Zone : le noir label de The Hacker et Gesaffelstein fête ses 10 ans
2009. Ed Banger continue à trôner sur la musique électronique, surfant sur le succès de la turbine – ce sous-genre déchaîné de house music -, et continuant à livrer des sorties signées Mr.Oizo, Justice et autres Busy P. Connu pour son travail avec Miss Kittin à la fin des années 90, The Hacker produit toujours, ne cherchant cependant pas à mimiquer le son du moment. Il reste fidèle à son style – une électro souvent sombre et intense aux touches italo disco -, et monte cette année là le label indépendant Zone avec Alex Reynaud, David Rimokh et Mike Lévy – alias Gesaffelstein -, à l’époque un jeune producteur de techno obscure. Dix ans plus tard, le pari d’une identité musicale forte s’est avéré gagnant : Zone est installé dans le paysage musical électronique, l’electro est revenu à la mode, et Gesaffelstein est devenu un artiste international à succès. Avant de célébrer cette décennie d’existence le 6 avril au T7 (Paris) avec Miss Kittin, Arnaud Rebotini, Djedjotronic, Cardopusher, David Carretta et bien sûr The Hacker, trois des fondateurs du label ont discuté avec nous :
Pourquoi avoir lancé ce label, Zone, il y a maintenant dix ans ?
Michel Amato/The Hacker : Avant Zone, avec Alex Reynaud et Olivier Raymond (Oxia), on avait un autre label qui s’appelait Goodlife, créé en 1998 et qu’on a arrêté en 2008 car on ne voulait plus aller dans la même direction, Olivier se dirigeant vers la tech-house tandis qu’Alex et moi étions plutôt dans des styles électro ou italo disco. On a rencontré David Rimokh et Mike Lévy (Gesaffelstein), avec qui on partageait les mêmes goûts musicaux, et on a monté le label tous les quatre, notamment pour sortir les premiers disques de Mike.
Il paraît d’ailleurs que la toute première sortie du label, en l’occurrence le premier EP de Gesaffelstein, a fini au pilon ?
Michel Amato/The Hacker : Mike avait fait une reprise de « Je suis venu te dire que je m’en vais » de Serge Gainsbourg, et comme on est des gens bien on a voulu faire ça comme il faut : on a voulu tout déclarer. Or les ayants-droits ont refusé, je ne sais pas si c’était Charlotte Gainsbourg ou Jane Birkin, mais ils n’ont pas voulu. On s’est donc retrouvé avec 300 vinyles qu’on n’a pas pu sortir. D’ailleurs ils sont où ces vinyles ?
Alex Reynaud : On ne sait pas trop, je crois qu’ils sont dans un entrepôt quelque part dans le Nord. Le distributeur a fait faillite entre temps.
Michel Amato/The Hacker : Je suis sûr que si on n’avait pas demandé l’autorisation ça serait passé inaperçu et on aurait pu le sortir, mais bon…
Après ce premier EP, les sorties s’enchaînent pendant des années, avec des maxis signés The Hacker, Arnaud Rebotini, Neil Landstrumm ou David Carretta, mais aussi pas mal de newcomers comme Mikron ou Keluar. Vous essayez de garder un équilibre entre les découvertes et les « têtes d’affiche » ?
Michel Amato/The Hacker : Pas vraiment, il n’y a pas de quota. Quand on aime quelque chose on le sort, tout simplement.
Alex Reynaud : Et parfois il peut se passer quelques mois pendant lesquels on ne reçoit rien qui nous intéresse. Et puis d’un coup, comme c’est en train de se passer depuis un mois, on reçoit plein de trucs et on compte tous les sortir. On a quatre sorties prévues bientôt !
David Rimokh : La prochaine sera signée Maelstrom, puis il y aura Yan Wagner sous son alias plus électro The Populist.
Alex Reynaud : Et aussi un jeune grenoblois, Endrick Schroeder, pour un morceau italo-disco qu’on va faire remixer par Marco Passarani.
Michel Amato/The Hacker : ça on va le sortir pour le printemps et l’été, on vise le soleil et les plages !
Il y a eu moins de sorties sur le label ces deux dernières années. C’est parce que vous ne trouviez rien qui vous plaisait ?
David Rimokh : C’est aussi parce qu’on a fait beaucoup de sorties vinyles en 2017 et 2018 – avec le digital en plus. Ca nous a ralentis. C’est lent à faire presser, à distribuer. On va d’ailleurs arrêter parce que les distributeurs déposent le bilan les uns après les autres !
