On a visité l’expo événement « Electro, de Kraftwerk à Daft Punk » de la Philharmonie de Paris
Deux immenses photos de foule qui danse, bras en l’air et mine réjouie… Dès les premiers mètres du parcours d’Electro, l’exposition dédiée aux musiques électroniques de la Philharmonie de Paris que Tsugi a pu visiter en avant-première, le ton est donné : ici, l’idée est de s’immerger dans ces fêtes, ces images et ces danseurs qui font le sel de la culture électro. « Il s’agit de clichés réalisés par Andreas Gursky, un photographe contemporain allemand, fan de musiques électroniques, ami proche de Kraftwerk et qui a fait des expos avec Plastikman », explique Jean-Yves Leloup, journaliste spécialisé dans les musiques électroniques et commissaire de l’expo. « Il est très loin de n’illustrer que la scène techno mais il a pris son inspiration dans les raves de Mayday par exemple, ces raves allemandes des années 90. Ces deux grands formats montrent l’aspect esthétique de cette expo, qui n’est pas historique ou didactique, mais qui se veut belle, pop, robotique, hypnotique ».
Des sensations, des images, de la musique… Avec Electro, Jean-Yves Leloup et l’équipe de la Philharmonie ne s’embarquent pas dans un cours d’histoire rébarbatif – et si les machines bardées de câbles des pionniers du son électronique sont bien sûr exposées, c’est pour leur beauté, pas pour expliquer ce qu’est une onde carrée. « On s’intéresse aux codes, cultures, esthétiques et surtout aux sensations liés à ces musiques électroniques avant de vouloir faire des chronologies ou de parler de tout le monde, de toutes les villes, de toutes les scènes – ce qui serait de toute façon impossible et pas toujours souhaitable dans un format exposition. Une expo, ce n’est pas un livre, c’est surtout quelque chose à vivre. » Et des choses à vivre, il y en a : au milieu d’une scénographie imaginée par 1024 architecture (déjà à l’œuvre sur le fameux Cube d’Etienne de Crécy), rappelant les entrelacs métalliques des scènes de festival, se nichent des diapos et vidéos à découvrir au casque (distribué à l’entrée), une micro-salle de ciné 3D dédiée à Kraftwerk, une installation en réalité virtuelle inspirée de l’album polaire -22,7° de Molecule, un Phonochose 2 par Jacques, une pièce top secrète par Daft Punk ou encore une immense installation lumineuse et hypnotique réagissant à la musique. Car de la musique, il y en a évidemment. Onze mixes, concoctés par Laurent Garnier, diffusés constamment et qui retracent onze genres et époques différentes (techno, french touch, bass music…etc), pour habiller les quatre temps forts du parcours – grosso modo : les précurseurs, le dancefloor, les DJs et remixes, et l’aspect utopique de cette culture.
« C’est une exposition qui devrait plaire aux gens qui d’habitude n’aiment pas les expos sur la musique. On se rapprocherait plus de la rétrospective Bowie qui avait été imaginée en Angleterre mais énormément enrichie ici, et qui s’intéressait à son imaginaire, avec ses costumes, ses albums ou des installations, avec un vrai angle esthétique ». Pas de fétichisme, de veste ayant appartenu à unetelle ou de mégot récupéré dans le cendrier d’untel : « Il n’y a quasiment pas d’objets de memorabilia, à part un vieux flightcase de Jeff Mills très abîmé », précise Jean-Yves Leloup. « Ce n’était pas l’idée, et de toute façon ça aurait été très compliqué à faire. Quand j’ai demandé à Jeff Mills s’il avait des objets fétiches à exposer, il était assez étonné : il ne garde rien. Ce n’est pas comme dans une expo sur le rock où tu peux voir la veste en cuir que tel guitariste a porté dans les années 60. On parle d’une culture bien plus récente. Ce serait très ennuyeux de ‘muséifier’ cette musique qui vit pourtant encore ».
Résultat : presque 800 mètres carrés pour proposer une expérience sensorielle aux initiés, tout en sortant les néophytes du cliché « boum boum dans les oreilles ». Un fan inconditionnel de house sera ainsi curieux de voir de belles photos de Frankie Knuckles ou certains flyers historiques. Mais celui qui ne connaît pas du tout le style apprendra, via un corner dédié et des textes muraux courts et simplement écrits, que Chicago a été une ville importante dans le développement de ce genre. L’amateur de photos, lui, sera comblé tout du long, vu le nombre de clichés exposés, qu’ils racontent les colorées fêtes du Studio54 ou les moites nuits du Peripate. Sans oublier un certain engagement, touchant le combat actuel de ces musiques : la meilleure représentation et inclusion des femmes dans le milieu. « L’expo parle bien sûr des pionnières ayant contribué au développement de machines, mais on a aussi fait attention à garder un certain équilibre homme-femme, notamment sur les photos de danseurs. On a aussi relancé un tumblr appelé Visibility, qui avait été créé par AGF et female :pressure, et qui parle de la visibilité des femmes en studio : elles se photographient avec des machines, attributs masculins par excellence, pour montrer qu’un femme travaillant dans un studio ça existe, que c’est possible, qu’elles sont présentes même si peu programmées ». Des portraits projetés sur les murs de l’exposition, et un work in progress : DJs, ingénieures du son ou musiciennes sont invitées à envoyer leurs images. Parce qu’elles ont beau rentrer au musée, les musiques électroniques continuent à évoluer et se mouvoir vers une certaine utopie. Et ce n’est pas près de s’arrêter.
Electro, de Kraftwerk à Daft Punk, du 9 avril au 11 août à la Philharmonie de Paris.