TH Da Freak : « Si Paris cherchait à s’unir, la scène française serait connue à l’international »
En Anglais, un « freak », c’est aussi bien un monstre humain exhibé dans une foire, qu’un beatnik marginal et junky des années 60. Freak Out!, c’est aussi un album de Frank Zappa enregistré en 1966, dont le concept était de rechercher la créativité la plus totale. TH Da Freak, c’est un peu tout cela à la fois. Vendredi 8 mars, le groupe Bordelais, porté par Thoineau Palis, a sorti son troisième album, Freakenstein (tiens, encore une référence monstrueuse !). Après avoir passé trois ans à développer une production musicale expérimentale et foisonnante (deux albums sortis en 2018 !), TH a pris son temps pour cet album, constitué des morceaux les mieux produits de sa discographie. Le résultat : un rock au confluent du grunge de Nirvana, du garage de Ty Segall, et d’une pop plus décontractée. Le chanteur nous baigne dans un univers teinté de pop culture (« And if Mars attacks, I’d stay with you and stare« ), et nous parle de ses amours déçus qu’il noie dans la bière (« I never drink enough beer« ), avec toujours une pointe d’auto-dérision (« I hate my kurtains« ). Si TH Da Freak s’impose depuis un an sur la scène rock française, ne nous méprenons pas : Thoineau Palis n’a rien d’un héros. Et encore moins solitaire. Lorsqu’on le rencontre, on ne peut d’ailleurs que remarquer chez lui une certaine réticence à parler de sa musique et de lui-même sans évoquer ses confrères du collectif Bordelais Flippin’ Freaks. Et on comprend très vite pourquoi. Ses musiques sont indissociables de sa bande de potes et des multiples projets qu’ils mènent ensembles, dans lesquels priment avant tout la créativité et le DIY. Parler de son album, Freakenstein, c’est aussi nécessairement parler de toute la scène dont le Bordelais est issu. Rencontre avec Thoineau, leader de TH Da Freak, et son frère Sylvain, bassiste du groupe.
« Freakenstein » en écoute sur Deezer :
Et si vous êtes plutôt Spotify :
Entrons dans le vif du sujet avec une question que tout le monde attend. Quel est votre album préféré de Nirvana ?
Thoineau : On déteste Nirvana ! (rires) Non, en ce moment, c’est Incesticide. Mais ça varie !
Sylvain: Définitivement Bleach. (voix thug) « Moi ça a toujours été Bleach » .
Qu’est-ce que ça fait de jouer en première partie de Thurston Moore, ex-leader de Sonic Youth, au festival Bordeaux Rock ?
Thoineau : On était dans une faille spatio-temporelle ! (rires). Il a la même tête que depuis 1985 !
Sylvain : Quel honneur ! En plus, il est vraiment très sympa. Il ne se la jouait pas du tout en mode « je suis une méga star ». C’est lui qui est venu me dire bonjour dans les loges. On a discuté de textures de guitares et des bons endroits où il avait joué en Europe. Ça duré 30 secondes, mais c’était intense ! La bassiste de My Bloody Valentine qui joue aussi dans son groupe, Deb, est très sympa. Je me permets de l’appeler par son petit nom !
Thoineau : Entre nous, on a un petit jeu qui consiste à imaginer à combien de poignées de main tu es de Kurt Cobain… Hé bien maintenant, on n’en est plus qu’à une ! (rires)
TH Da Freak a une production très prolifique. Trois albums rien qu’en 2018 ! The Hood en février et un double album, T-H Sides, en octobre. Et maintenant Freakenstein … Sans compter tes nombreux EP. C’est assez rare une telle productivité !
Thoineau : Ty Segall et King Gizzard sont pas mal dans le genre aussi. Mais c’est vrai que les Français ne font pas trop ça ! J’aime être en accord entre le moment où je compose les morceaux, le moment où ils sortent, et le moment où je les joue en live. C’est plus naturel. Instinctif.