Michel Amato/The Hacker : Quand on fait presser un vinyle, l’artiste est content parce que c’est un bel objet avec un artwork. Mais on le fait à perte, quoiqu’il arrive, à moins d’en vendre plus de 500 – ce qui est difficile aujourd’hui. Donc on arrête, pour le moment en tout cas, même si c’est difficile car on est tous attachés à l’objet.
Zone fête cette année ses dix ans, ce qui est un bel âge pour un label indépendant. C’est quoi le secret ?
Alex Reynaud : Déjà, le truc essentiel c’est qu’on s’entend super bien tous les trois. Quand tu travailles avec des gens qui sont tes meilleurs amis, les choses sont fluides et se passent bien. Aussi, on a les mêmes goûts musicaux, on a bien sûr parfois des désaccords mais on finit toujours par tomber sur les mêmes coups de cœur. Et puis Zone, c’est quelque chose de connexe à notre activité professionnelle.
David Rimokh : C’est important de le préciser. Aujourd’hui, dans nos genres de musique, c’est compliqué de vivre de son label. En indépendant, je n’en connais pas vraiment qui y arrive sur le long terme ; ou alors ils sont DJs ou producteurs à côté. Peut-être parce que les labels ont peut-être moins d’utilité qu’avant, avec internet, tout le monde est en contact direct.
Cela dit, quand un label a une identité très forte, on peut vouloir aller écouter un artiste parce qu’il y est signé – car on aime la couleur musicale défendue par ce label.
David Rimokh : Bien sûr ! Petite parenthèse : j’ai remarqué que sur Deezer ou Spotify, on ne peut plus faire de recherche par label, je trouve ça super dommage. Mais oui, c’est ce qu’on essaye de faire avec Zone, c’est un label qui correspond à nos goûts, nos univers, nos profils, et une vision de la musique qu’on partage – électro, italo disco, un peu sexy et dark aussi. Et je pense que le line-up de la soirée de nos 10 ans reflète bien ça.
Michel Amato/The Hacker : Quand on a commencé en 2009, on était un peu tout seul sur ce créneau-là. Tout le monde faisait de la French Touch 2.0, de la turbine, façon Ed Banger. Aujourd’hui avec le retour de l’electro ou de l’EBM on est clairement dans la mouvance actuelle, mais c’est normal, la musique est une affaire de cycles. Je trouve ça important d’avoir une couleur musicale bien déterminée, et même si dans deux ou trois ans cette mode passe, on sera toujours là à faire ce qu’on fait. Et même si ça redevient cool dans six ou sept ans !
Ce n’est pas frustrant de subir ces cycles, avec un public qui vous suivra pendant deux ou trois ans parce que c’est la mode et qui ne restera pas ?
Alex Reynaud : Ca fait partie du jeu, c’est comme ça dans la musique, dans la mode… Tant mieux si on est à la mode pendant quelques temps, autant en profiter, mais ce qui compte c’est que l’on a creusé notre sillon. Ca peut être frustrant mais personnellement ça ne me chagrine pas plus que ça.
Michel Amato/The Hacker : Pour moi un des secrets de la longévité c’est vraiment d’avoir une identité musicale, visuelle aussi, très marquée. De mon expérience, c’est comme ça qu’on s’inscrit dans la durée. Avec Zone, on n’a jamais lâché notre truc. Et quand je dis « on », c’est nous trois mais aussi Gesaffelstein ! Il est moins présent mais il est toujours impliqué, on lui envoie les démos dans son manoir en Transylvanie, l’astre noir écoute les prochaines sorties la nuit, dans les Carpattes (rires).
Son nouvel album Hyperion n’est pas sorti sur Zone…
Alex Reynaud : … Non on n’avait pas le budget (rires)
Vous avez cela dit partagé ses singles sur votre page Facebook et les commentaires, tout comme les médias, ne sont pas très tendres…
Michel Amato/The Hacker : Je pense qu’il faut laisser un peu de temps à cet album. Il y avait tellement d’attente ! Et là, ceux qui se manifestent en premier sont les haters. Je pense qu’il faut laisser aux gens le temps d’écouter le disque, pour avoir une opinion plus réfléchie et mesurée. Et puis voir le live !
Zone fêtera ses 10 ans avec le T7 à Paris. Toutes les informations sont à retrouver ici.