Astropolis : 25 éditions, 30 degrès, tout va bien
Il y a quasi un quart de siècle, les équipes d’Astropolis ont dû faire un choix, LE choix de l’époque : continuer à organiser des free, à l’heure où les teufs étaient stigmatisées (coucou le rapport de 1995 « Les soirées raves : des situations à haut risque » du ministère de l’Intérieur) et interdites à grands renforts d’interventions de police, ou alors créer une fête autorisée. Le Sonic Crew et ses deux orgas historiques Gildas Rioualen et Matthieu Guerre-Berthelot ont pris cette deuxième voie, pour l’une des premières raves légales du pays. Et nous voilà 25 éditions plus tard avec la même ambition : faire les choses dans les règles de l’art (législatif) tout en proposant aux quelques 20 000 participants une belle nostalgie de la teuf, celle qui fédère une communauté de doux ravers autour de tout ce que les musiques électroniques ont à offrir de meilleur – pas seulement de la techno donc. Le tout, du moins c’est ce qu’on aura ressenti côté public, avec une présence plutôt organisée et bienveillante des forces de l’ordre, alors qu’à quelques centaines de kilomètres de là les festivaliers de Belfort n’avaient pas vraiment cette chance. Et surtout, l’impression d’assister à une fête entre potes avec des milliers d’invités, qui chaque année rappelle son lot de fidèles : dans le public, certaines têtes se recroisent d’éditions en éditions, et pareil dans la programmation. La 25ème n’a pas dérogé à la règle, avec une scène Mekanik comme d’habitude parrainée par Elisa Do Brasil et Manu le Malin, ce dernier grimpant comme toujours aux pilonnes de l’Astrofloor pendant les dernières minutes du set du Sonic Crew, des chansons pas forcément recommandables beuglées dans la navette du retour, des « il est où l’after » et « jusqu’à la mort Manu ! » hurlés à dix heures du matin, un dimanche soir dantesque au Vauban avec The Driver pour les plus courageux… Brest ne dort jamais beaucoup ce week-end-là, nous non plus, mais impossible de rater le rendez-vous et ses petits rituels.
Les vieux pots, les meilleures soupes donc, mais pas que : dès le mercredi soir, Astro présentait aux Capucins un tout nouveau projet, Sonars, une création portée par La Carène entre producteurs (ici, Maxime Dangles) et un laboratoire (le BeBEST), pour inviter l’émotion dans la pratique scientifique et créer une BO électronique de l’océan : bruissements d’antennes de homard, bateaux qui pétaradent, pétoncles qui respirent, crevettes qui gigotent… Maxime Dangles a travaillé dans une scène immersive en forme d’igloo une drôle de collection de samples, pour un projet qui se construit petit à petit, avec l’appui du CRNS, sur fond de prise de conscience écologique et d’études des impacts du son sur les animaux marins. A suivre, et passionnant.
Autre nouveauté pour marquer le coup de cette édition anniversaire, Astro a opéré un petit changement, ouvrant les jardins du Manoir de Keroual dès le vendredi soir à une programmation live, avec Arnaud Rebotini et l’orchestre Don Van Club pour reprendre la BO de 120 Battements par minute, Kap Bambino et, coup de cœur du soir, Max Cooper pour un live techno et IDM accompagné de visuels organiques ou géométriques – un gros cliché le coup des formes qui bougent en arrière plan, mais ici bien plus chiadées qu’à l’accoutumée, promis.
La suite se passait à La Suite (notre meilleur jeu de mot), en ville donc, avec entre autres Kobosil, Anthony Linell aka Abdulla Rashim ou Jensen Interceptor côté nocturne, et le lendemain en plein soleil à Beau Rivage – le dieu Râ ayant visiblement décidé de faire la fête avec nous au bout du bout du Finistère, un gros manque à gagner sur le marché du k-way mais un sacré soulagement pour tout le monde -, avec Blutch ou encore Earl Nest pour un super live mêlant beats électroniques et guitare électrique. On a frisé l’insolation, mais ça valait le coup. Heureusement, au bout d’un moment, la nuit tombe. Et Keroual se dévoile. Déco cosmique, bars à ne plus en finir (qu’ils ont soif ces Bretons !), Elisa Do Brasil et Manu Le Malin évidemment impeccables, un dense, oppressant, crissant mais néanmoins génial live de Verset Zero (coup de cœur, enfin de poing, de cette nuit-là), Paula Temple côté techno, DJ Producer côté hardcore, Lakker en live audiovisuel dans-ta-face, DJ Marcelle pour un set un peu plus ensoleillé… Tout le monde semble s’être donné le mot pour se surpasser en cette 25ème, tandis que sur l’Astrofloor, l’une des cinq scènes, les légendaires Jeff Mills et Mike Banks ressuscitaient leur supergroupe X-102. Les visuels, volontairement datés, et le voile derrière les deux géants officiaient n’apportaient certes pas grand-chose au schmilblick, mais quel set techno ! Inratable, d’autant qu’il ne s’agissait que de leur deuxième prestation depuis le début de ce revival.
En deux mots, et même si on a l’impression de les répéter chaque année, chapeau Astro. Entre ces habitudes qu’il ne faudrait perdre pour rien au monde et petits plats dans les grands installés à chaque édition, d’autant plus quand elles sont anniversaires, pas étonnant que certains – dont nous, donc – s’acharnent à perdre des points de vie chaque année au far west breton. Pour encore 25 éditions, avec un peu d’endurance.
Rendez-vous les 14 et 15 février pour la prochaine édition (version hiver) d’Astropolis.