaisent… Avant la deuxième vague. À minuit et demi, black midi envahit la scène des remparts pour livrer un show abrasif et hyper-physique. Sur fond de rythmiques complexes empruntées au math rock, les Londoniens alternent spoken word et explosions noisy avec force style. On en sortira éreintés, finissant la nuit au son de Jon Hopkins. Danseuses, chorégraphies incandescentes et luminescentes, synthés planants ; il n’y a pas de mal à se laisser porter.
Repli entre les remparts
Le lendemain, les navettes nous attendent pour quitter le fort et gagner la plage de St-Malo. De quoi jouer une nouvelle fois au corsaire ; la forteresse Vauban et le Grand Bé sont de parfaits belvédères pour observer les concerts gratuits organisés sur la plage de Bon-Secours. Durant deux jours, on y verra les nouveaux ambassadeurs d’un pop-rock racé à la française. Au menu du vendredi : Le SuperHomard. Laure Briard , quant à elle, assurera son show vingt-quatre heures plus tard. Une fois notre casserole de moules-frites engloutie face à la mer, nous voilà repartis pour St-Père.
L’heure pour la pluie de faire son entrée… Et de ne plus jamais repartir. Mais, comme disent des gens souvent plutôt agaçants : « On n’est pas en sucre ». On enfile donc un imperméable tout jaune pour aller voir une première partie de soirée où les pirates jouent aux dandys, toisant presque l’image du bandit bourru et impitoyable. Si Foxwarren est empreint d’une douceur et d’une timidité très touchantes – à l’image de sa musique -, White Fence évite les sourires, arborant une dégaine de sinistre vampire. L’acolyte de Ty Segall livre un beau show psychédélique, où les musiciens enchaînent autant les ponts instrumentaux que les cigarettes. On voyage ensuite avec les sonorités orientales d’Altin Gün, qui mélange rock psychédélique et répertoire turc dans une hypnotique invitation à la danse. L’ère des marins raffinés s’achève sur Hot Chip, habillés comme des chimistes et enveloppés par les effets de lumières. Leurs classiques sont repris, retravaillés, étirés, avant de déboucher sur un torrent d’énergie brute. Les frères Soulwax d’abord, qui sous leur alias 2ManyDjs s’offrent un set éclectique et intrépide, puis les méchants punks de Crows et Crack Cloud, maltraitant les micros et les décibels. C’est enfin à la magicienne techno Paula Temple de s’occuper des festivaliers en quête d’électronique, comme Oktober Lieber et Silent Servant le feront le lendemain. Et justement, nous y voilà.
Déluge amplifié
Samedi sonne déjà comme la fin d’une route tracée par l’eau, le son et la fête. Le bon rock indé est toujours de la partie, la pluie aussi. Dieu merci, les deux font bon ménage. La belle mélancolie de Deerhunter se fait rouler dans l’argile par The Pottery et sa fougue jazz-funk-rock fusion, avant l’arrivée d’une pièce maîtresse de cette dernière soirée. The Growlers, c’est un peu comme les Strokes, mais dont les têtes des membres auraient été mises à prix. On se demande d’ailleurs presque pourquoi : leur rock garage est limpide, magnifique et sans accrocs. On y voit aussi les seuls solos de guitares plus ou moins démonstratifs du festival, qui introduiront le public à Metronomy. Le groupe de Joseph Mount se présente tour à tour, indiquant avec entrain et politesse leur prénom, instrument et signe astrologique respectifs. De quoi invoquer des vents favorables : leur live est puissant, les hymnes et les nouveautés se mêlent pour finir en apothéose sur le son détraqué de « You Could Easily Have Me ».
Les lames sont maintenant émoussées, les voiles déchirées et maculées, mais la Route du Rock avait tout anticipé et ne s’est pas laissé faire. Un festival à la programmation et l’organisation impeccables, qui n’a jamais eu peur de revenir trempé jusqu’aux os. On est en Bretagne après tout.
Meilleur moment : Le charisme et les improvisations de black midi.
Pire moment : L’annulation de Beirut une semaine avant le festival… La laryngite aigüe ne pardonne pas…