Sylvain : On ne bosse qu’à l’instinct. On n’est pas du genre à rester hyper longtemps sur un album. Quand on a une idée, on y va, et ça nous mène où ça nous mène.
Comment as-tu travaillé sur Freakenstein ?
Thoineau : Freakenstein a été très long dans sa conception. Environ un an ! C’est très long pour moi… J’ai vraiment pris mon temps pour travailler les morceaux, et on s’est un peu cassé la tête sur l’enregistrement pour que ça sonne plus produit que d’habitude. Il est aussi un peu différent des autres albums, dans le sens où il a été enregistré avec une vraie batterie. Il est très énergique, et prendra tout son sens en live.
Dans toute ta production, comment as-tu sélectionné les morceaux de Freakenstein ?
Thoineau : J’ai compilé les meilleurs morceaux que j’ai fait depuis 3 ans qui n’étaient pas encore publiés. « Mars Attacks!! » et « Peeling the Onion », par exemple, sont assez vieux. Quand je composais, il y avait des morceaux que je trouvais mieux que les autres et que j’ai décidé de garder pour un futur album. Le résultat : plusieurs bouts de morceaux enregistrés sur plusieurs années et mixés par plusieurs gars… Ça fait un truc dégueulasse : c’est Freakenstein ! (rires) Il porte ce nom parce qu’il est composé de pleins de trucs morts remis à la vie. Pour la sélection, ça s’est fait naturellement. Il n’y a pas vraiment de fil rouge… (il hésite) Enfin si, ils parlent de l’amour !
Par rapport à T-H Sides, je me disais que Freakenstein était plus « pop », non ?
Thoineau : C’est marrant que tu dises ça parce que d’autres pensent le contraire !
Sylvain : Ouais c’est vrai, il est sous un format pop.
Thoineau : Notamment grâce à la production. Il est mieux produit, plus facile à écouter et plus accessible !
Sylvain : A mon avis, cet album est assez « intemporel ». Surtout au niveau du son, de la production justement. Il a un son à lui, qui n’appartient pas à une époque. Un peu comme Nevermind de Nirvana, par exemple, puisqu’on en parlait. Un album qui marche, que l’on peut l’écouter encore aujourd’hui, 25 ans après. Je pense qu’on pourra écouter Freakenstein dans 10 ans et qu’il sera encore actuel. Après, il sonne pop, mais, en réalité, quand tu connais bien les morceaux ça part un peu dans tous les sens.
Thoineau : Oui, c’est plus travaillé que le schéma classique « couplet-refrain-pont-machin »…
TH Da Freak marche de mieux en mieux. Est-ce que ça pourrait impacter votre façon de travailler ? Ralentir le rythme, fignoler plus vos morceaux …
Thoineau : Non. Pour tout te dire, là, je pense que je vais faire un peu moins d’albums. Prendre plus mon temps sur mes morceaux. J’en ai déjà fait beaucoup, et j’en ai un peu marre de ce rythme. En plus, on a beaucoup d’autres projets… Mais ce n’est pas du tout par rapport au fait qu’on est en train de monter. C’est plutôt une évolution normale de notre carrière de musicien.
Vous pouvez nous en dire plus sur ces projets ? Toi Sylvain, tu mènes le groupe SIZ, c’est ça ?
Sylvain : Ouais, dans lequel Thoineau fait la guitare. En fait, dans le collectif Bordelais « Flippin’ Freaks », qu’on a fondé il y a quelques années, chacun a des projets solos et joue aussi dans le groupe des autres.
Thoineau : Quand on écoute TH Da Freak, il faut penser aussi qu’il y a tout un monde derrière : le collectif Flippin’ Freaks.
Sylvain : Oui, on se partage tous de la musique et on s’influence tous ensembles. Donc toutes les musiques que l’on fait individuellement – celles de TH Da Freak, de SIZ, etc – sont en quelque sorte le résultat de cette influence réciproque au sein du collectif.
C’est un peu comme une œuvre commune ?
Ensembles : Ouais c’est ça, finalement !
Sylvain : En fait, c’est quelque chose de typiquement Bordelais. On a beau dire « Bordeaux est la belle endormie », en réalité, c’est tout l’inverse. La scène y est très active. Il y a une forte entraide entre musiciens là-bas. Quand on croise plusieurs fois la même personne en concert, c’est naturel d’aller la voir en lui disant « tiens, t’es là tout le temps aux concerts que je kiffe, qui t’es ?« . Tu as juste à être sympa, toi-même et les gens vont venir t’aider !
Thoineau : On n’a pas vraiment trouvé de chose semblable dans les autres villes de France.
Sylvain : Si Paris cherchait à se fédérer, à s’unir, et à entretenir une atmosphère de bienveillance et de soutien entre musiciens, plutôt que cette ambiance de compet’, ça serait simplement abusé !
Thoineau : Ça serait exceptionnel. La scène française serait connue à l’international !
C’est un peu ce que vous essayez de faire avec « 1 EP par jour records » ?
Thoineau : Exactement. On essaye de casser ces barrières ! Faire pareil qu’à Bordeaux, mais à l’échelle nationale. 1 EP par jour, c’est un label virtuel qu’on a lancé en mars 2018 sur Bandcamp où, comme son nom l’indique, l’on publie 1 EP par jour. Dans une veine censée encourager les gens à créer de manière Do It Yourself, on publie absolument tous les styles. Pop, black metal… peu importe ! Tant que ça nous plaît.
Sylvain : C’est le message DIY qui importe. L’objectif est de donner autant la parole aux « grands artistes » qu’aux moins connus, partout en France. Par exemple, on a sorti un EP d’Arthur Larrègle de JC Satan et celui d’un kid de 16 piges qui vient du fin fond de la campagne de Pau. Et ils sont au même niveau ! Mon rêve personnel serait d’y adjoindre un EP de Mac DeMarco ou de Ty Segall … Et surtout, enlever ce vieux mot dégueulasse de « game » de la musique. Ça n’existe pas. Ce prétendu « game » n’est là que pour pouvoir se dire à soi-même « je suis important ». Alors qu’on est tous pareils ! Nous avons tous des trucs à dire artistiquement. Quand je pense à tous ces kids qui se trouvent trop jeunes pour faire des EPs et des concerts… c’est absurde. Nous on les cherche. Ce sont eux le futur.
Thoineau : Là on est arrivé à 200 EPs publiés. On fait une petite pause, pour réfléchir à ce qu’on va faire ensuite… peut-être un festival !
Si dans cette scène Française je vous demande trois groupes, qui nous conseilleriez-vous ?
Thoineau : Les Bad Pelicans… Et Edgar Deception ! (rires) Ils dirigent 1EP par jour avec nous ! Après on peut citer Aneth Penny qui va faire notre première partie au Point Ephémère le soir de notre Release.
Sylvain : C’est une fille qui vient de Nantes et qui joue en solo avec une voix ultra punk ! Assez rare aujourd’hui en France.
Question d’entretien d’embauche : où vous voyez-vous dans 10 ans ?
Sylvain : Au Canada, à Montréal. A enregistrer mon troisième album personnel, avec les mecs du groupe Weed !
Thoineau : Moi… je serai avec toi. En fait, nous deux, on est une seule personne !
Sylvain : S’il part au Japon, je pars au Japon ! Ah et tu auras un chien qui s’appellera Médor. (rires)
Thoineau : Oui ! On est embauché ?
Pas encore. Une dernière question : à défaut d’avoir des Kurtains, avez-vous un pyjama Nirvana ?
Sylvain : Non, j’aimerais bien !
Thoineau : Moi, mon pyjama, c’est un t-shirt Edgar Déception ! (rires)
« Freakenstein » (Howlin’ Banana Records, Bordeaux Rock). Release Party le 27 mars à Point Ephémère, à Paris, le 30 mars à Bordeaux.